
Washington joue avec le feu du plafond de la dette américaine

Comme avait prévenu Janet Yellen la semaine dernière, les Etats-Unis ont atteint le 19 janvier leur plafond d’endettement autorisé, fixé en décembre 2021 à 31.381 milliards de dollars. La secrétaire au Trésor a dû prendre des «mesures extraordinaires» afin de faire face à ses obligations sur la dette existante, notamment avec la suspension de versements à plusieurs fonds de retraite et prestations de santé ou d’invalidité des agents publics. Dans le même temps, «un délai de suspension sur les émissions de dettes», a priori nettes des remboursements, durera jusqu’au 5 juin, souligne Steven Blitz, économiste chez TS Lombard. D’ici là, il faudrait que le Congrès parvienne à un accord sur le sujet, faute de quoi les Etats-Unis pourraient se trouver en défaut de paiement. Avec des conséquences pour la notation du pays, les taux d’intérêt et le dollar, et donc, pour le monde entier.
Comme d’habitude ?
«On se retrouve dans la même situation que d’habitude, avec la secrétaire du Trésor qui tire la sonnette d’alarme six mois avant des conséquences irrémédiables. Mais cette fois, le contexte économique et surtout les règles au Congrès ont changé», commente Thomas Costerg, économiste US chez Pictet WM. Dans le système budgétaire américain, le plafond de la dette reste indépendant du fonctionnement des administrations et du risque de «shutdown» - quand les élus ne s’entendent pas sur un budget fédéral qui a été arrêté jusqu’à fin septembre pour l’exercice en cours. Habituellement, les deux partis au pouvoir finissent par s’accorder sur le relèvement du plafond - ou sur sa suspension provisoire comme c’est arrivé sept fois depuis 2013 - afin de payer à temps les intérêts et autres remboursements.
Ce pourrait être différent cette année. Pour obtenir enfin les votes de sa majorité à la Chambre des représentants le 7 janvier, son nouveau président (speaker), le républicain Kevin McCarthy, a dû faire des concessions inédites aux ultra-conservateurs du GOP (Freedom Caucus) sur les règles de fonctionnement de la chambre basse. Un seul élu - au lieu de cinq - peut désormais introduire une motion de défiance contre le «speaker». De nouvelles règles permettent aussi de bloquer l’examen d’une législation qui augmenterait les dépenses publiques ou d’imposer un vote à la majorité qualifiée pour augmenter les impôts – avec dans les deux cas de nouvelles obligations de mesures des effets macroéconomiques et monétaires.
«Le Freedom Caucus a obtenu pour les élus de la Chambre un pouvoir de contrôle sur chaque ligne du texte, et un droit de consultation 72 heures à l’avance. Par le passé, les présidents des Etats-Unis, de la Chambre et du Sénat finissaient toujours par débloquer la situation avec un texte de compromis trouvé au dernier moment, et imposé en bloc aux élus du Congrès qui le votaient en suivant les consignes», poursuit Thomas Costerg. Les médias américains ont aussi évoqué des promesses obtenues par les plus radicaux sur des coupes importantes dans les dépenses militaires à destination de l’Ukraine et les aides sociales (notamment les assurance santé Medicare et Medicaid).
En 2021-2022, deux sénateurs démocrates «centristes» ont bloqué de nombreux votes budgétaires à la chambre haute. Parmi eux, Joe Manchin qui vient de suggérer un compromis en échange d’une commission bipartisane sur le contrôle de la dette à long terme. Mais ces deux sénateurs ont aussi permis des convergences (Bipartisan Infrastructure Bill, IRA…) alors que le niveau de polarisation politique actuel augmente la distance par rapport à ce genre de compromis. «Il est peu probable qu’une solution soit trouvée d’ici à juin», avance Bastien Drut, stratégiste de CPR AM. «On risque de revivre un blocage comme en 2011 sous le président Barack Obama. Le président Joe Biden veut un relèvement du plafond sans aucune concession, et comme le Trésor semble prévoir de donner la priorité aux paiements sur la dette, les républicains pourraient relativiser l’urgence de parvenir à un accord, s’inquiète Thomas Costerg. Sachant que le déficit se dégrade, proche de 5,5%, et que les habituelles rentrées fiscales d’avril devraient être affectées par le ralentissement économique.» En 2011, la crise politique s’était soldée par la dégradation de la note AAA des Etats-Unis chez l’agence S&P.
Cette fois encore, l’épisode devrait accroître la volatilité, «et le risque d’un élargissement des spreads de crédit», ajoutent les analystes de CreditSights. «On risque de revivre le mélodrame jusqu’à un accord de dernière minute, mais ne pas y parvenir serait politiquement coûteux pour les républicains», estime Ludovic Subran, chef économiste d’Allianz.
Vases communicants ?
Faudrait-il craindre un coup de tabac sur les marchés ? Pas forcément. Le Trésor pourra utiliser les réserves de son compte à la Fed (TGA, treasury general account), de 377,5 milliards au 18 janvier. «Il existe des vases communicants entre le compte du Trésor à la Fed et les réserves des banques commerciales, qui vont donc remonter à mesure que le compte du Trésor tendra vers zéro. Et on constate par ailleurs une corrélation assez forte entre le montant de réserves bancaires et les marchés actions : cette libération de ‘liquidités banque centrale’ pourrait jouer positivement sur les marchés en ce premier trimestre 2023», espère en conclusion Bastien Drut.
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