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Un an après, le risque de «credit crunch»

Le cycle de resserrement monétaire de la Fed a tout juste fêté, le 16 mars, son premier anniversaire, que déjà il touche à sa fin. La hausse des taux aura été la plus violente depuis plus de 40 ans : 475 pb, augmentés d’un resserrement quantitatif. L’économie globale a plutôt bien résisté à ce jour, pour des raisons diverses : réouverture de la Chine, rechute du prix des matières premières (de l’énergie en particulier) et surtout soutien résiduel provenant de l’assouplissement massif de la politique fiscale et monétaire pendant la crise sanitaire – qui avait conduit à une explosion de l’épargne excédentaire des ménages. Cette résistance a suscité des espoirs de «no landing» qui nous paraissent peu réalistes : l’histoire nous dit qu’un tel resserrement monétaire finit toujours par causer des troubles économiques ou financiers.
Le taux neutre a déjà été dépassé
Certes l’inflation reste trop haute – on ne peut exclure une ou deux autres hausses de taux de 25 pb – mais sa décrue va se poursuivre. La Fed peut se réjouir du recul des prix de l’énergie, de la normalisation de la chaîne d’approvisionnement, du retournement à venir de la composante loyer (qui suivra l’accalmie sur le prix des maisons), et du repli des anticipations d’inflation. Certes les salaires restent dynamiques, mais la détente du marché de l’emploi (qui apparaît déjà dans le recul du taux de démission) fera son œuvre.
Le concept de taux neutre est assez élusif : nul ne sait exactement à quel niveau de taux la politique monétaire devient restrictive. Mais les récents troubles financiers – particulièrement dans le secteur des banques régionales américaines – suggèrent que le taux neutre de stabilité financière a déjà été dépassé.
La faillite de la Silicon Valley Bank et de Signature Bank, ainsi que le sauvetage et rachat de Credit Suisse, reflètent des problèmes largement idiosyncratiques, et dans le cas des banques régionales américaines d’une relaxation coupable de la réglementation pour les institutions considérées comme non systémiques. Mais on ne saurait ignorer la dimension systémique de cette crise. Les banques ont dans leurs portefeuilles des moins-values latentes, qui deviennent problématiques dès lors que les besoins de liquidité augmentent, par exemple en cas de fuite des dépôts. Ces moins-values latentes créent une fragilité intrinsèque, et conduisent les banques à protéger leur situation de liquidité, ce qui accentue la bataille pour les dépôts et rogne les marges nettes de taux d’intérêt.
La baisse concomitante des actions bancaires, ainsi que l’écartement des spreads financiers (aggravé par le traitement défavorable par les autorités suisses des obligations «Additional Tier 1», relativement aux actions) impliquent un renchérissement du coût du capital, qui conduira inévitablement à une rationalisation des bilans. Ce mouvement est déjà visible dans les enquêtes trimestrielles de la Fed et de la BCE auprès des banques, ainsi que dans les chiffres de production de crédit, qui se dégradent nettement.
Certes la situation bancaire est nettement plus saine qu’en 2008, en particulier en termes de capitalisation. Les banques européennes sont bien régulées – y compris les institutions régionales. Du reste, les pertes latentes susmentionnées proviennent essentiellement de la hausse des taux longs en 2022, ce qui parait beaucoup moins toxique que les pertes liées à la dégradation des portefeuilles de prêts en 2008 ; en effet, en cas de pessimisme accru, les taux rebaisseraient, diminuant mécaniquement les pertes non réalisées (phénomène d’auto-correction). Au contraire en 2008, la raréfaction du crédit aggravait la dégradation des portefeuilles (auto-amplificateur). Enfin, on peut se réjouir que les autorités financières aient réagi vigoureusement, tant aux Etats-Unis qu’en Suisse, pour assurer la liquidité des banques, circonscrire les problèmes et éviter la contagion : les leçons de 2008-09 ont été retenues.
Une capacité d’intervention limitée
On peut toutefois s’interroger sur les limites de ces interventions. Le durcissement réglementaire qui a suivi la grande crise financière de 2008-09 visait notamment à réduire l’aléa moral, ainsi que l’exposition du contribuable aux risques de faillites bancaires (problème de privatisation des profits et de mutualisation des pertes). Il semble difficile, de ce fait, que la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) accède à la demande des banques régionales d’une protection totale des dépôts bancaires, au-delà du plafond de 250.000 dollars, pour endiguer la fuite vers les grandes banques. L’inflation encore trop élevée, ainsi que la forte hausse des dettes publiques depuis 15 ans, pourraient également réduire la possibilité ou la crédibilité d’interventions monétaires et/ou fiscales puissantes.
A ce stade, la seule certitude prédictive est un durcissement supplémentaire des conditions de crédit : la raréfaction du crédit bancaire pèsera sur l’économie, se propagera à la finance désintermédiée, et devrait causer un repricing du crédit, ainsi qu’un mouvement de décompression des spreads (les crédits plus risqués étant davantage pénalisés).
Les secteurs de l’économie ayant connu une forte hausse du levier de la dette, dans la période pas si lointaine de taux négatifs, souffriront de cette situation. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis, où les banques non systémiques détiennent près de la moitié des actifs bancaires, et jouent un rôle majeur dans la distribution du crédit – jusqu’à 80% dans le secteur de l’immobilier commercial ! Ce secteur, ainsi que les marchés privés (actions et dettes), moins régulés, vont se trouver sous pression – ceux qui n’ont pas abusé du levier ni transigé sur la qualité des investissements en sortiront gagnants.
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