
Nicolas Goetzmann: «La BCE ne peut se défausser sur les gouvernements»

L’Agefi : Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), estime que cette crise majeure est une bonne occasion de revoir le Pacte de stabilité et de croissance. Qu’en pensez-vous ?
Nicolas Goetzmann : Sur la base d’une très forte contraction du PIB, la BCE appelle à des plans de relance budgétaire suffisamment importants pour faire face à la crise, et à un début d’union budgétaire pour ne pas fragmenter davantage les économies européennes que les niveaux de dettes divisaient déjà auparavant. Malgré l’actuelle suspension du Pacte de stabilité et de croissance, les pays les plus endettés sont réticents à engager de nouvelles dépenses à la hauteur de ce que fait l’Allemagne et, pour l’instant, seule la BCE compense ces déséquilibres. Mais c’est bien elle qui détient les clés de la réponse macroéconomique à apporter, et elle ne peut se défausser sur les gouvernements.
N’est-ce pas pourtant le Traité de Maastricht qui fixe les règles ?
Dans une étude publiée en août 2019, la BCE rappelait l’hypothèse de départ du Traité : un déficit de 3% et une dette/PIB de 60% ne sont tenables dans le temps que si la croissance nominale est de 5%. Or, contrairement aux idées reçues, les Etats de la zone euro ont bien respecté ce déficit, avec un chiffre moyen de 2,7% pour l’ensemble depuis 2002. Pourtant, la dette dépasse aujourd’hui 84% du PIB. La cause de ce déséquilibre est bien que la croissance nominale moyenne n’a pas été de 5%, comme cela avait été envisagé, mais de seulement 3% entre 1998 et 2017. Notre surendettement – par rapport aux critères de Maastricht – est donc bien le fruit du manque de croissance, et non pas de déficits trop élevés. Dans l’équation dette/PIB, les Européens ont tendance à se focaliser sur le chiffre de la dette et oublient que le problème vient de la croissance du PIB.
Il faut une croissance économique supérieure à la croissance de la dette. Mais le monde de demain peut-il viser les taux de croissance d’hier ?
Au-delà des questions écologiques – pour lesquelles des solutions existent sous réserve de volontés politiques –, la croissance réelle a certes un potentiel réduit, mais pas la croissance nominale (croissance réelle + inflation). De plus, il faut prendre en compte le cas de ce qui est appelé le «reverse hysteresis», c’est-à-dire la capacité d’une économie sous pression d’une croissance nominale forte à accroître ses capacités réelles. Depuis plus de dix ans, les Etats-Unis ou encore le Japon ne cessent de voir leur croissance réelle dépasser leur croissance potentielle.
Le potentiel de croissance européen a sans doute baissé en vingt ans, notamment en raison de la dynamique démographique, mais il serait absurde de considérer que celui-ci se soit affaissé de 40% du jour au lendemain, comme depuis 2008. La zone euro a trop privilégié un régime de «sous-croissance» et de «sous-emploi» pour garder une inflation faible comme le souhaitaient certains décideurs : c’est donc bien une question monétaire et non pas budgétaire…
Voulez-vous dire que la BCE a la responsabilité de cette croissance faible ?
Son mandat est d’assurer la «stabilité des prix», ce qui est interprété comme une «inflation inférieure mais proche de 2%». C’est le fruit du Traité. La responsabilité est donc à partager entre les gouvernements, qui ne cherchent pas à réviser ce mandat dans un sens plus favorable à la croissance, et la BCE, qui en a une interprétation restrictive. Depuis 2003, l’inflation moyenne est de 1,6%. La faible croissance n’est pas une fatalité, mais le résultat de cette politique. Pour y remédier, certaines solutions existent. Il serait par exemple opportun de remplacer l’objectif actuel par un objectif de croissance nominale. Cette solution a été mise en avant par l’économiste Michael Woodford en 2012, par l’ancienne conseillère économique de Barack Obama, Christina Romer, ou encore par James Bullard (Fed de Saint-Louis) et Jan Hatzius (Goldman Sachs). Ici, l’intérêt est d’inclure, dans un seul et même chiffre, un objectif de stabilité des prix et de croissance maximale.
L’idée de la revue stratégique en cours est bien de transformer le mandat de la BCE : elle a été initiée par le gouverneur de la Banque de Finlande, Olli Rehn, qui met en avant des concepts proches de l’objectif de croissance nominale. Pour éviter de réviser le Traité, on peut par exemple évoquer l’objectif d’une inflation par niveaux, qui consisterait à corriger le tir lorsque la BCE manque sa cible pendant une ou plusieurs années. Avec une croissance plus forte, donc des rentrées fiscales plus élevées, les Etats retrouveront des capacités budgétaires et verront fondre leur endettement, comme pour le Royaume-Uni après 1945.
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Immigration Sud-Coréenne : Séoul préoccupé après le vaste raid dans une usine Hyundai aux États-Unis
Séoul - Plus de 300 des 475 personnes arrêtées jeudi aux Etats-Unis dans une usine de batteries pour automobiles sont de nationalité sud-coréenne, a estimé samedi le gouvernement de Séoul, exprimant sa «profonde préoccupation». «Plus de 300 seraient nos ressortissants», a déclaré le ministre sud-coréen des Affaires étrangères Cho Hyun lors d’une réunion d’urgence sur le sujet. «Nous sommes profondément préoccupés et ressentons une lourde responsabilité sur ce sujet», a poursuivi le ministre. Cho Hyun s’est dit prêt à se rendre à Washington si nécessaire pour y rencontrer les autorités. La police de l’immigration américaine a annoncé vendredi avoir mené jeudi un raid dans une usine de fabrication de batteries pour automobiles des groupes sud-coréens Hyundai et LG Energy Solution à Ellabell, dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Selon Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, l’arrestation de ces 475 personnes constitue «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des Enquêtes sur la sécurité intérieure». Vendredi, les autorités sud-coréennes avaient fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul de leur «inquiétude» et de leurs «regrets» concernant cette affaire. Elles n’avaient pas chiffré le nombre de ressortissants concernés. Mais du personnel diplomatique a été envoyé sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. © Agence France-Presse -
Réassurance : prix en baisse mais secteur stable face aux catastrophes et émeutes
Paris - Les réassureurs, qui se retrouvent à partir de samedi pour plusieurs jours à Monaco pour leurs traditionnels «Rendez-vous de septembre», s’apprêtent à faire face à une baisse des prix dans ce secteur, qui ne bousculera toutefois pas leur stabilité, selon les analystes. Les réassureurs, dont le métier consiste à assurer les assureurs, commencent à l’automne les négociations annuelles avec leurs clients assureurs sur le montant des primes que ces derniers leur versent. En échange, les réassureurs prennent en charge une partie des risques portés par les assureurs, en se positionnant sur les risques les plus extrêmes et moins fréquents (tempêtes, feux de forêt, émeutes, attentats terroristes...). En 2024, le marché de la réassurance mondiale s'élevait à 400 milliards de dollars, près de 20 fois moins que celui de l’assurance traditionnelle. Lors des précédentes années, les principaux réassureurs mondiaux, comme Munich Re ou Swiss Re, avaient imposé une hausse des prix et établi des conditions tarifaires et contractuelles qui leur étaient plus favorables. Mais, selon les analystes, le pic des prix de la réassurance est aujourd’hui passé. «On a atteint un point haut en 2024. Et depuis, on le voit au niveau du renouvellement (des contrats), les prix ont tendance à baisser», a expliqué à l’AFP Manuel Arrivé, de l’agence de notation Fitch. «On pense que cette tendance va perdurer» car «il y a une dynamique d’offre et de la demande de plus en plus en faveur des assureurs et en défaveur des réassureurs». L’agence de notation considère que le secteur sera «détérioré» en 2026. Elle met entre autres en avant l’augmentation des coûts des sinistres. Ceux des incendies dévastateurs de Los Angeles, évalués à 40 milliards de dollars, pèsent eux seuls pour la moitié des sinistres liés aux catastrophes naturelles. «On a déjà 80 milliards (de dollars) de sinistres à fin juin. Il fait peu de doute qu’on va dépasser 100 milliards avec le deuxième semestre», a précisé Alexis Valleron, délégué général de l’Association des professionnels de la réassurance en France (Apref), devant la presse vendredi. 2024 a été la cinquième année consécutive où le coût des sinistres des périls naturels a dépassé 100 milliards de dollars dans le monde. Risque émeutes en hausse Face à la multiplication des catastrophes naturelles, la plupart des réassureurs ont décidé ces dernières années de moins s’exposer à certains périls. Dans ce contexte, les réassureurs peuvent compter sur leurs capitaux. S&P Global considère «le secteur mondial de la réassurance comme stable, soutenu par le capital robuste des réassureurs, des marges de souscription solides, des rendements d’investissement élevés et des perspectives de bénéfices encore favorables au-dessus du coût du capital du secteur», décrit l’agence de notation dans un rapport. Les dirigeants de l’Apref ont également évoqué le risque émeutes après des années marquées par les troubles sociaux en France, notamment en 2023 après la mort de Nahel, adolescent tué par un tir policier, ou l’insurrection en Nouvelle-Calédonie à l'été 2024. Les émeutes en Nouvelle-Calédonie ont, à elles seules, coûté un milliard d’euros aux assureurs (dont 500 millions aux réassureurs), sur un coût total des dégâts estimé à 2,2 milliards. Le bilan des émeutes de l'été 2023 en France avait été de 730 millions d’euros (200 millions pour les réassureurs). Selon un article des Echos publié jeudi, le gouvernement prévoit de créer un fonds de réassurance pour couvrir les dégâts liés aux émeutes, sur le modèle du régime des catastrophes naturelles. «Il faut qu’il y ait une définition précise et il faut savoir ce que prendra en charge un mécanisme d’Etat», a insisté Dominique Lauré, vice-président de l’Apref. Selon lui, «il faut qu’il y ait une incitation au maintien de l’ordre pour l’Etat». Et non pas «un mécanisme qui fait que l’Etat n’a finalement plus intérêt à maintenir l’ordre puisque les conséquences économiques sont prises en charge par un fonds», estime celui qui est également directeur général adjoint de Liberty Mutual Reinsurance. Maryam EL HAMOUCHI © Agence France-Presse -
Thaïlande : Anutin Charnvirakul promet des législatives sous quatre mois après sa nomination mouvementée
Bangkok - Le Premier ministre élu thaïlandais Anutin Charnvirakul a assuré samedi vouloir organiser, comme il s’y est engagé, des législatives dans un délai de quatre mois. «Je pense que nous sommes clairs sur le plan politique : nous allons dissoudre le parlement dans quatre mois», a-t-il lancé lors d’une réunion à son siège de son parti, le Bhumjaithai, retransmise par les médias thaïlandais. «Je vais essayer de former mon cabinet le plus rapidement possible», a-t-il souligné, au lendemain de son élection comme Premier ministre par le Parlement, à la suite de la destitution de Paetongtarn Shinawatra. Le magnat conservateur a obtenu le soutien du Parti du Peuple, jusque-là principal parti d’opposition, qui a exigé une dissolution du Parlement et l’organisation de nouvelles élections dans un délai de quatre mois. Le pouvoir de dissoudre le Parlement relève cependant du roi. Il revient également au souverain d’approuver formellement la nomination d’Anutin Charnvirakul comme Premier ministre. Anutin Charnvirakul, dont le parti avait lâché Paetongtarn Shinawatra en juin en raison de sa gestion du conflit frontalier avec le Cambodge, avait assuré vendredi, après son élection, qu’il respecterait «tous les accords». Il avait par ailleurs assuré qu’il n’y aurait «ni favoritisme, ni persécution, ni vengeance» à l’encontre du père de celle-ci, l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra (2001-2006), qui a annoncé vendredi avoir quitté le pays. La Cour suprême doit se prononcer mardi sur la libération anticipée dont a bénéficié Thaksin peu après qu’il fut rentré d’exil en août 2023. L’ancien dirigeant, qui avait été condamné à huit ans de prison pour corruption, risque une réincarcération, selon certains analystes. Thaksin, qui a indiqué vendredi s'être rendu à Dubaï, a assuré qu’il entendait revenir au pays d’ici mardi. «Je prévois de retourner en Thaïlande au plus tard le 8 (septembre, ndlr) afin de me rendre personnellement au tribunal», a-t-il affirmé sur X. Dans un autre dossier, il avait été acquitté le 22 août du crime de lèse-majesté. © Agence France-Presse