
L’Italie, la menace fantôme des marchés de dette

Inlassablement, le problème refait surface. La dette italienne pourrait être le risque de l’année… si les exécutifs politiques les plus restrictifs le souhaitent, serait-on tenté d’ajouter. De fait, les hausses des taux de la Banque centrale européenne (BCE) devraient faire remonter le taux BTP à 10 ans transalpin de 4,30% à plus de 5% au premier semestre, alors que le taux du Bund à 10 ans allemand pourrait passer de 2,30% à 2,50% selon certains économistes. Et ce même si le nouveau gouvernement de Giorgia Meloni tentera de maintenir le déficit budgétaire à un niveau «raisonnable» (4,5% en 2023) et d’améliorer un peu le ratio dette/PIB (144,6% en 2023).
Les ministres italiens n’ont d’ailleurs pas manqué de critiquer les annonces de la BCE du 15 décembre dernier qui portaient sur les hausses du taux directeur - probablement jusqu’à 3,50% au printemps - et sur l’amorce de réduction des réinvestissements (quantitative tightening, QT) du programme d’achats régulier (APP). Pas moins de 15 milliards d’euros par mois entre mars et juin sont en jeu, potentiellement 25 milliards par la suite – soit un total 100 à 140 milliards de moins sur les titres souverains.
Risque lié à la volatilité
«Les hausses du taux directeur auront proportionnellement plus d’effet sur les rendements de la zone euro que le QT lui-même», estime Sphia Salim, directrice des stratégies taux Europe chez Bank of America (BofA), rappelant que l’offre de dette souveraine nette-nette des rachats BCE et coupons (hors supranationaux) devrait dépasser les 400 milliards en 2023, contre à peine 100 milliards en 2022. Le Trésor italien prévoit d’émettre 310 à 320 milliards de dettes à moyen-long terme (MLT) en 2023, contre 280 milliards en 2022. Ceci correspond à peu près, avec 260 milliards de remboursements et 90 milliards de nouveaux besoins, à 50 milliards d’offre nette avant intervention de la BCE, «plus environ 25 milliards d’euros de BTP que les investisseurs privés devraient acheter car ils ne seront pas réinvestis par la BCE», calculent dans le meilleur scénario les stratégistes taux chez UniCredit, Luca Cazzulani et Francesco Maria Di Bella.
Dans ce contexte, l’écart de taux BTP-Bund remonterait de 200 à 250 points de base (pb) au moins au premier semestre. «Notre modèle de valorisation du BTP, intègre quatre variables (niveau du Bund, volatilité, marchés actions, aides NextGen EU-NGEU). Il avait bien fonctionné en 2018-2021, mais pas en 2022 où ce ‘spread’ aurait théoriquement dû monter jusqu’à 400 pb, poursuit Sphia Salim. Après analyse, les annonces de la BCE ont beaucoup joué, avec un effet technique - quand la flexibilité du programme d’achats d’urgence (PEPP) a permis de racheter des titres italiens fin juillet - et un effet psychologique lié au TPI», le nouveau dispositif d’intervention d’urgence que la BCE a présenté mi-2022. «Beaucoup d’investisseurs étaient ‘short BTP’ alors que cela leur coûte en termes de portage, et, même si personne ne voit comment elle pourrait l’utiliser, cet outil anti-fragmentation venant garantir que la BCE interviendrait en dernier ressort a fini par les rassurer», ajoute Sphia Salim.
Une remontée provisoire des taux BTP, même jusqu’à 5,20%, ne serait pas forcément un problème si le mouvement n’est pas brutal et lié à de mauvaises nouvelles politiques ou économiques qui accentueraient la volatilité. «Ces risques pourraient remonter avec les gros titres sur le budget italien si le gouvernement doit le revoir à la hausse, ou avec les débats européens autour de nouvelles règles budgétaires rigoureuses», s’inquiète Antoine Lesné, responsable stratégie et recherche Emea chez SPDR ETF.
Les particuliers en renfort ?
Pour l’instant, «la confiance des consommateurs italiens se rétablit (…) et la correction du pessimisme excessif des derniers mois pourrait bien se poursuivre», remarque l’économiste Lorenzo Codogno (LC-macro Advisors), estimant que plusieurs indicateurs positifs - sur l’emploi, l’investissement, la demande intérieure et la confiance des entreprises - viennent valider l’idée d’une récession modérée, autour de 0% de croissance en 2023. «Si le mouvement sur les taux est progressif même au-dessus de 5%, cela peut redevenir un placement très intéressant pour les investisseurs locaux, si importants en Italie où même les particuliers peuvent acheter des obligations souveraines», ajoute Sphia Salim. Celle-ci voit le rendement du BTP à 10 ans revenir autour de 4% en fin d’année, quand le Bund refluerait vers 2% en raison des attentes de baisses de taux de la BCE pour 2024.
Alors que les remboursements de dettes MLT interviendront surtout entre août et décembre, les émissions nettes seront, quant à elles, bien plus concentrées sur le premier semestre. «En 2022, le Trésor italien a dû émettre 140 milliards de bons à court terme (BOT) mais pu maintenir la durée de vie moyenne de la dette inchangée (7,04 ans), poursuivent Luca Cazzulani et Francesco Maria Di Bella. En 2023, tout l’enjeu de sa stratégie sera d’allonger ses maturités moyennes, à 10 ans et au-delà, pour contenir le risque de refinancement dans les années à venir. Cela rend peu probable un nouvel aplatissement de la courbe des taux» malgré une offre plus faible à court terme (BOT et 2 ans), qui devrait inciter à jouer le portage sur la partie courte de la courbe.
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