
L’intensité de la boucle prix-salaires dépend du mode de négociation salariale

Alors que de plus en plus d’économistes doutent de la pertinence de la courbe de Phillips, qui lie chômage, inflation et salaires, et d’une boucle prix-salaires dans les économies développées, deux chercheurs, Yannick Lucotte (Université d’Orléans/Paris School of Business) et Florian Pradines-Jobet (Paris School of Business) ont publié récemment une étude sur le sujet : «The inflation loop is not a myth», un article paru dans Finance Research Letters. Sur la base des données empiriques couvrant 37 pays OCDE et non OCDE entre 1960 et fin 2019, ils mettent en évidence un lien entre le niveau de négociation collective et l’intensité de la spirale inflationniste.
«Je trouvais un peu injustes les critiques croissantes des économistes sur l’existence de la courbe de Phillips, alors que les banques centrales ont bien augmenté leur attention sur la boucle ‘prix-salaires-prix’ ces derniers temps, explique Yannick Lucotte. Malheureusement, nous n’avons pas encore assez de recul en termes de données pour évaluer précisément dans quelle mesure l’augmentation actuelle des salaires en réponse à la forte inflation conduira à une spirale inflationniste.»
Dans cette étude, l’intensité de la spirale inflationniste est évaluée au travers de la dynamique de la réponse des prix au cours des trimestres suivant un choc d’inflation initial. Ce qui peut s’apparenter à une mesure de la «persistance de l’inflation», le danger qui guette les économies si une boucle prix-salaires-prix prend le relais d’une inflation au départ temporaire. Les résultats obtenus confirment que l’intensité de la spirale inflationniste «dépend fortement des modalités de négociation salariale» en vigueur au sein des économies considérées.
«Prime» aux négociations centralisées
Les deux économistes arrivent à trois conclusions principales. Ils confirment que l’existence d’accords d’indexation des salaires exacerbe la boucle d’inflation. «Sans réelle surprise puisqu’ils permettent une transmission rapide des prix vers les salaires, comme ce fut le cas avec la boucle dans les années 70-80, ce qui explique d’ailleurs qu’un certain nombre de pays aient fait le choix d’abandonner l’indexation automatique des salaires sur l’inflation», commente Yannick Lucotte. On note au passage que le Luxembourg et la Belgique sont les deux seuls pays de la zone euro où les salaires sont toujours automatiquement indexés sur l’inflation, mais au travers d’un indice-pivot des prix, qui induit des périodes et des seuils d’ajustement moins directs.
Ensuite, le taux de syndicalisation ainsi que le taux de couverture de la négociation collective, défini comme la proportion de salariés auxquels une convention collective s’applique, tendent également à renforcer la boucle prix-salaires-prix. «Si les deux facteurs ont un effet positif sur la ‘persistance de l’inflation’, un résultat important de notre étude réside dans le fait que la réponse est encore plus forte dans le cas d’une couverture élargie des négociations salariales, poursuit l’économiste. Par exemple avec des accords de branche comme en France où les résultats se diffusent peut-être plus lentement, mais aussi plus largement à l’économie, que dans le cas d’une densité syndicale plus élevée comme en Allemagne.»
Enfin, pour approfondir ce point, les chercheurs ont étudié le degré de centralisation et de coordination des négociations collectives : entreprise par entreprise, négociation centralisée ou à l’échelle d’une industrie. Dans quelle mesure ces pratiques peuvent-elles expliquer des différences entre pays dans l’intensité de la boucle prix-salaires ? Plus les négociations sont centralisées ou plus le degré de coordination dans le processus de fixation des salaires d’une industrie est fort, plus l’intensité de la spirale inflationniste l’est également, vérifient les deux chercheurs.
«Il nous semble donc que la conduite de la politique monétaire de la banque centrale devrait se faire en étudiant attentivement à la fois les caractéristiques du marché du travail et des processus de négociations salariales, car ils jouent un rôle-clé dans la formation de la réponse des prix à un choc d’inflation initial», conclut Yannick Lucotte. Une approche complexe en zone euro compte tenu de la grande hétérogénéité des situations.
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