
L’euro, victime collatérale des banquiers centraux

Lors du symposium de Jackson Hole, le discours restrictif du président de la Fed, Jerome Powell, a une nouvelle fois été plus convaincant que celui de la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde. Ainsi, l’indice DXY du dollar face à un panier de devises a grimpé depuis jeudi de 103 à 104 points, quand l’euro-dollar a chuté de 1,0875 à 1,0775 (1,0803 lundi) et la livre de 1,2725 à 1,2550 dollar (1,2579 lundi). Les économistes s’inquiètent désormais pour l’avenir des deux grandes devises du Vieux Continent. Le programme des banquiers centraux européens pour lutter contre l’inflation sera sans doute similaire à celui de leur homologue américain. Les déclarations «bellicistes» n’ont pas cessé autour de l’événement des deux côtés de l’Atlantique, mais les données économiques auxquelles se réfèrent les décideurs ne sont pas aussi florissantes pour la zone euro, qui risque donc de sortir encore affaiblie de la bataille.
«Tous ont un plan, jusqu’à ce qu’ils se fassent frapper par Mike Tyson, note Kit Juckes, le stratégiste Forex de Société Générale CIB, en paraphrasant le boxeur. Dans un monde où les marchés du travail se détendent à mesure que la participation se rétablit et qu’un atterrissage économique en douceur ramène progressivement l’inflation à son objectif, personne n’est touché au visage. Dans un monde où l’économie chinoise menace de devenir incontrôlable sous le poids de la dette, où la guerre en Ukraine risque de s’éterniser bien plus longtemps que prévu, et où la marge de manœuvre budgétaire diminue rapidement, espérer le mieux est bien, mais se préparer à autre chose est plus sage.»
La BCE volontairement asymétrique
Plusieurs économistes, comme Paul Krugman, ont aussi rappelé que le ralentissement de la Chine aura un effet bien plus limité aux Etats-Unis que dans la zone euro. Alors que les indicateurs prospectifs (PMI) placent déjà l’économie de la région en contraction, «Christine Lagarde et ses collègues de la BCE sont probablement conscients que la fenêtre d’une dernière hausse pour freiner l’inflation encore non négligeable dans les services se rapproche rapidement, indique Francesco Pesole, stratégiste Forex chez ING. En d’autres termes, si la BCE fait une pause en septembre, elle pourrait bien ne plus avoir la possibilité de relever ses taux directeurs compte tenu de la détérioration des perspectives économiques.» Sans surprise, le gouverneur allemand Joachim Nagel a récemment déclaré qu’il était trop tôt pour penser à une pause, et a réitéré sa vue d’une approche dépendante des données (passées). L’Autrichien Robert Holzmann, le Letton Martins Kazaks et le Croate Boris Vujcic ont tenu le même genre de discours. «Notre perception est que Christine Lagarde n’est pas satisfaite de la récente baisse des attentes du marché en matière de taux, et qu’elle préférera peut-être continuer à ignorer certains signes de détérioration de la croissance et s’en tenir à des données pures», poursuit Francesco Pesole.
Egalement intervenant à Jackson Hole, Ben Broadben, vice-président de la Banque d’Angleterre (BoE), a suggéré que son institution pourrait encore remonter ses taux à cause de pressions salariales à la hausse, indépendamment des signes de ralentissement économique plus marqués aperçus cet été, après un premier semestre solide…
Dans ce contexte, le différentiel de taux swap euro-dollar à 2 ans s’est élargi (en faveur du dollar) jusqu’aux niveaux de 140-145 points de base (pb) observés en février-mars. Et les dernières données de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) suggérant qu’il y a eu peu de réduction des positions longues sur l’euro - voire une augmentation sur la livre sterling - pourraient à nouveau bouger si les prochains indicateurs sur le marché du travail, la consommation PCE et l’indice ISM (vendredi) révélaient une économie américaine résiliente. Alors que le marché scrutera aussi l’inflation en zone euro jeudi, «je continue de penser que les risques à court terme sont orientés à la baisse : autrement dit, les mauvaises nouvelles peuvent nuire davantage à l’euro et à la livre que les bonnes nouvelles ne peuvent les aider», conclut Kit Juckes.
La BoJ en ligne avec son objectif
Pour la Banque du Japon (BoJ), Kazuo Ueda a réaffirmé que la politique monétaire devrait rester accommodante avec une inflation tendancielle probablement inférieure à la cible de 2%. L’inflation sous-jacente a atteint 4,3% en juillet, un plus haut depuis les années 80, mais les salaires et les anticipations d’inflation n’ont pas suffisamment augmenté pour assurer une inflation durablement à 2%. Le gouverneur n’a pas commenté le taux de change, qui s’est déjà déprécié de 138 à 146,6 yens pour un dollar depuis juillet et la décision de la BoJ de permettre aux taux à 10 ans d’augmenter un peu plus, jusqu’à 1% au lieu de 0,5% précédemment.
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