Les relations sino-américaines en quête d’un équilibre précaire

La guerre commerciale initiée par les Etats-Unis en 2018 s’est transformée en course technologique avec la Chine.
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La rivalité Chine-USA, entre tensions et accalmie  -  Fotolia

La guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis reste un facteur central pour la construction des scenarios macroéconomiques. «L’état de la relation sino-américaine est structurant pour le reste du monde. La montée des tensions commerciales observée en 2018 a constitué le premier signal validant la possibilité d’une démondialisation », selon Gilles Moëc, chef économiste d’Axa.

Les droits de douane moyens imposés par les Etats-Unis sur les importations chinoises s’élèvent à 19,3% ; ceux de la Chine sur les biens américains, 21,1%, selon le dernier rapport de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Plus de 66% des exportations chinoises vers les États-Unis et 58% des exportations américaines vers la Chine sont couvertes par ces droits de douane supplémentaires. En 2022, malgré ces tensions, les flux commerciaux bilatéraux entre les deux économies ont atteint un niveau record de 690,6 milliards de dollars.

A cet arsenal douanier sont venues s’ajouter des restrictions ou quotas à l’exportation, pour des produits jugés stratégiques par les Etats-Unis et la Chine. Malgré le changement d’administration intervenu en 2020, Washington n’a pas cherché à assouplir ce dispositif. «L’ordre exécutif signé par Joe Biden en août dernier montre que son administration reste ferme quant à la mise en place de restrictions sur les investissements liés à la production de semi-conducteurs, d’ordinateurs quantiques et à l’intelligence artificielle », explique Richard Bullock, analyste géopolitique senior chez BNY Mellon.

Lorsque l’inflation était au plus haut en 2021, le projet de réduire les taxes à l’importation a été rapidement abandonné devant la levée de boucliers de l’opinion publique. «Cet épisode a montré que, malgré l’impact de l’inflation sur son pouvoir d’achat, l’opinion publique n’acceptait pas un assouplissement de la politique », rappelle Gilles Moëc.

Surcoûts

En revanche le surcoût à l’importation, estimé à 100 milliards de dollars de recettes annuelles pour l’Etat fédéral américain, a créé une recomposition des échanges. «Alors que le commerce bilatéral a atteint un niveau record en 2022, sa composition a connu des changements alignés sur les mesures tarifaires, les échanges ralentissant fortement dans certaines catégories de produits telles que les semi-conducteurs », constate l’OMC.

Depuis 2017, la perte de parts de marchés est particulièrement sensible pour les pièces détachées de l’industrie automobile, les produits électroniques et les semi-conducteurs, selon une étude publiée à l’occasion des rencontres de Jackson Hole, en août dernier. Les importations de produits non visés par les taxes sont en revanche en très nette augmentation.

Les échanges évoluent rapidement. Si en 2023 le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine reste important, en revanche les importations américaines de produits chinois ont chuté de 33% sur les 7 premiers mois de l’année, selon le Census Bureau.

Concurrence n’est pas confrontation

Loin des discours sans nuances de l’ère Trump, l’administration Biden cherche à maintenir un dialogue. «La relation des Etats-Unis avec la Chine est une relation de compétition. Il n’est pas forcément nécessaire de verser dans la confrontation, mais de préserver les secteurs stratégiques que sont le manufacturier, l’acier, et les semi-conducteurs », estime Gilles Moëc. Plusieurs officiels américains se sont succédé à Pékin depuis le printemps 2023.

Toute détente dans les relations apparaît cependant exclue, la Chine n’ayant pris aucune initiative pour entretenir le dialogue avec les Etats-Unis. Xi Jinping ne s’est pas déplacé lors du dernier G20, pourtant hébergé par l’Inde, tandis que l’inconnue persiste quant à un éventuel déplacement du président chinois au prochain sommet de l’APEC, à San Francisco. «Toutes ces annonces donnent peu d’espoir quant à une rencontre bilatérale entre les dirigeants des deux superpuissances, et donc à un dégel dans leurs relations», estime Raphaël Gallardo, chef économiste chez Carmignac.

D’autres facteurs, d’ordre domestique et en lien avec les difficultés économiques que rencontre le pays, pourraient néanmoins amener Pékin à revoir sa position. «Le remplacement, voici quelques mois, d’un certain nombre de diplomates ‘hawkish’, par des profils moins conservateurs, accrédite cette hypothèse », tempère Richard Bullock. Le journal japonais Asian Nikkei s’est également fait l’écho de critiques émanant de la tête du parti à l’occasion du forum de Beidahe. «Ceci semble indiquer que les choix politiques de Xi Jinping sont débattus et permet de conserver l’espoir d’un changement de stratégie dans le futur», analyse Raphaël Gallardo.

Pékin a fait preuve d’anticipation

Le caractère massif des mesures américaines n’a pas stoppé Pékin dans son avancée. «Cela a renforcé la volonté de la Chine de devenir autosuffisante plutôt que de dépendre des importations de biens intermédiaires, et de progresser dans la chaîne de valeur industrielle pour arrêter la décélération structurelle de la croissance du PIB et atteindre ses objectifs ou devenir une société prospère », selon David Rees, économiste senior Marchés émergents chez Schroders.

En particulier, la montée en puissance de champions nationaux a été fortement encouragée, permettant l’émergence d’alternatives domestiques à Google, à Amazon ou à Facebook, ou encore à ChatGPT. «Malgré les mesures prises par les Etats-Unis ou l’Europe pour contrarier cette montée en puissance, la Chine va poursuivre dans la voie de la diversification et de la montée en gamme», estime Helen Keung, gérante chez Robeco.

L’analyse de l’évolution de l’indice de complexité économique (ICE) publié par l’université de Harvard (voir graphe) valide la réalité de cette tendance, tandis que l’annonce, par Huawei, de la production d’une puce de dernière génération, est abondamment débattue par le camp occidental, qui cherche à évaluer les chances chinoises de passer outre l’écueil des mesures coercitives.

«Au nom de la prospérité commune, la Chine a littéralement détruit le secteur de l'économie numérique. Par ailleurs, la course à la miniaturisation des puces électroniques va pâtir du fait que les entreprises chinoises n’ont plus accès aux machines néerlandaises ou japonaises qui en permettent la fabrication. Le fossé technologique qui sépare la Chine des Etats-Unis va rester profond », argumente Raphaël Gallardo.

D’autres considèrent que la capacité d’innovation chinoise est largement sous-estimée par l’Occident. «Les dépenses de R&D représentent aujourd’hui 2% du PIB, et soutiennent la comparaison avec la moyenne des pays occidentaux, qui se situe aux alentours de 3% du PIB. Dans le secteur des nouvelles technologies, 10.000 « petits géants », PME et start-ups, font l’objet d’une attention toute particulière de la part des autorités», analyse Richard Bullock. «La Chine pourrait bien faire vivre à l’Occident un «moment Spoutnik», l’annonce par Huawei de la production d’une puce de dernière génération n’étant qu’un avant-goût de ce qui se profile en termes d’avancées technologiques », conclut-il.

L’analyse des dépôts de brevets et de dessins industriels témoigne de ce potentiel. En 2021-2022, 55 % des brevets de semi-conducteurs (37 865) étaient d’origine chinoise, contre 26% aux Etats-Unis et 0,26% pour le Royaume-Uni, selon le WIPO (World Intellectual Property Organization). La Chine a conquis la première place en termes de brevets toutes catégories confondues. Elle a également déposé plus de la moitié des dessins industriels au cours de cette période. Du côté des entreprises, Huawei est resté le premier déposant de demandes internationales de brevets en 2022, suivie par Samsung (Corée du sud), et Qualcomm (États-Unis). Parmi les 10 premières sociétés déposantes, huit sont situées en Asie du Nord-Est (voir graphe).

Une réallocation en trompe-l’œil

Le Mexique est désormais le 1er partenaire commercial des Etats-Unis, supplantant la Chine pour la première fois en 15 ans. «La perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales constitue une opportunité pour certains pays émergents. Notre travail a mis en évidence que des pays comme l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam et le Mexique pourraient bénéficier de tout changement», explique David Rees.

Cependant cette diversification dans les importations américaines, et la baisse de dépendance vis-à-vis de la Chine qui en résulterait, pourrait n’être qu’apparente. «En ce qui concerne les IDE, on constate également une présence chinoise croissante dans les secteurs manufacturiers du Vietnam et du Mexiqu », selon une étude publiée par la Fed de Kansas City au mois d’août dernier. «Les efforts politiques récents pourraient finalement ne pas atteindre leur objectif de réduire la dépendance des États-Unis à l’égard des chaînes d’approvisionnement liées à la Chine. Malgré une diminution de la dépendance directe des États-Unis à l’égard de la Chine, la part des importations chinoises dans les pays « amis », notamment l’UE, le Mexique et le Vietnam, a augmenté. (…) Cela suggère que les usines dont la Chine est le propriétaire ultime pourraient continuer à jouer un rôle important dans la chaîne de valeur américaine», conclut Laura Alfaro, l’auteur de l’étude.

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Classement des dépôts de brevet par entreprise

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