
Les marchés s’accommodent d’une guerre de longue durée en Ukraine

Le 24 février, les dirigeants politiques avaient insisté sur le caractère historique d’une guerre lancée par la Russie sur le territoire européen. Deux mois après, les marchés semblent intégrer la probabilité d’une guerre longue, à laquelle l’Union européenne (UE) ne prendra part que de très loin malgré les appels à l’action du secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg. En conséquence, les effets directs sur l’économie mondiale resteraient limités aux révisions de croissance, déjà prises en compte, de -0,5% à -1% de PIB selon les régions pour 2022, à cause de la flambée des prix de l’énergie qui pèsera sur l’inflation.
L’indice actions Euro Stoxx 600, qui avait chuté à 415 points le 8 mars avant de revenir autour de 460 points entre le 22 mars et le 21 avril, a rebaissé vers 440 points. Mais à cause des menaces en provenance de Chine et de l’accélération annoncée des hausses de taux de la Fed et de la Banque centrale européenne (BCE). Au-delà de la faible intégration de la Russie au système financier mondial, «les marchés commencent à comprendre qu’il s’agira d’une guerre longue à l’image des options sur le Dax, qui nous avisent d’un degré de volatilité élevé pour un an, note Sébastien Galy, stratégiste macro de Nordea. A l’inverse, les courbes de maturités sur les contrats du pétrole apparaissent trop optimistes.»
Gaz au centre
L’UE s’apprêterait à annoncer un sixième train de «sanctions intelligentes» qui pourraient, comme suggéré par le ministre français Bruno Le Maire, s’attaquer aux importations de pétrole russe (4,8 millions de barils/jour importés de Russie sur environ 15 mbj consommés). Mais les producteurs concernés devraient facilement rerouter ces barils vers d’autres destinations prêtes à les leur payer à raison de 15 milliards de dollars par mois.
Une sanction forte porterait sur le gaz naturel - encore 2.100 millions de m3 importés de Russie chaque semaine en 2022 après 2.700 millions de m3 en 2021 -, plus difficile à transporter sans les gazoducs correspondants. Mais plusieurs pays de l’UE, au premier rang desquels l’Allemagne, en sont encore trop dépendants pour l’accepter. Ces derniers participent même à soutenir le rouble, revenu de 158 (le 7 mars) à 73 face au dollar (comme en décembre), alors que Vladimir Poutine a menacé d’imposer le paiement de ses énergies en devise locale. Finalement, seul l’euro – encore en baisse à 1,065 dollar mardi - fait l’objet d’une prime sur le risque assez peu probable de cet embargo spécifique.
Conflit durable
«Il y avait eu des progrès avec des concessions dans les négociations entre représentants de Kiev et de Moscou organisées fin mars en Turquie, mais le scénario d’un cessez-le-feu rapide - sans retour sur les sanctions contre la Russie - reste de loin le moins sûr», reconnaît Samy Chaar, chef économiste de Lombard Odier. D’autant moins depuis que la Russie a recentré ses attaques sur l’Est de l’Ukraine ? «D’après les états-majors occidentaux, le scénario central est bien celui d’une guerre qui va durer longtemps autour de cette ‘zone tampon’. Le conflit est ancien et date de 2013. Les territoires russes et ukrainiens n’ont jamais été séparés en 200 ans. La Crimée appartenait à la Russie jusque dans les années 50. La chute de l’URSS a changé la donne, puis l’extension de l’Otan par vagues... L’enjeu pour Vladimir Poutine, dont le tsar Pierre Le Grand reste le modèle, demeure d’ouvrir davantage la Russie sur la Mer Noire – au-delà des rivages de la Mer d’Azov - afin d’exprimer sa ‘puissance navale continentale’», rappelle Sébastien Grasset, membre du directoire d’Auris Gestion.
La guerre devrait aussi durer du fait de la résistance d’une armée ukrainienne assez bien préparée. «La Russie n’a pas la capacité logistique de soutenir une guerre longue, l’Occident le peut. L’Ukraine mène une guerre de résistance en abandonnant du terrain tout en broyant du matériel russe pour garder espoir. Le temps n’est certainement pas du côté russe. Les pertes humaines vont être plus évidentes, et Vladimir Poutine finira par souffrir», juge Sébastien Galy. Pour l’instant, le dirigeant ne semble pas rencontrer d’opposition en interne. Et encore moins du côté de l’Orient, où la Chine peut y trouver son compte, au-delà des achats d’énergies et de matières premières à bon prix. «Cette guerre est pour la Chine un bon moyen de renforcer un bloc eurasiatique et les pétro-yuans face au bloc américano-atlantique et aux pétrodollars», estime Sébastien Grasset.
Vision court terme ?
Un embargo sur le gaz russe priverait la Russie de 10 milliards de dollars de revenus par mois (120 milliards par an). Reste à savoir si les dirigeants européens ont estimé que ce manque à gagner ne serait pas suffisant pour arrêter le président russe, ou s’ils ont seulement choisi, avec une vision à court terme, d'éviter une crise énergétique plus forte, qui coûterait plutôt 1,5% à 2% de croissance à la région. «Les banques centrales reçoivent des informations confidentielles des gouvernements pour les aider à anticiper : même s’il semble pour l’heure très difficile de prédire un embargo sur le gaz russe, la Bundesbank suggère que cela mènerait à une forte récession», rappelle Sébastien Galy. «C’est un choc que les Etats membres pourraient éviter en renforçant leur programme budgétaire paneuropéen et en doublant le plan de relance pour accélérer l’indépendance et la transition énergétique comme cela a été évoqué, répond Samy Chaar. Pour l’instant, ils ont préféré un soutien fiscal national équivalent à seulement 0,5% du PIB, à comparer aux plans de 10% à 15% pendant le Covid.»
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Accusé de partialité, Thomas Legrand assume de "s'occuper journalistiquement" de Rachida Dati
Paris - Le journaliste et chroniqueur Thomas Legrand, mis en cause dans des images diffusées par le média conservateur L’Incorrect, a reconnu samedi des «propos maladroits» à l'égard de Rachida Dati mais assumé de «s’occuper journalistiquement» de la ministre de la Culture. Dans une vidéo diffusée vendredi et filmée en juillet à l’insu des participants dans un restaurant parisien, les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen échangent avec deux responsables du Parti socialiste: son secrétaire général, Pierre Jouvet, et le président de son conseil national, Luc Broussy. Au cours de cette discussion, M. Legrand, qui travaille pour France Inter et Libération, déclare notamment: «Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick (Cohen) et moi». «Je comprends que la diffusion de cette vidéo, enregistrée à l’insu des protagonistes et qui plus est tronquée, puisse susciter de la suspicion», a réagi Thomas Legrand dans un message transmis samedi à l’AFP. «Je tiens des propos maladroits. (...) Si la tournure, extraite d’un échange tronqué et privé, est malheureuse, j’assume de m’occuper journalistiquement des mensonges de Madame Dati», écrit-il, quelques heures après avoir été suspendu "à titre conservatoire» d’antenne par France Inter. «Il est possible, par l’intermédiaire d’une vidéo volée, de mettre en cause l’ensemble d’une profession. Ceux et celles qui tomberont dans ce piège évident fouleront les principes qui fondent notre espace public, à commencer par celui de la liberté de la presse», ajoute-t-il. «L’ironie de l’histoire, c’est que ce rendez-vous avait été sollicité par le PS, enfin par la direction du PS, parce qu’ils ne sont pas contents du traitement du PS et d’Olivier Faure (premier secrétaire du parti, NDLR) sur l’antenne de France Inter. Donc c'était tout sauf une réunion conspirative», a pour sa part réagi Patrick Cohen, éditorialiste politique sur France Inter et C à vous (France 5), sollicité par l’AFP. Rachida Dati, investie comme candidate des Républicains à la mairie de Paris, avait de son côté demandé vendredi que des mesures soient prises envers les deux chroniqueurs. «Des journalistes du service public et Libération affirment faire ce qu’il faut pour m'éliminer de l'élection à Paris. Des propos graves et contraires à la déontologie qui peuvent exposer à des sanctions. Chacun doit désormais prendre ses responsabilités», avait-elle réagi sur X. L’Incorrect, fondé en 2017 par des proches de Marion Maréchal, s’affirme comme «conservateur» et prône une union des droites. © Agence France-Presse -
A Pau, François Bayrou face à la fronde locale pour les municipales
Pau - Après le vote de confiance lundi et la probable chute de son gouvernement, le retour de François Bayrou dans son fief de Pau ne sera «pas paisible», préviennent ses opposants qui axent déjà la campagne municipale sur «son budget brutal» et le scandale Bétharram. «Son passage à Matignon a montré toutes les limites de sa méthode et de sa façon de penser le monde, c’est un homme politique de la fin du XXe siècle», tance Jérôme Marbot (PS), chef de file de l’opposition municipale, candidat malheureux de la gauche et des écologistes au second tour en 2020 face à François Bayrou. «Il va payer le prix de ce budget si brutal pour les plus faibles», avec un effort financier de 44 milliards d’euros, renchérit l'écologiste Jean-François Blanco, avocat et autre figure d’opposition locale. Même si le maire de Pau, élu une première fois en 2014, n’a pas annoncé sa candidature -déclarant seulement dans les médias que ses «aventures» politiques n'étaient pas «finies"-, «il est déjà en campagne», considèrent ses opposants. «Pas un retour paisible» Lundi matin, pour la rentrée des classes, François Bayrou a visité deux écoles à Pau. «Tout le monde a compris qu’il serait candidat, ce n’est pas un sujet, mais il n’aura pas un retour paisible», lui promet M. Blanco, déjà candidat en 2020 (14% des suffrages au premier tour). Le contexte national est venu «percuter» la campagne des municipales, analyse-t-il également, anticipant un scrutin «très politique» en mars prochain. François Bayrou qui a, dès son arrivée à Matignon, souligné qu’il voulait rester maire de Pau, glissant que c'était un titre «plus durable» que celui de Premier ministre, a vanté plusieurs fois ces derniers mois (vœux aux habitants, conférences de presse), en vidéo, «les dix ans de réalisations» dans la ville. Depuis deux ans, et après plusieurs années de déclin, la préfecture des Pyrénées-Atlantiques a gagné 3.000 habitants, selon des chiffres de l’Insee, atteignant désormais près de 80.000 habitants. Jean-François Blanco, avocat de victimes de violences physiques et sexuelles à Bétharram, est convaincu que cette affaire qui empoisonne le chef du gouvernement, ministre de l’Education à l'époque d’une première plainte contre l'établissement privé béarnais où ont été scolarisés plusieurs de ses enfants, «sera un marqueur de la campagne» des municipales. «Elle aura des conséquences», abondent les Insoumis, qui reconnaissent à M. Blanco d’avoir «affronté Bayrou sur le terrain de Bétharram», en lien avec le député LFI Paul Vannier, corapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire au printemps. La gauche divisée Reste que si la gauche paloise parle beaucoup de «rassemblement» pour reprendre la ville, dirigée par le PS de 1971 à 2014, ce n’est encore qu’un vœu pieux. La France insoumise «ne discute pas avec le PS», le socialiste Jérôme Marbot veut fédérer en ayant «vocation à être tête de liste», mais sans «en faire une condition sine qua non», tandis que Jean-François Blanco, mandaté par Les Ecologistes, veut unir derrière lui. «La porte est ouverte», insiste Jérôme Marbot, qui revendique le soutien de six formations de gauche, dont Génération.s ou Place Publique. «On veut présenter un programme de gauche de rupture. L’union pour l’union, sans la cohérence, ça ne marchera pas», avertissent de leur côté les Insoumis palois Jean Sanroman et Jade Meunier. De l’autre côté de l'échiquier politique, le Rassemblement national, qui avait réuni moins de 7% des voix aux municipales d’il y a cinq ans, espère capitaliser sur son score des dernières législatives (29%) avec comme candidate Margaux Taillefer, 26 ans, arrivée du parti Reconquête d'Éric Zemmour, et dont le nom a été dévoilé samedi. François Bayrou «va être dépositaire de son échec au gouvernement, ce sera plus difficile pour lui qu’en 2020", espère Nicolas Cresson, représentant régional du RN. Carole SUHAS © Agence France-Presse -
Un décret interdit les sachets de nicotine en France à partir de mars 2026
Paris - Dénoncés pour leur toxicité et leur caractère addictif en particulier pour les enfants et adolescents, les sachets, billes et gommes de nicotine seront interdits en France à partir de mars 2026, une «victoire» pour les associations anti-tabac. Le décret d’interdiction, paru au Journal officiel samedi, fait suite au bannissement des cigarettes électroniques jetables, prohibées à la vente depuis fin février, et à l’interdiction de fumer dans les espaces publics comme les jardins et parcs, les plages ou encore aux abords des écoles en vigueur depuis le 1er juillet. Le bannissement des sachets «vise à protéger la santé publique: la nicotine est désormais considérée comme une substance vénéneuse en raison de ses effets nocifs, et son usage à visée récréative présente un risque d’initiation au tabagisme, notamment chez les jeunes», a justifié à l’AFP le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités. La ministre «Catherine Vautrin confirme ainsi son engagement» contre les «risques liés aux addictions», selon cette source. Le gouvernement Barnier avait annoncé à l’automne 2024 son intention de bannir les sachets de nicotine, également appelés pouches, en raison notamment d’un accroissement des intoxications chez les adolescents. Le marché mondial des pouches a été évalué par Global Markets Insights à 6,6 milliards de dollars (5,6 milliards d’euros) pour l’année 2023, et pourrait atteindre 27,4 milliards de dollars (23,4 mds d’euros) en 2032. Apparus récemment, les sachets de nicotine sans tabac renferment, dans un tissu perméable, des fibres de polymères imprégnées de nicotine et d’arômes et se glissent entre la lèvre et la gencive. L’interdiction prise par le gouvernement vise l’ensemble des «produits à usage oral contenant de la nicotine, à l’exception des médicaments et dispositif médicaux». Elle ne s’applique pas aux tabacs à chiquer. «Eldorado financier» Il s’agit notamment des «sachets portions» ou «sachets poreux», «pâte, billes, liquides, gomme à mâcher, pastilles, bandelettes ou toute combinaison de ces formes», énumère le texte. L’Alliance contre le tabac, une fédération d’associations anti-tabac, a salué une «victoire». «Il s’agit d’une mesure cruciale pour protéger les jeunes et contrer les stratégies pernicieuses d’une industrie qui prospère sur le marché de l’addiction, au détriment de la santé publique», a-t-elle estimé dans un communiqué. «Face à la baisse de la consommation de cigarettes dans les pays développés, les sachets de nicotine et les nouveaux produits nicotiniques (tabac chauffé et cigarettes électroniques) constituent le nouvel eldorado financier des cigarettiers», souligne l’organisation pour qui, «loin d’être des outils de sevrage, les sachets de nicotine et leurs dérivés (billes, perles) n’ont pour objectif que d’étendre le marché de l’addiction à la nicotine». Les fabricants British American Tobacco France et Philip Morris France ont dénoncé l’interdiction. Le premier a critiqué une «approche dogmatique, sans débat ni concertation» de la France, qui «prend le risque (...) de priver les fumeurs adultes d’alternatives encadrées» au tabac. Pour le second, «la France s’entête dans une stratégie d’interdiction inefficace». La confédération des buralistes y voit une «victoire annoncée pour les trafics». En novembre 2023, l’Anses avait appelé à une vigilance particulière» sur ces sachets en soulignant que ces produits, comme les billes aromatiques, entraînaient de plus en plus d’intoxications. «Les enfants et adolescents sont les principales victimes», avait constaté l’Agence nationale de sécurité sanitaire. Comme les snus (tabac sous forme de sachet à usage oral interdit à la vente en Europe), les sachets de nicotine «peuvent provoquer des syndromes nicotiniques aigus parfois sévères: vomissements prolongés avec risque de déshydratation, convulsions, troubles de la conscience, hypotension ayant nécessité un remplissage vasculaire», selon l'étude qui précise que la majorité des personnes intoxiquées ont entre 12 et 17 ans. Les billes aromatiques présentent aussi un risque d’accident domestique, en particulier pour les enfants de moins de trois ans qui les ingèrent. Le nombre d’appels au centres anti-poisons concernant ces produits était passé de trois en 2020 à 86 en 2022, selon l’Anses. Boris CAMBRELENG © Agence France-Presse