
La zone euro ne sera viable qu’à la condition d’innover sur les règles budgétaires et monétaires

Au fil des crises, les questions structurelles et de gouvernance tendent à occuper une place de plus en plus importante. Au premier rang des préoccupations en zone euro, on trouve l’épineuse question budgétaire, qui demeure le talon d’Achille de la construction européenne.
La zone euro est une union monétaire incomplète : la combinaison d’une politique monétaire unique et de politiques budgétaires indépendantes, et trop souvent non coordonnées, est notoirement sous-optimale. Et c’est naturellement dans les périodes de crise que l’on constate à quel point le cadre institutionnel est inefficace.
Inextricable
Parallèlement, les objectifs dévolus à l’action publique sont de plus en plus ambitieux. On attend des gouvernements qu’ils financent la transition énergétique, qu’ils assurent des investissements dans les infrastructures, l’éducation et la santé, et qu’ils jouent un rôle stabilisateur dans les récessions. Et l’on attend des banques centrales qu’elles assurent la stabilité des prix et la stabilité financière, mais aussi qu’elles limitent la fragmentation financière tout en contribuant à financer la transition énergétique.
C’est la quadrature du cercle : trop d’objectifs pour un nombre limité d’instruments, avec en face des contraintes de plus en plus dures – assurer la stabilité des prix et la soutenabilité des dettes. La situation est devenue inextricable pour les gouvernements et les banques centrales. La combinaison de chocs d’offre exogènes et de «chocs d’incertitude» pèse sur les perspectives économiques de la zone euro qui, pour la première fois de son histoire, doit faire face à des pressions stagflationnistes.
Sur le plan monétaire, un large consensus s’était dégagé au cours des dernières décennies autour du suivi de règles prédéterminées. La règle de Taylor s’était progressivement imposée. Mais elle semble inadaptée ou incomplète. Rien ne sert de relever (agressivement) les taux d’intérêt pour juguler les pressions sur les prix résultant d’un choc d’offre, sauf à considérer que les effets de diffusion sur les salaires et le niveau général des prix sont inévitables.
Sur le plan budgétaire, les règles du Pacte de stabilité et de croissance sont obsolètes. Les seuils numériques identiques pour chaque pays en matière de dette (60 % du PIB) et de déficit (3 % du PIB) n’ont pas de vrai fondement. Ces règles se sont révélées procycliques par le passé. Et les sanctions n’ont pas fonctionné.
Coordonner les politiques
Toutefois, l’erreur serait de conclure qu’une action purement discrétionnaire conduit à de meilleures décisions publiques. Car l’absence de règles peut conduire à un accroissement de la volatilité financière et macroéconomique. Il demeure essentiel d’ancrer les anticipations des marchés. Oui, mais comment ? La normalisation monétaire ne peut se faire que si une approche coordonnée est adoptée sur le plan budgétaire (pour absorber les chocs). La déconnexion stricte entre les règles de politique budgétaire et la règle monétaire est inopérante.
On a connu, par « chance », une période de coordination implicite lors de la crise du Covid. En effet, avec la désinflation induite, la Banque centrale européenne (BCE) a pu assouplir sa politique monétaire, ce qui a diminué le coût des emprunts et permis à la politique budgétaire d’absorber le choc. Il est urgent désormais de réfléchir aux modalités d’une coordination plus explicite.
A défaut de pouvoir proposer ici une solution clés en main, certaines pistes méritent d’être considérées. L’indépendance de la BCE ne peut naturellement pas être remise en cause. Mais rien ne lui interdit d’interpréter différemment son mandat. D’une part, elle pourrait tenir compte plus explicitement de l’origine du choc inflationniste (offre ou demande) dans une règle de Taylor « augmentée ». D’autre part, et surtout, elle devrait accepter de séparer sa politique d’achats de titres de sa politique de taux directeurs.
Mais pour ce faire, il faut revoir en amont l’interprétation du Pacte de stabilité et de croissance. Les pays de l’Union européenne peuvent s’accorder en premier lieu sur quelques objectifs clés (existentiels) et sur le fait qu’il y a plus à perdre collectivement à ne pas les atteindre qu’à accroître la dette à l’échelle de l’Europe. Et pour garantir la soutenabilité des dettes nationales, l’examen du solde primaire, des charges de la dette, du niveau initial de la dette et du ratio des dépenses publiques au PIB devrait jouer un rôle dans l’analyse des efforts requis. Cela signifie que des règles spécifiques à chaque pays seraient en définitive plus appropriées (et plus contraignantes) qu’une règle unique basée sur le déficit.
Il faudrait en outre établir à l’échelle nationale des plans de dépense pluriannuels qui engagent les gouvernements à faire croître les dépenses de fonctionnement à un rythme inférieur à la croissance du PIB en volume, tout en protégeant les dépenses d’investissement. L’accent doit être mis sur des agrégats que les gouvernements contrôlent et qui sont mesurés sans ambiguïté. Seule une approche pragmatique, coordonnée et novatrice des gouvernements et de la BCE leur permettra de relever les défis.
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