La Fed devrait jouer la montre en accélérant son «tapering»

L’inflation conforme aux anticipations publiée vendredi ne change pas les décisions attendues mercredi.
Fabrice Anselmi
Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine (Fed)
Mercredi la communication de Jerome Powell restera scrutée de près.  -  Photo Fed.

Ce chiffre ne changera pas la donne. L’inflation publiée vendredi aux Etats-Unis par le département du Travail peut être considérée à peu près conforme aux attentes. L’indice est ressorti en hausse de 0,8% sur un mois en novembre au lieu de 0,7% prévu, mais entame un très léger ralentissement après le 0,9% d’octobre et porte en même temps la progression à 6,8% sur un an en novembre (après 6,2% en octobre), soit un record depuis 1982. Peut-être le signe d’un début de stabilisation, l’indice CPI «core», hors énergie et alimentation, a ralenti à 0,5% sur un mois après 0,6% en octobre, même s’il ressort à 4,9% sur un an après 4,6% en octobre.

Trois hausses de taux en 2022

Sans surprise sur l’inflation, et malgré la nouvelle petite baisse des rendements obligataires qui a suivi vendredi, il ne devrait pas y avoir de coup de théâtre lors du Comité de politique monétaire (FOMC) de la Fed ce mercredi. La plupart des analystes estiment que Jerome Powell annoncera une accélération de la réduction (tapering) du programme d’achats d’actifs (QE) de 120 milliards de dollars par mois. Il s’y est montré favorable lors des entretiens au Congrès les 1er et 2 décembre, avec un revirement de ton notable en décidant de ne plus parler d’inflation «transitoire».

Le «tapering» a débuté le 3 novembre sur un rythme de 15 milliards par mois, et serait donc porté à 30 milliards par mois à partir de début janvier alors que les achats auront déjà été ramenés à 90 milliards, pour une conclusion fin mars. Après quoi, les marchés anticipent désormais près de trois hausses de taux. «Probablement une en juin, une en septembre, et la troisième en novembre ou décembre selon la croissance, analyse Eric Bertrand, directeur des gestions et directeur général délégué d’Ofi AM. La banque centrale américaine évolue sur un chemin de crête, entre ne pas laisser croire qu’elle reste en retard derrière la courbe de l’inflation, et ne pas surréagir pour ne pas pénaliser la croissance. Force est de constater que, jusqu’à présent, elle réussit parfaitement son exercice de communication», ajoute ce spécialiste des taux. Il rappelle que personne ne croyait encore au printemps qu’elle pourrait enclencher un «tapering» sans hausse des taux longs.

Après le passage de Jerome Powell au Congrès, la courbe des taux américains s’est fortement aplatie par le bas, avec la vente massive des taux 2 ans notamment. Une inversion du sens de la courbe suggère habituellement une récession économique à venir. «Avec les taux de croissance actuels, et une inflation dont peu de facteurs sont encore structurels même si la normalisation de l’économie et des goulots devrait être plus lente que prévu, cela signale plutôt un risque d’erreur de politique monétaire», suggère Patrice Gautry, chef économiste d’UBP. «En effet, les marchés ‘achètent’ l’idée que la Fed réagira suffisamment, mais ils craignent aussi désormais que cela n’affecte un peu la croissance à terme, ce qui se matérialise dans les taux longs», poursuit Eric Bertrand.

Pressions politiques

Finalement, alors que beaucoup font vite le lien entre «tapering» et hausse des taux, le discours sur l’accélération du premier pourrait permettre à la Fed de se donner du temps pour éviter ces écueils. «Avec la forte hausse de l’inflation, la Réserve fédérale a perdu de l’autonomie exprimée dans sa nouvelle stratégie davantage tournée vers l’emploi - dont la lecture reste très difficile malgré les améliorations, poursuit Patrice Gautry. N’oublions pas que le président Joe Biden joue dès maintenant les élections de mid-terms sur ce thème du pouvoir d’achat, et qu’avec la majorité la plus courte au Sénat, le démocrate ‘centriste’ Joe Manchin bloque encore le vote de son plan budgétaire sur les mesures sociales (Build Back Better). Il pourrait éventuellement bloquer celui sur la reconduction de Jerome Powell avec Lael Brainard comme vice-présidente».

Comme d’autres observateurs l’ont aussi suggéré, le revirement soudain du banquier central face aux pressions politiques pourrait ainsi permettre de «faire illusion» jusqu’à fin mars. Avec un possible retour de l’inflation vers 5% grâce aux effets de base favorables attendus sur les prix de l’énergie et de biens comme les voitures d’occasion après avril, Jerome Powell pourrait alors plaider que la Fed a su réagir sans pour autant hâter la hausse des taux, faute de certitudes sur l’emploi. «On a le sentiment qu’il saura encore être pragmatique, regarder l’adaptation des entreprises et des ménages», répète Eric Bertrand.

Le taux de participation à l’emploi est loin d’être normalisé, malgré la baisse du taux de chômage à 4,2%. Et si c’était alors le cas, «un des enjeux portera sur les gains de productivité, car s’ils restent élevés comme en 1995-2005 et au contraire de 2010-2020, ils permettront même des hausses de salaires sans danger pour la croissance», rappelle Patrice Gautry.

Si les analystes n’attendent donc pas de surprise mercredi, la communication de Jerome Powell restera scrutée de près, d’autant que la Fed publiera aussi les prévisions de ses gouverneurs, notamment les «dot plots», sur les hausses de taux. Bien que peu significatifs, ceux-ci font parfois bouger les marchés.

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