
La Fed devrait jouer la montre en accélérant son «tapering»

Ce chiffre ne changera pas la donne. L’inflation publiée vendredi aux Etats-Unis par le département du Travail peut être considérée à peu près conforme aux attentes. L’indice est ressorti en hausse de 0,8% sur un mois en novembre au lieu de 0,7% prévu, mais entame un très léger ralentissement après le 0,9% d’octobre et porte en même temps la progression à 6,8% sur un an en novembre (après 6,2% en octobre), soit un record depuis 1982. Peut-être le signe d’un début de stabilisation, l’indice CPI «core», hors énergie et alimentation, a ralenti à 0,5% sur un mois après 0,6% en octobre, même s’il ressort à 4,9% sur un an après 4,6% en octobre.
Trois hausses de taux en 2022
Sans surprise sur l’inflation, et malgré la nouvelle petite baisse des rendements obligataires qui a suivi vendredi, il ne devrait pas y avoir de coup de théâtre lors du Comité de politique monétaire (FOMC) de la Fed ce mercredi. La plupart des analystes estiment que Jerome Powell annoncera une accélération de la réduction (tapering) du programme d’achats d’actifs (QE) de 120 milliards de dollars par mois. Il s’y est montré favorable lors des entretiens au Congrès les 1er et 2 décembre, avec un revirement de ton notable en décidant de ne plus parler d’inflation «transitoire».
Le «tapering» a débuté le 3 novembre sur un rythme de 15 milliards par mois, et serait donc porté à 30 milliards par mois à partir de début janvier alors que les achats auront déjà été ramenés à 90 milliards, pour une conclusion fin mars. Après quoi, les marchés anticipent désormais près de trois hausses de taux. «Probablement une en juin, une en septembre, et la troisième en novembre ou décembre selon la croissance, analyse Eric Bertrand, directeur des gestions et directeur général délégué d’Ofi AM. La banque centrale américaine évolue sur un chemin de crête, entre ne pas laisser croire qu’elle reste en retard derrière la courbe de l’inflation, et ne pas surréagir pour ne pas pénaliser la croissance. Force est de constater que, jusqu’à présent, elle réussit parfaitement son exercice de communication», ajoute ce spécialiste des taux. Il rappelle que personne ne croyait encore au printemps qu’elle pourrait enclencher un «tapering» sans hausse des taux longs.
Après le passage de Jerome Powell au Congrès, la courbe des taux américains s’est fortement aplatie par le bas, avec la vente massive des taux 2 ans notamment. Une inversion du sens de la courbe suggère habituellement une récession économique à venir. «Avec les taux de croissance actuels, et une inflation dont peu de facteurs sont encore structurels même si la normalisation de l’économie et des goulots devrait être plus lente que prévu, cela signale plutôt un risque d’erreur de politique monétaire», suggère Patrice Gautry, chef économiste d’UBP. «En effet, les marchés ‘achètent’ l’idée que la Fed réagira suffisamment, mais ils craignent aussi désormais que cela n’affecte un peu la croissance à terme, ce qui se matérialise dans les taux longs», poursuit Eric Bertrand.
Pressions politiques
Finalement, alors que beaucoup font vite le lien entre «tapering» et hausse des taux, le discours sur l’accélération du premier pourrait permettre à la Fed de se donner du temps pour éviter ces écueils. «Avec la forte hausse de l’inflation, la Réserve fédérale a perdu de l’autonomie exprimée dans sa nouvelle stratégie davantage tournée vers l’emploi - dont la lecture reste très difficile malgré les améliorations, poursuit Patrice Gautry. N’oublions pas que le président Joe Biden joue dès maintenant les élections de mid-terms sur ce thème du pouvoir d’achat, et qu’avec la majorité la plus courte au Sénat, le démocrate ‘centriste’ Joe Manchin bloque encore le vote de son plan budgétaire sur les mesures sociales (Build Back Better). Il pourrait éventuellement bloquer celui sur la reconduction de Jerome Powell avec Lael Brainard comme vice-présidente».
Comme d’autres observateurs l’ont aussi suggéré, le revirement soudain du banquier central face aux pressions politiques pourrait ainsi permettre de «faire illusion» jusqu’à fin mars. Avec un possible retour de l’inflation vers 5% grâce aux effets de base favorables attendus sur les prix de l’énergie et de biens comme les voitures d’occasion après avril, Jerome Powell pourrait alors plaider que la Fed a su réagir sans pour autant hâter la hausse des taux, faute de certitudes sur l’emploi. «On a le sentiment qu’il saura encore être pragmatique, regarder l’adaptation des entreprises et des ménages», répète Eric Bertrand.
Le taux de participation à l’emploi est loin d’être normalisé, malgré la baisse du taux de chômage à 4,2%. Et si c’était alors le cas, «un des enjeux portera sur les gains de productivité, car s’ils restent élevés comme en 1995-2005 et au contraire de 2010-2020, ils permettront même des hausses de salaires sans danger pour la croissance», rappelle Patrice Gautry.
Si les analystes n’attendent donc pas de surprise mercredi, la communication de Jerome Powell restera scrutée de près, d’autant que la Fed publiera aussi les prévisions de ses gouverneurs, notamment les «dot plots», sur les hausses de taux. Bien que peu significatifs, ceux-ci font parfois bouger les marchés.
Plus d'articles du même thème
-
Les gestionnaires changent leurs vues sur les taux directeurs
Les prévisionnistes sondés par L’Agefi ont davantage touché à leurs prévisions de taux début septembre que début juillet. Ils repoussent la dernière baisse de la Banque centrale européenne à la fin de l’année plutôt qu’en septembre, et voient la Fed relancer prochainement son assouplissement, en parallèle d’une repentification de la courbe. -
L’emploi américain accélère sa dégradation
Les créations d’emplois aux Etats-Unis ont continué à ralentir en août, affectant l'ensemble du marché du travail. Avec des révisions annuelles encore attendues la semaine prochaine, cela pourrait finalement soutenir l’idée d’une baisse des taux des Fed funds encore plus marquée, peut-être dès septembre. -
Fed, dissolution, vote de confiance,... Yves Mazin décrypte une rentrée explosive !
Yves Mazin, co-fondateur de Version Patrimoine et président de la CNCGP, a décrypté l'impact d'un contexte tendu et incertain sur les stratégies patrimoniales des ménages.
ETF à la Une

Xtrackers lance un ETF sur la défense
- A la Société Générale, les syndicats sont prêts à durcir le ton sur le télétravail
- Revolut s’offre les services de l’ancien patron de la Société Générale
- Boeing essaie de contourner la grève en cours dans ses activités de défense
- Les dettes bancaires subordonnées commencent à rendre certains investisseurs nerveux
- Mistral AI serait valorisé 12 milliards d’euros par une nouvelle levée de fonds
Contenu de nos partenaires
-
Infrapolitique
« La crise du politique » – par Raphaël LLorca
La rupture entre les Français et la classe politique est tellement documentée et a fait l’objet de tellement de commentaires qu’on n’y prend plus vraiment garde, alors que la rupture est historique, souligne l'essayiste Raphaël LLorca dans sa chronique pour l'Opinion -
Incitation
Allemagne : les avantages fiscaux pour maintenir les retraités en activité sous le feu des critiques
Le chancelier Friedrich Merz veut permettre aux retraités de gagner jusqu'à 2 000 euros par mois totalement défiscalisés dès 2026 -
Népal: au moins 16 morts à Katmandou pendant une manifestation contre la censure des réseaux sociaux et la corruption
Katmandou - Au moins 16 personnes ont été tuées et une centaine blessées lundi dans la capitale népalaise Katmandou, lorsque la police a dispersé une manifestation contre le blocage des réseaux sociaux et la corruption du gouvernement. «Seize personnes sont malheureusement décédées selon un décompte auprès des hôpitaux. Une centaine d’autres ont été hospitalisées, dont des policiers», a annoncé à l’AFP un porte-parole de la de la police, Shekhar Khanal. Des affrontements étaient toujours en cours en fin d’après-midi dans les rues de Katmandou, où la police tentait de disperser le dernier carré des protestataires, selon des journalistes de l’AFP. Le gouvernement du Premier ministre KP Sharma Oli devait se réunir en urgence en soirée pour faire le point de la situation. Les forces de l’ordre sont intervenues lorsqu’une foule de plusieurs milliers de personnes s’est rapprochée du Parlement, dont elles avait bloqué l’accès, notamment avec des barbelés. Certains manifestants ont alors tenté de franchir le cordon de sécurité mis en place par la police. «Nous avons utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau quand les manifestants ont pénétré dans la zone interdite», a justifié auprès de l’AFP le porte-parole de la police. Selon des témoignages anonymes publiés par les médias locaux, la police a tiré à balles réelles sur la foule pour la contenir. L’AFP n’a pas été en mesure de confirmer immédiatement ces informations. Au moins trois des victimes ont succombé à leurs blessures à l’Hôpital civil de Katmanadou tout proche, qui a accueilli plus de 150 blessés, selon une porte-parole de l'établissement, Ranjana Nepal. «Je n’ai jamais vu un tel chaos à l’hôpital», a-t-elle dit à l’AFP. «Les gaz lacrymogènes se sont propagés dans les locaux et ont rendu difficile le travail des médecins». «Pratiques autoritaires» Le ministère népalais de la Communication et des Technologies de l’information a annoncé jeudi avoir ordonné le blocage de 26 plateformes, dont Facebook, Youtube, X et Linkedin, qui ne se sont pas enregistrées auprès de lui dans les délais. En application d’un arrêt rendu en 2023 par la Cour suprême, le ministère exige qu’elles nomment un représentant local et une personne chargée de la régulation de leurs contenus. Cette décision, qui a continué lundi à perturber de nombreuses activités, a convaincu de nombreux usagers en colère de descendre dans la rue. Les manifestants se sont rassemblés dans la matinée en brandissant des drapeaux nationaux et en chantant l’hymne national, avant de lancer des slogans hostiles au gouvernement. «Nous sommes là pour dénoncer le blocage des réseaux sociaux mais ce n’est notre seule motivation», a déclaré à l’AFP un étudiant, Yujan Rajbhandari, 24 ans, «nous dénonçons aussi la corruption institutionnalisée au Népal». «Cette décision traduit les pratiques autoritaires du gouvernement et nous voulons que ça change», a renchéri un autre, Ikshama Tumrok, 20 ans. Depuis l’entrée en vigueur du blocage, les plateformes encore en service, comme Tik Tok, sont inondées de vidéos mettant en cause la vie luxueuse des enfants de responsables politiques. «Il y a eu des mobilisations contre la corruption partout dans le monde, ils (nos dirigeants, ndlr) redoutent qu’il en soit de même ici», a commenté un autre protestataire, Bhumika Bharati. Dans une déclaration publiée dimanche, le gouvernement a démenti vouloir grignoter les libertés de pensée et d’expression et affirmé que sa décision visait à créer «un environnement destiné à leur protection et à leur libre exercice». Il a répété que le fonctionnement des plateformes visées serait rétabli sitôt le dépôt d’une demande d’enregistrement de leur part. Le blocage décrété jeudi n’est pas inédit. En juillet dernier, le gouvernement avait déjà suspendu la messagerie Telegram en raison, selon lui, d’une hausse des fraudes en ligne. Paavan MATHEMA © Agence France-Presse