
La BCE va commencer son travail de conviction

Les économistes suivent les surprises répétées de l’inflation, les marchés tentent de les anticiper, et la Banque centrale européenne (BCE) de les contrer… Dans ces conditions, la réunion de politique monétaire de jeudi ne modifiera pas la trajectoire restrictive entaméeen février, et confirmée en mars malgré la guerre en Ukraine. Sans donner de calendrier, l’institution de Francfort devrait confirmer «sa volonté d’en faire davantage si l’inflation était amenée à être plus forte et plus persistante que prévu, ce qui continuerait à alimenter la correction haussière des taux en zone euro», note Franck Dixmier, directeur des investissements fixed income d’Allianz GI.
Combattre l’inflation…
Même si la présidente Christine Lagarde a expliquéle 10 mars que la BCE pourrait réviser en juin - dans les deux sens - le calendrier alors annoncé de la fin de son programme d’achats d’actifs (APP) régulier, la plupart des analystes estiment qu’elle ne peut plus le faire. Pour une question de crédibilité sur son mandat, l’inflation en zone euro, qui a encore surpris avec 7,5% au lieu des 6,6% attendus en mars, appelle une action sur le taux de dépôt (-0,50%). Vendre les taux courts – par les deux hausses de 25 points de base (pb) plus ou moins directement discutées par le Conseil des gouverneurs – tout en continuant à acheter les taux longs risquerait d’aplatir la courbe, ce qu’elle voudra éviter au maximum… «La fin de l’APP le 30 juin est quasi certaine car c’est un signal fort, demandé par les pays ‘cœur’», confirme Sébastien Galy, stratégiste macro de Nordea. Quoi qu’en disent ceux qui craignent un risque de fragmentation accrue avec les pays périphériques.
… et les anticipations
Un autre argument porte sur les anticipations d’inflation. Beaucoup regardent les swaps d’inflation 5 ans dans 5 ans, passés de 1,9% à 2,3% depuis janvier. «Nous observons plutôt les forward sur points morts d’inflation (breakeven) 1 ans dans 3 ans, en zone euro comme aux Etats-Unis, et ceux-ci sont 75 à 100 pb au-dessus de ce qu’ils étaient en 2018 (dernier resserrement monétaire), indique Francis Yared, directeur de la recherche taux chez Deutsche Bank. Il nous semble que, contrairement à la décennie précédente, les conditions ont été réunies ces trois dernières années pour un changement de régime d’inflation : un choc d’offre avec la pandémie puis la guerre, une politique monétaire ultra-accommodante, un recul sur la mondialisation, et surtout une politique budgétaire forte. C’est le moteur de l’inflation CPI, au-delà de l’énergie et des goulots d’étranglement, à laquelle les entreprises ont transmis les hausses des coûts de productions (PPI) pour les biens durables. En situation de plein emploi, cela peut entraîner une hausse des salaires.»
En partant du fait qu’il faudrait ajouter au taux neutre nominal une «prime d’inflation» pour stopper plus vite les anticipations, Deutsche Bank a arrêté une fourchette pour le taux terminal de la BCE entre 1,75% et 2,75% fin 2023. Or les valorisations par les marchés de swaps arrivent plutôt autour de 1,25%... Cette incohérence démontre une forme d’incertitude, «tant que la BCE n’aura pas commencé sa hausse des taux, contrairement à la Fed», observe Antoine Bouvet, stratégiste taux chez ING.
… malgré les risques sur la croissance
Pour les marchés, les 2 hausses de 25 pb au second semestre (septembre et décembre) sont donc plus que probables. «Avec un risque de voir la première avancée à juillet», ajoute Francis Yared. «L’inflation actuelle est une vraie ‘opportunité’ de se redonner des marges de manœuvre monétaire en zone euro, avec ou sans embargo sur le gaz russe (et alors une possible récession en zone euro, ndlr). Nous voyons pour l’instant le taux terminal à 0,75%, mais nous avons du mal à nous projeter au-delà de cette ‘normalisation’, précise Antoine Bouvet. Or ce sont les hausses d’après qui compteront. En théorie, elles devraient prendre en compte les perspectives de croissance, sachant que, quand la Banque centrale européenne devra les décider, son homologue américaine aura peut-être déjà inversé son mouvement face au ralentissement.» La BCE ne devrait pas être aussi «brutale» que son homologue américaine. «Mais elle doit aussi remonter ses taux rapidement parce que l’euro-dollar est beaucoup trop faible (1,09), ce qui pèse sur l’inflation importée et n’est plus tenable politiquement face aux alliés américains», considère Sébastien Galy.
Le message de jeudi devrait donc être axé autour de ces explications, quitte à laisser de côté les perspectives de croissance. Anticipant cela, le membre (italien) du Conseil d’administration Fabio Panetta, a rappelé le 6 avril que laisser la banque centrale lutter seule contre l’inflation, sans un soutien fiscal ciblé, serait «extrêmement coûteux» pour la zone euro.
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