La BCE devra dépasser ses divisions sur la remontée des taux

Le Conseil de jeudi devrait procéder à une hausse de 25 points de base, et confirmer sa volonté de dépendance aux données.
Christine Lagarde, la  présidente de la BCE, et Philip Lane, chef économiste de la BCE
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, et Philip Lane, chef économiste de la BCE, chercheront un compromis jeudi.  -  Copyright ECB / Bernd Hartung

Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), qui se réunira le 4 mai, a basculé du côté restrictif depuis début 2022. Sans conséquence négative en cette année où l’inflation, tirée par la réouverture de l’économie et les coûts de l’énergie, n’a cessé d’augmenter. Mais le compte-rendu de la réunion de mars, en pleines turbulences sur le secteur bancaire américain, suggère que l’ambiance pourrait désormais se dégrader du fait d’une division croissante entre les membres du Conseil.

Pas de pause sans retournement de l’inflation sous-jacente

Pour jeudi, il ne fait donc aucun doute que la BCE poursuivra la hausse des taux initiée en juillet 2022. La question est de savoir si elle optera pour une hausse de 25 points de base (pb), ou de 50 pb ainsi que l’ont projeté certains gouverneurs depuis mars. Les membres considérés comme modérés tels François Villeroy de Galhau, Luis de Guindos ou Christine Lagarde ont estimé sans en préciser l’ampleur qu’il restait «du chemin à faire» dans la lutte contre l’inflation. L’indice européen HICP a diminué de 8,5% à 6,9% grâce aux effets de base sur l’énergie en mars, mais l’inflation sous-jacente a continué à augmenter de 7,4% à 7,5% hors énergie et alimentation, de 5,6% à 5,7%, en excluant en plus l’alcool et le tabac. «La BCE a eu une discussion sur la question de savoir si l’inflation ‘core’ était déjà à un tournant, mais n’a pu identifier de preuve tangible. Dans le même temps, un certain nombre de membres ont estimé les risques orientés à la hausse sur tout l’horizon d’étude, ajoutant un doute sur les projections d’une inflation convergeant vers 2% en 2025», a commenté Carsten Brzeski, directeur de recherche Macro chez ING. «L’inflation sous-jacente rebaisse habituellement environ six mois après le pic sur l’inflation énergétique, atteint au milieu de l’automne selon nos modèles», indique Mathieu Savary, responsable de la stratégie européenne chez BCA Research.

Ces risques sur l’inflation de base, qui serait gonflée par les salaires et par les profits, apportent des arguments aux plus «faucons» pour une hausse de 50 pb, alors que les consensus tablent sur 25 pb. Le 20 avril, le gouverneur néerlandais Klaas Knot s’est dit «à l’aise» avec les prévisions des marchés d’un taux terminal plus restrictif - à 3,75% en juillet - que les 3% actuels tant que la dynamique d’inflation sous-jacente ne s’inverse pas «de manière convaincante». La veille, Isabel Schnabel avait montré que l’inflation actuelle s’expliquait entièrement par un choc de demande, non plus par un choc d’offre. Mais les variations saisonnières indiquent que c’était aussi le cas début 2022, avec les soldes et les réservations de vacances, puis mi-2022, pour les mêmes raisons. «Les taux réels allemands, stables autour de 0%, et le spread avec les taux italiens à 10 ans, également stable au-dessous de 200 pb, vont dans le sens de conditions financières toujours accommodantes et du maintien d’une orientation ‘hawkish’», note Jonathan Day, gestionnaire chez Newton IM. Mais pour lui, une nouvelle hausse de 50 pb ne serait pas une surprise.

Les dernières projections économiques de la BCE sont probablement plus cohérentes aujourd’hui qu’en mars, «mais nous doutons que la combinaison d’un retour de la croissance début 2024 avec l’inflation qui continue de baisser jusqu’en 2025 soit faisable», poursuit Carsten Brzeski. Celui-ci estime que les deux courbes vont de pair. «Outre l’inflation, qui pose toujours problème, la BCE va regarder la croissance, qui semble résiliente en zone euro d’après les dernières enquêtes PMI (notamment des services, en hausse en avril avant la publication du PIB du 28 avril, ndlr), et également les conditions de l’octroi de crédit au travers de la Bank Lending Survey (BLS) du 2 mai», complète Romane Ballin, gérante obligataire chez Auris Gestion. L’enquête pourrait indiquer un resserrement des conditions de crédit plus fort qu’en janvier, estiment les stratégistes de Morgan Stanley, qui voient aussi un ralentissement économique plus marqué que la BCE en zone euro au deuxième semestre. «La masse monétaire M1 et les flux de crédits aux ménages et aux entreprises sont déjà en chute libre en zone euro où, du fait de la place des banques par rapport aux marchés obligataires et de la place des taux variables dans l’immobilier, la transmission est plus rapide qu’aux Etats-Unis», rappelle Mathieu Savary à propos des indicateurs plus avancés.

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Quels délais de transmission ?

Au-delà de la réunion du 4 mai, l’économiste en chef Philip Lane a affirmé que la BCE dépendra encore «des données économiques», et que les Etats européens devraient réduire leurs boucliers énergétiques pour faciliter la trajectoire maintenant que les prix de l’énergie baissent. Cette insistance répétée autour de la fin des orientations prospectives et de la dépendance aux données continue de poser problème aux gouverneurs moins restrictifs («colombes»). Ceux-ci ont rappelé dès février la nécessité de prendre en compte les délais de transmission du resserrement monétaire, souvent sous-estimés par le passé, et de procéder par paliers. «Il semble y avoir une divergence croissante entre les membres de la BCE sur ce sujet. Et cela s’est illustré par le fait que certains membres auraient préféré mettre le cycle de hausse des taux en pause en mars», remarque Carsten Brzeski. La plupart des analystes anticipent donc un compromis à 25 pb en mai, «sans changement sur le rythme de réduction du bilan les réinvestissements du programme confèrent une certaine flexibilité qui peut être utile dans les épisodes de volatilité», ajoute Romane Ballin, et espèrent que les turbulences bancaires de mars auront rappelé à la banque centrale les risques liés à la hausse des taux.

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