
L’Eltif fait peau neuve

C’est l’histoire d’une seconde chance. Le 15 février dernier, le Parlement européen a adopté l’accord de trilogue sur la révision de l’Eltif (European Long-Term Investment fund). Ces véhicules portés sur les fonts baptismaux en 2015 ambitionnaient de flécher l’épargne des institutionnels et des particuliers haut de gamme vers des projets d’infrastructure, des sociétés non cotées ou des petites et moyennes entreprises (PME) cotées, qui émettent des instruments de capitaux propres ou de dette. « Jusqu’en 2015, l’industrie était confrontée à l’absence de véhicule de distribution pour des actifs privés qui soit équivalent à l’Opcvm, passeportable dans tous les pays de l’Union européenne, rappelle Dominique Carrel-Billiard, directeur des métiers Actifs réels pour Amundi. En 2016, nous avons ‘enfourché’ le véhicule Eltif, qui visait une diffusion large des actifs réels, notamment sur les marchés non domestiques ». Huit ans plus tard, Amundi comptabilise huit véhicules européens de long terme pour quelque 500 millions d’euros sous gestion. Un exploit. Car si l’Union européenne a souhaité, au travers de cette structure, donner aux investisseurs professionnels et privés fortunés un accès uniforme et réglementé à des classes d’actifs illiquides, en réalité ce produit n’a jamais rencontré son public. Sur la base d’une enquête menée auprès des gestionnaires d’actifs et des estimations de Scope réalisées à partir de 53 produits enregistrés et commercialisés, le marché aurait atteint entre 7,2 et 7,7 milliards d’euros à la fin de 2021.
Souplesse
L’Eltif 2.0 vient gommer certains défauts de la première mouture, en s’attaquant aux conditions de commercialisation et à la structuration même de ces produits (ratios, actifs éligibles, reconnaissance des schémas maîtres-nourriciers). Tikehau Capital s’est lancé dans l’aventure en 2020 en élaborant et gérant un véhicule de private equity destiné à l’espagnol Banca March. « Pour distribuer ce type de fonds, nous souhaitions privilégier un distributeur disposant d’une banque privée », souligne Geoffroy Renard, secrétaire général de Tikehau Capital. Concomitamment, le gestionnaire avait également envisagé un Eltif de dettes privées, mais resté dans les cartons faute de partenaire distributeur. « Le principal écueil de ce produit tenait à ses difficultés en matière de commercialisation, poursuit-il. Ses règles de ventes imposaient des contraintes additionnelles aux règles posées par la directive Mif, comme par exemple un test de pertinence spécifique des besoins du client. Eltif 2.0 desserre ces contraintes et retient Mif comme un tronc commun en termes de commercialisation ». Bruxelles a également voulu ouvrir grand les portes du non coté en le démocratisant auprès de tous types d’investisseurs privés. « Alors qu’un ticket d’entrée de 10.000 euros d’investissement était imposé aux particuliers détenant moins de 500.000 euros d’avoirs financiers, ce seuil est supprimé dans le cadre de l’Eltif révisé, se félicite Alexandre Koch, directeur actifs réels et privés au sein de l’AFG. Il en est de même, pour cette même catégorie d’épargnants, concernant la limite de 10 % du portefeuille d’instruments financiers alloué à un ou plusieurs Eltif. Cette contrainte, qui était difficile à vérifier d’un point de vue opérationnel, disparaît. »
A l’actif de l’Eltif, les règles du jeu ont été aussi nettement améliorées. « Les sous-jacents éligibles permettent plus de souplesse, illustre Geoffroy Renard. Il n’était par exemple pas possible de retenir un actif immobilier dont la valeur de marché était inférieure à 10 millions d’euros. Cette obligation saute. » Autre évolution, les actifs plus liquides (titres vifs cotés, Opcvm…) ne pesaient que pour 30 % maximum de l’encours du fonds paneuropéen, ils pourront désormais atteindre 45 %, « permettant une plus grande diversification et une liquidité du fonds », assure Alexandre Koch. Autre assouplissement, les nouveaux ratios de diversification et d’emprise donnent davantage de coudées franches aux gérants. Le texte fondateur imposait à ce produit qu’il n’investisse pas plus de 10 % de son capital directement ou indirectement dans un seul et même actif physique ou en prêts ou en instruments émis par une seule et même entreprise éligible. Cette limite a été réhaussée à 20 %. « La notion même d’entreprise a été revue notamment pour englober les sociétés cotées jusqu’à une capitalisation de marché de 1,5 milliard d’euros, contre 500 millions jusqu’à présent », compare Geoffroy Renard. Mais l’évolution la plus saluée tient sans doute de la possibilité de structurer des fonds de fonds de manière optimale. « Il était quasi impossible de retenir un schéma fonds de fonds, seuls les produits relevant du label Eltif pouvant être sélectionnés en sous-jacents », rappelle Dominique Carrel-Billiard. L’offre des fonds européens de long terme étant pour le moins restreinte, l’élaboration de fonds master feeders étaient pour ainsi dire impossible. «Désormais il sera autorisé de loger à côté d’autres Eltif, des FIA - fonds d’investissement alternatifs -, à condition toutefois qu’ils respectent certaines règles et notamment celle d’investir dans le même univers que l’Eltif » nuance Alexandre Koch. En creux, cette diversification apporte une meilleure gestion du risque de millésimes, de stratégies, de classes d’actifs, de maisons de gestion «ce qui représente est une réelle nouveauté pour les actifs privés, poursuit Dominique Carrel-Billiard et la promesse d’une véritable démocratisation de ces marchés».
Modifier le code des assurances
Le satisfecit semble général. L’Eltif 2.0 nourrit les ambitions de l’industrie au-delà de leurs frontières domestiques. « Cependant, ce produit repensé va tout de même devoir faire ses preuves face aux offres locales déjà bien implantées, appuie Dominique Carrel-Billiard. Par exemple, il sera sans doute plus difficile d’imposer un Eltif immobilier en Allemagne, place où les fonds ouverts immobiliers sont légion. En revanche, le statut Eltif sera sans doute la voie royale pour structurer des stratégies de dettes privées jusqu’à présent totalement absentes des guichets des banques de réseau, en Europe. »
En France, les espoirs se tournent vers le régulateur. L’élargissement de la base de clientèle ne se fera pas sans recourir à l’assurance vie. « Il n’existe pas sur le marché hexagonal de fonds diversifiés qui panachent les classes d’actifs à destination des investisseurs privés, soulève Alexandre Koch. Il faudrait modifier le Code des assurances pour permettre de loger dans une unité de compte un OFS (Organisme de financement spécialisé) Eltif ou un FPS (fonds professionnel spécialisé) Eltif, y compris si le FPS est investi majoritairement en dettes ».
Les modifications introduites dans le règlement devront être complétées des standards techniques (RTS) rédigés par l’Esma (European Securities and Markets Authority), pour une entrée en application du règlement révisé d’ici à neuf mois.
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