L’inclusion, une valeur en hausse dans le monde de la gestion d’actifs

La part des femmes et des minorités dans les instances dirigeantes des asset managers progresse. Trop lentement encore.
La diversité, l’équité et l’inclusion mixité équipe team capital humain réunion conseil
La diversité, l’équité et l’inclusion continuent à s’imposer, souvent sous la pression des investisseurs  -  Crédit Joseph Mucira / Pixabay

Féminiser les directions des entreprises : les asset managers en parlent mais ne l’appliquent pas toujours. La cinquième édition du Gender Diversity Index de L’Agefi, élaboré en partenariat avec Ethics & Boards, montre des résultats contrastés entre le panel international – en particulier les sociétés de gestion américaines – et le panel des dix premières sociétés de gestion françaises.

En effet, parmi les asset managers américains qui ont accepté de participer à l’enquête, on constate un léger recul de la représentation des femmes dans les conseils d’administration. La moyenne des femmes disposant d’un siège est de 31,3 % contre 32,9 % en 2021. Le ratio est cependant au-dessus de la moyenne des sociétés cotées aux Etats-Unis (23,9 %). La part moyenne des femmes siégeant dans les comités exécutifs (comex) ou équivalents est restée globalement inchangée, à 28,4 % contre 28,9 % en 2021.

La grande majorité des entreprises américaines n’est soumise à aucune réglementation, ce qui pourrait expliquer à la fois le refus de rendre publiques certaines informations et la faible évolution de la représentation des femmes dans ces instances. Quelques Etats seulement (Californie, Illinois, Maryland, New York, Washington, et plus récemment Hawaï), dans lesquels 30 % environ des 500 principales capitalisations boursières américaines sont enregistrées, ont imité l’exemple européen. D’autres Etats (Pennsylvanie, Massachusetts) sont restés au stade des principes.

Mais s’agissant de la diversité au sens large (minorités...), le secteur financier n’échappe pas à l’examen de conscience auquel sont soumis les acteurs économiques depuis l’affaire George Floyd. Le Congrès et le gendarme financier américain (SEC) ont publié des rapports permettant de dresser un état des lieux pessimiste de l’égalité des chances des minorités visibles et invisibles.

A défaut de quotas, les sociétés de gestion pourraient bientôt être soumises à une nouvelle réglementation. Le président de la SEC, Gary Gensler, a annoncé en septembre dernier la publication, courant 2023, de règles de reporting sur la composition des conseils d’administration. En comparaison, les sociétés du panel français continuent d’afficher des chiffres en progression respectivement de 5 % et 3 % pour les conseils d’administration et les comex (lire ‘3 questions à…), conséquence de l’entrée en vigueur de la loi Copé-Zimmermann et de la mise en conformité progressive avec la loi Rixain. A l’instar de la France et de quelques autres pays (Italie, Espagne, Allemagne, Pays-Bas, Belgique), l’Union européenne vient de renforcer son dispositif réglementaire en faveur des quotas, avec l’adoption en novembre 2022 par le Parlement, après dix années de débats, de la directive Women on Boards. A compter du 30 juin 2026, les Etats membres, qui disposent d’un délai de deux ans pour transposer le texte en droit national, devront s’assurer que les entreprises cotées atteignent l’objectif de 40 % de femmes pour les administrateurs non exécutifs, ou de 33 % pour l’ensemble des administrateurs. Des travaux récents publiés en octobre 2022 par deux équipes de recherche basées au Royaume-Uni concluent à la faible efficacité des engagements volontaires, en regard d’une loi ou d’une réglementation (1).

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Ces mêmes travaux citent le Royaume-Uni comme un contre-exemple de l’échec constaté des initiatives volontaires, avec des résultats comparables à la France ou à la Norvège. Les 40 sociétés de gestion signataires de la charte Woman in Finance cherchent à se conformer aux meilleures pratiques. Ainsi, le conseil d’administration de Schroders, qui en outre a nommé Elizabeth Corley à sa tête en avril 2022, est constitué à 50 % de femmes. En tout, « 30 % des membres de notre comité exécutif sont des femmes », explique Melisa Fung, spécialiste inclusion et diversité chez Schroders. Le conseil d’administration d’abrdn est quant à lui non seulement équilibré, avec 50 % de femmes, mais compte également deux administrateurs issus de minorités ethniques, selon Heather Inglis, responsable de la diversité, de l’équité et de l’inclusion chez abrdn.

L’amélioration de la représentation des femmes reste la priorité dans l’ensemble des sociétés, avec une attention particulière à l’identification des talents et à la mise en place de programmes d’accompagnement dans des « viviers ». « Les femmes représentaient 42 % des talents en 2021, elles sont 44 % en 2022 », indique Marion Azuelos, directrice des ressources humaines (DRH) de BNP Paribas AM. Elles sont 41 % dans le vivier d’abrdn.

Des postes sous tension

Les processus de recrutement sont ainsi en évolution permanente. Chez Janus Henderson et Schroders, les chantiers les plus importants ont porté sur les biais cognitifs qui constituent des freins inconscients au recrutement de candidats issus de la diversité dans toutes ses acceptions. « Notre entité aux Etats-Unis a fait des formations passionnantes et utiles sur les biais cognitifs. Nous généraliserons cette approche à l’ensemble du groupe dans les dix-huit mois à venir », indique Isabelle Senéterre, DRH d’Amundi.

En revanche, le recrutement et la promotion de femmes dans certains postes restent tendus. « De 27 % en 2020, la part des femmes occupant des ‘senior management positions’ est passée à 31 % en 2021 et à 35 % en 2022, pour environ 75 postes. Nous aimerions être à 40 % en 2025. Ce n’est pas simple étant donné la part des métiers de la vente et de la gestion dans ces postes, traditionnellement peu féminisés », selon Marion Azuelos, qui précise que les femmes représentaient 25 % des effectifs dans les équipes de gestion à fin 2022. « Bien que nous ayons atteint notre objectif de diversité ethnique dans les postes de direction en 2022, nous sommes en train de réévaluer les autres objectifs (femmes dans des postes senior, origine ethnique). Non pas en termes d’ambition, mais nous pensons reculer l’horizon de temps en raison de la crise économique, un élément nouveau depuis la publication de nos objectifs mi-2022 et qui affecte notre politique RH », explique Demesha Hill, responsable de la diversité et des relations communautaires chez Janus Henderson.

L’ensemble des sociétés du secteur publie désormais des objectifs d’amélioration de la diversité, de l’égalité des chances et de l’inclusion de leurs salariés, ce qui les amène à collecter des données de plus en plus granulaires.

Pour les sociétés européennes qui y sont implantées, le Royaume-Uni et les Etats-Unis restent un laboratoire pour améliorer la diversité, l’équité et l’inclusion dans les entreprises en raison de la possibilité de collecter des données socio-économiques et ethniques, avec une granularité importante. La dernière édition du rapport Women in Finance Charter (2), publiée en juin 2022, témoigne de l’augmentation des informations collectées au Royaume-Uni en l’espace d’une année, avec un doublement des sociétés collectant des données relatives à l’ethnicité. Elles sont également beaucoup plus nombreuses à recueillir des informations relatives à l’orientation sexuelle, au handicap et à l’identité de genre (voir le graphique). Quant aux Etats-Unis, la collecte de données y est réglementée, basée sur le volontariat.

Aussi, les rapports sur la diversité des sociétés anglo-saxonnes affichent un niveau de détail que ne peuvent pas fournir la plupart des sociétés françaises. « Nous visons à augmenter la représentation des minorités ethniques dans l’ensemble à 16 % et à porter celle des cadres supérieurs à 13 % d’ici à 2023. Nous continuons à nous appuyer sur nos partenariats qui visent à accélérer le changement dans le secteur », explique Melisa Chung. L’atteinte d’objectifs relatifs à des leviers de changement – liés à la représentation du genre et de l’ethnicité – a été intégrée au tableau de suivi stratégique des directeurs exécutifs d’abrdn.

L’enquête sur le sentiment d’inclusion menée en 2021 et 2022 par Axa IM a été globale, avec des données anonymisées et recueillies sur la base du volontariat. Des données plus détaillées en 2023 seront collectées au Royaume-Uni, toujours auprès des salariés qui le souhaitent, selon Amit Singh, responsable inclusion, diversité et engagement chez Axa IM.

« Le recensement des ethnies reste un sujet sensible, mais c’est un enjeu clé pour avancer sur les questions de diversité et d’inclusion. Nous nous calons sur les réglementations locales, explique Marion Azuelos. Aux Etats-Unis, c’est là que la question est la plus avancée, avec des données collectées auprès de plus de 90 % de nos salariés. Nous constatons également que ces informations nous sont demandées dans un nombre croissant d’appels d’offres, tandis que nous n’avons pas de telles données en France. C’est néanmoins une réflexion menée au niveau du groupe BNP Paribas. » Les réflexions et les initiatives relatives à la collecte de données socio-économiques ont progressé à la faveur du test mené par le précédent gouvernement. France Invest va elle aussi réaliser une enquête sur le sentiment d’inclusion, en partenariat avec Mosaïk RH, qui a déjà accompagné Ardian dans une démarche similaire en 2021. « Trois angles ont été identifiés : la diversité sociale et culturelle, le handicap et la communauté LGBTQ+. Il s’agira de la première étude à l’échelle de toute notre communauté », annonce Claire Chabrier, présidente de France Invest, l’association des professionnels du capital-investissement.

Accompagner l’inclusion

Le groupe de travail « Diversités, vecteur de compétitivité » de l’Association française de la gestion financière (AFG) a publié en 2022 un guide pour accompagner les sociétés de gestion vers une plus grande inclusion du handicap. Un guide sur l’inclusion au sens large devrait paraître en 2023. « Entre autres sujets, nos membres vont se pencher sur des thématiques transverses à toutes les diversités : discriminations, micro-agressions, différence entre équité et égalité, bonnes pratiques du recrutement inclusif », confie Juba Ihaddaden, économiste à l’AFG.

Il s’agit d’accompagner l’inclusion de nouvelles populations sous-représentées ou bien jusqu’alors peu prises en compte : les salariés issus de minorités ethniques, mais également des salariés en situation de handicap, tout en développant un cadre de travail multigénérationnel harmonieux visant à améliorer le taux de rétention des salariés.

« La gestion d’actifs est moins attractive depuis quelques années. Il faut que nous nous adaptions pour y remédier, raison pour laquelle nous souhaitons développer une image de marque inclusive, reflet de nos actions concrètes », explique Frédéric Clément. « Nous portons une attention particulière à la dimension ethnique et au handicap notamment. Sur ce dernier point, nous avons observé que certains de nos salariés souffrent d’un handicap qui peut être invisible et ne souhaitent pas le déclarer », poursuit-il.

Janus Henderson, dont 6 % des salariés ont déclaré souffrir d’un handicap, a mis en place un programme d’accompagnement ambitieux. La société a créé un groupe de recherche sur les salariés, qui se concentre non seulement sur les handicaps physiques ou invisibles mais aussi sur la santé mentale. « Nous considérons que cette démarche, tout en nous différenciant fortement de nos concurrents, nous permet de nous assurer que notre approche est connue de tous, et que chacun dispose de l’assistance nécessaire », explique Demesha Hill.

La marque du Covid

Les DRH ne ménagent pas leurs efforts pour attirer et, surtout, retenir les talents. En outre, les sociétés de gestion cherchent à faciliter le retour à l’emploi.

L’organisation du travail a été durablement transformée à l’occasion de l’épidémie de Covid, qui a également obligé certains salariés et particulièrement les femmes, à quitter leur poste. « Nous savons que nous n’avons pas atteint certains de nos objectifs en raison de la pandémie. En effet, les femmes ont été plus affectées que les hommes – elles se sont occupées des enfants, de leurs parents par exemple –, ce qui a amené certaines d’entre elles à cesser leur activité salariée. Nous avons tenté de mettre en place un modèle hybride de poste de travail qui leur permette de rester actives tout en gérant leurs responsabilités personnelles, explique Demesha Hill. Nous misons sur une culture d’entreprise inclusive pour y parvenir. » Selon elle, ce n’est pas uniquement une question de salaire, l’ensemble des prestations complémentaires compte également. Janus Henderson a par exemple mis en place des cours de fitness subventionnés, ou encore une participation financière pour les salariés qui voudraient poursuivre leurs études.

Voilà cinq ans, la flexibilité au travail était jugée impossible, notamment pour les métiers de l’investissement. L’épidémie de Covid ayant imposé la digitalisation de l’ensemble des postes de travail, le télétravail est désormais vu comme un avantage compétitif. « Nous devons arriver à différencier notre proposition employeur de celle de nos confrères et avancer plus rapidement sur ces sujets. Assumons le fait d’être plus ‘caring‘, de donner plus de sens au travail et de développer une organisation du travail flexible et basée sur la confiance, en proposant jusqu’à trois jours de télétravail par semaine à nos équipes », déclare Frédéric Clément. Pour que chacun soit gagnant.


NOTES

(1) « The Effectiveness of Gender Diversity Reforms and the Impact of a Familial Culture: A Spillover Effect on Board Independence », Jannine Poletti-Hughes et Dilrukshi Dimungu-Hewage, 13/10/2022, et « Realizing Gender Diversity on Corporate Boards », Wei Kang, John K. Ashton, Ayan Orujov, Yang Wang, 18/10/2022.

(2) 400 sociétés sont signataires de la charte, dont 40 sociétés de gestion, voir « HM treasury women in finance charter: annual review 2021 ».

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D\u00e8s f\u00e9vrier 2011, le gouvernement britannique a lanc\u00e9 l\u2019initiative Women on Boards, recommandant aux entreprises du FTSE 100 de viser un minimum de 25 % de repr\u00e9sentation f\u00e9minine au sein des conseils d\u2019administration d\u2019ici \u00e0 2015.<\/p>\r\n\r\n

Cinq ans plus tard, en 2016, en r\u00e9action \u00e0 un rapport qui estimait \u00e0 14 % la part des femmes si\u00e9geant dans les comit\u00e9s ex\u00e9cutifs du secteur financier, le Tr\u00e9sor britannique publie la charte Women in Finance.<\/p>\r\n\r\n

En juin 2021, la Financial Conduct Authority (FCA), la Banque d\u2019Angleterre (BoE) et la Prudential Regulatory Authority (PRA) ont lanc\u00e9 des r\u00e9flexions (discussion papers<\/em>) sur l\u2019am\u00e9lioration de la diversit\u00e9 dans le secteur financier. Une consultation devrait \u00eatre publi\u00e9e au cours de l\u2019ann\u00e9e 2023.<\/p>\r\n\r\n

En avril, la FCA a renforc\u00e9 les obligations de publication des soci\u00e9t\u00e9s cot\u00e9es. Au total, 40 % des membres du conseil d\u2019administration devront \u00eatre des femmes, dont une occupant un poste de direction, et un membre du conseil d\u2019administration devra \u00eatre issu d\u2019une minorit\u00e9 ethnique, selon la r\u00e8gle du \u00ab comply or explain<\/em> \u00bb.<\/p>\r\n»,"format":"light_html"},"image":0,"legend":"","credit":""}

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