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Stratégie d’investissement, les assureurs innovent

Au cours de la décennie précédente, les conditions économiques ont largement bénéficié aux marchés financiers. Les taux d’intérêt ont atteint des niveaux historiquement bas, l’inflation est restée modérée et l’interventionnisme des banques centrales a engendré un flux de liquidité abondant et continu.
Face à des rendements obligataires en baisse, les assureurs ont été contraints de trouver des opportunités au-delà de leurs allocations traditionnelles en obligations gouvernementales, corporate investment grade et monétaire. Ils sont allés chercher des primes de liquidité et de risque sur les marchés obligataires à haut rendement (high yield), la dette privée, l’immobilier et autres classes d’actifs alternatifs afin d’atteindre leur taux cible, couvrir leurs engagements à long terme et diversifier leurs portefeuilles.
Un changement soudain de paradigme
A partir de 2020, les conditions économiques ont brutalement changé. La crise du Covid-19 a engendré un choc économique massif, perturbant considérablement l’équilibre offre-demande et ramenant une volatilité significative sur les marchés. Le conflit en Ukraine a encore exacerbé et concrétisé les pressions inflationnistes, contraignant les banques centrales à normaliser leur politique monétaire afin de restaurer la stabilité des prix.
La remontée brutale des taux a entraîné une chute de la valeur des portefeuilles obligataires, tandis que les actions connaissaient également une baisse significative avant de se redresser. La liquidité s’est détériorée, les primes de risque se sont élargies et, au premier semestre 2023, les défaillances bancaires aux Etats-Unis et en Suisse ont encore aggravé la volatilité sur les taux et le crédit, même si cette tendance s’est inversée depuis le début de l’été.
Les assureurs affectés de manière inégale
Pour l’assurance-vie, les taux d’intérêt élevés peuvent avoir un effet positif sur le capital en raison de la nature à long terme de leurs engagements. Malgré d’importantes poches de pertes non réalisées sur les portefeuilles obligataires (l’indice FTSE MTS des obligations souveraines de la zone euro a baissé de 18,1 % en 2022), l’écart de duration généralement négatif entraîne une baisse plus accentuée des provisions techniques par rapport aux actifs. Cependant, bien que l’utilisation de la provision pour participation aux excédents (PPE) permette d’amortir le choc, l’inertie des rendements proposés par les assureurs-vie engendre un problème de compétitivité face aux autres produits financiers, comme le Livret A dont la collecte dépasse déjà celle de 2022 malgré le taux gelé à 3 %.
Concernant l’activité non-vie, la situation est plus délicate. En Europe, l’actif net a diminué de 4,4 % sur une année entre décembre 2021 et décembre 2022, la baisse est de 2,9 % en France (source : Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles – Eiopa). L’écart de duration étant plutôt positif entre actifs et passifs, la hausse des taux a généralement eu un effet négatif sur le capital. Les passifs d’assurance sont également pénalisés par l’inflation, en particulier pour ceux qui présentent une proportion significative d’engagements à long terme. Enfin, les assureurs non-vie sont généralement plus exposés aux actions (voir le graphique), stratégie qui leur a permis d’améliorer leurs rendements en période de taux bas mais qui induit une sensibilité accrue au risque de marché.

Cet environnement financier pour le moins difficile a cependant permis la réapparition de nombreuses opportunités disparues depuis longtemps sur le marché. Grâce au niveau élevé des taux, les assureurs ont commencé à reconstruire leurs rendements tout en conservant un profil de risque prudent. Ainsi, leur taux de réinvestissement s’est fortement redressé, pour s’établir à plus de 200 points de base en 2022 pour certains grands assureurs français. A titre de comparaison, le taux de rendement de l’OAT 10 ans a augmenté de 2,93 % sur l’année 2022. Les obligations investment grade offrent actuellement des rendements ajustés au risque très intéressants, notamment sur la partie courte de la courbe. Les obligations à haut rendement (HY) avec de solides fondamentaux présentent également des primes de risques attrayantes. Sur les marchés émergents, les obligations sont une alternative intéressante à l’equity, permettant une diversification géographique des portefeuilles tout en offrant des rendements élevés, et un coût en capital maîtrisé si le risque de change est couvert.
Le non-coté attire toujours
En dépit d’un retour en grâce des actifs cotés classiques, l’intérêt des assureurs européens pour le non-coté ne semble pas se tarir, même s’il tend à s’inscrire dans une démarche plus sélective. D’après une récente étude de Goldman Sachs, une majorité d’entre eux souhaitent voir augmenter leur allocation en dette privée corporate, infrastructure et immobilier. Ce type d’investissement offre une certaine protection contre l’inflation et peut souvent permettre d’accroître la proportion des actifs répondant aux critères ESG (environnement, social, gouvernance). La demande pour les obligations vertes ou à impact ne cesse d’ailleurs de croître, une majorité d’assureurs ayant intégré des considérations ESG et climatiques dans leur processus d’investissement.
Les assureurs doivent cependant demeurer sélectifs et prioriser la qualité au sein de leur allocation. En effet, les conditions macroéconomiques pourraient à nouveau se dégrader, affectant les fondamentaux des entreprises et entraînant une accélération des défauts et l’assèchement de la liquidité sur les marchés. Outre la persistance du conflit ukrainien et des tensions géopolitiques au niveau mondial, la menace d’une récession continue de planer sur la zone euro. L’économie allemande subit notamment un fort ralentissement, alors que l’inflation demeure à un niveau élevé et qu’un assouplissement des politiques monétaires n’est pas encore d’actualité. L’Eiopa classe d’ailleurs les risques macro en tête dans son dernier Risk Dashboard.
Un pilotage ALM fin est plus que jamais nécessaire, avec une attention particulière portée à la liquidité, au risque inflationniste, aux écarts de duration et de convexité, ainsi qu’au risque de rachat. Les produits dérivés peuvent jouer un rôle clé en permettant une gestion active de ces risques, tout en libérant un certain niveau de flexibilité en matière d’allocation d’actifs, d’autant plus dans un contexte réglementaire renforcé avec l’entrée en application d’IFRS 9/17.
Les assureurs sont néanmoins bien armés pour traverser la tempête. Selon l’Eiopa, le ratio de solvabilité se situe, au premier trimestre 2023, à un niveau médian de 219 % sur la zone euro. S’ils parviennent à saisir les opportunités que pourra offrir le point d’inflexion sur l’inflation et les taux, et à continuer d’adapter leur allocation à l’environnement changeant, ils pourraient même en sortir encore renforcés.
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