
Gel des avoirs : un pouvoir discrétionnaire ?

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le Conseil de l’Union européenne prononce des mesures de gel visant principalement des personnes impliquées dans des actes de terrorisme. Une liste est ainsi dressée des personnes visées par le gel au titre de la politique étrangère et de sécurité commune. Le gel rend indisponibles les fonds, les avoirs financiers et les ressources économiques des personnes visées. Les intermédiaires financiers – notamment les banques – doivent s’abstenir de toute opération sur ces fonds.
Depuis la sécession de la Crimée en 2014, les mesures de gel visent également les personnes portant atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Après l’invasion de 2022, ces mesures ont été étendues à de nouvelles et nombreuses personnalités, notamment des membres de l’exécutif russe et de la Douma, des officiers généraux, des journalistes et des établissements bancaires.
150 millions d’euros d’actifs immobilisés
Le 20 mars dernier, le ministre de l’Economie a ainsi annoncé l’immobilisation d’actifs russes à hauteur de 150millions d’euros dans les livres des banques françaises, et d’un demi-milliard d’euros de biens immobiliers situés sur le territoire français.
Bruno Le Maire a précisé que ces mesures de gel ne correspondaient pas à des saisies pénales. Il avait pourtant envisagé quelques jours auparavant avec le ministre de la Justice la transformation du gel en saisie pénale puis en confiscation. Une telle transformation en saisie pénale ne peut cependant intervenir que dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire sous le contrôle d’un juge. Quant à la confiscation, elle ne peut être ordonnée que par une juridiction en vue de réprimer une infraction établie. Or, seules des investigations poussées permettraient de caractériser des détournements de fonds commis en Russie et des opérations de blanchiment en France généralement réalisées par le biais de personnes interposées et de sociétés écrans.
Les mesures de gel européennes ne relèvent pas non plus d’un pouvoir discrétionnaire. En effet, chaque mesure doit être motivée et notifiée à la personne visée qui peut en demander le réexamen. Même en l’absence de demande, chaque mesure de gel doit être réexaminée au moins tous les six mois par le Conseil de l’Union européenne.
Surtout, les mesures de gel peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions de l’Union européenne. Par l’important arrêt OMPI de 2006, le tribunal de l’Union a ainsi annulé une décision de gel en raison de l’insuffisance de sa motivation qui ne permettait pas d’en contrôler la légalité. La juridiction européenne doit en effet pouvoir apprécier l’exactitude matérielle des faits justifiant la décision.
Un équilibre entre sécurité collective et respect delapropriété privée
Les juridictions de l’Union ne se prononcent pas sur l’opportunité de la mesure de gel. En revanche, elles veillent au juste équilibre entre les impératifs tenant à la sécurité collective européenne et les exigences en matière de respect de la propriété privée.
Sur ce point, les juridictions tiennent compte du fait que le gel n’emporte pas transfert de propriété. Le règlement du Conseil du 27 mai 2002 définit en effet le gel de fonds comme « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui auraient pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession». Le gel n’est donc qu’une mesure provisoire rendant seulement impossible l’utilisation des biens de la personne visée.
Néanmoins, par l’arrêt Kadi de 2008, la Cour de justice a considéré que le gel pouvait porter une atteinte excessive au droit de propriété au regard notamment de sa portée générale et de sa persistance.
Aussi, il n’est pas inenvisageable que des décisions de gel fassent l’objet de recours devant les juridictions de l’Union européenne à l’initiative des personnes les moins directement impliquées dans l’invasion de l’Ukraine. Ces décisions de gel pourraient ainsi être censurées, le pouvoir du Conseil de l’Union en la matière n’étant pas discrétionnaire.
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