Réforme de l’action de groupe : un nouveau départ ?

Les modifications apportées récemment aux actions de groupe à la française pourraient aider à favoriser leur essor après des débuts plus que timides, analysent Kami Haeri et Alexandre Kiabski, associés chez White & Case.
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L’action de groupe permet à plusieurs victimes d’un même dommage d’agir collectivement en justice.  -  chokniti - stock.adobe

L’entrée en vigueur de la loi «DDADUE (1)», le 30 avril 2025, marque une étape majeure pour l’action de groupe en France. Malgré les ambitions affichées lors de son introduction en 2014 (2), ce véhicule procédural n’a donné lieu qu’à quelques dizaines d’actions et – à notre connaissance – à un unique jugement de condamnation. Au-delà de la simple transposition de la directive (UE) 2020/1828 (3) du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives, la réforme conduit, par son article 16, à une refonte structurelle du régime de l’action de groupe instaurant un cadre juridique unifié et élargi.

Au rang des évolutions les plus significatives figure d’abord l’élargissement de l’objet de l’action de groupe à l’ensemble des matières, rompant ainsi avec l’approche sectorielle antérieure. Désormais, le régime consacre la possibilité, pour toutes les actions de groupe de faire cesser le manquement constaté, obtenir la réparation de tout préjudice subi, quelle qu’en soit la nature, ou de poursuivre ces deux objectifs de manière cumulative (4).

Plus d’acteurs habilités

La réforme a également élargi le champ des acteurs habilités à introduire une action de groupe (5). Cette prérogative reste toutefois limitée à certaines catégories de personnes expressément habilitées par la loi. Ainsi, peuvent exercer une action de groupe les associations agréées par l’autorité administrative, sous réserve du respect des conditions définies par la loi. À titre dérogatoire, l’action de groupe qui tend à la seule cessation du manquement peut être exercée par les associations à but non lucratif, déclarées depuis au moins deux ans, justifiant de l’exercice d’une activité effective et publique de vingt-quatre mois consécutifs, et dont l’objet inclut la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte.

La réforme étend, par ailleurs, cette habilitation aux organisations syndicales représentatives notamment dans les domaines de la lutte contre les discriminations et de la protection des données personnelles. De plus, les entités qualifiées, inscrites sur la liste publiée au Journal officiel de l’Union européenne conformément à l’article 5 de la directive (UE) 2020/1828, sont également autorisées à exercer une action de groupe visant la cessation ou l’interdiction d’agissements illicites au regard du droit de l’Union, et peuvent introduire une action tendant à la réparation des préjudices subis devant le juge judiciaire.

Enfin, le nouveau régime confère au ministère public la faculté d’agir en cessation du manquement en tant que partie principale, tout en lui permettant d’intervenir, dans tous les cas, en tant que partie jointe.

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Financement facilité

Afin de faciliter le financement des actions de groupe, le législateur ouvre désormais le recours au financement par des tiers et entérine donc la pratique du litigation funding (6). Toutefois, afin d’éviter toute instrumentalisation de la procédure, les associations et organisations habilitées ne pourront recourir à des financements externes qu’à la condition d’en publier la provenance et de garantir pleinement l’indépendance à l’égard du financeur. En cas de contestation sur le respect de cette exigence, le juge pourra enjoindre au demandeur de produire tout justificatif attestant de l’absence de conflit d’intérêts. À défaut de justification suffisante, il pourra déclarer l’action irrecevable et refuser l’homologation de tout accord conclu entre les parties.

Sur le plan procédural, la réforme se distingue par les nouveaux pouvoirs conférés, au juge de la mise en état, d’ordonner des mesures provisoires afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite, et ce, avant même que la responsabilité de l’auteur ne soit définitivement établie (7). Elle introduit également la possibilité, pour le juge, de rejeter une action manifestement infondée par une décision spécialement motivée, selon un mécanisme proche de la motion to dismiss anglo-saxonne (8).

Amende civile

La réforme innove également en introduisant une amende civile (9), non assurable, sanctionnant les professionnels responsables d’une faute dolosive ayant entraîné des dommages sériels. Le montant de cette amende peut atteindre le double du profit réalisé par une personne physique et le quintuple pour une personne morale. Cette sanction ne pourra être requise que par le ministère public devant les juridictions judiciaires, ou par le gouvernement devant les juridictions administratives, et ne s’appliquera qu’aux actions de groupe fondées sur un fait générateur postérieur à la publication de la loi.

Enfin, un régime transitoire précise l’articulation entre les dispositions antérieures et celles issues de la réforme. Le nouveau régime de l’action de groupe ne s’applique qu’aux actions introduites après la publication de la loi, les actions antérieures restant soumises aux dispositifs précédents. Toutefois, les personnes remplissant les conditions de l’ancien régime conservent leur droit d’agir pendant un délai de deux ans.

En conclusion, l’entrée en vigueur de la loi «DDADUE» marque un tournant significatif pour l’action de groupe. Mais il faudra cependant voir si ce nouveau régime, dont l’efficacité pratique reste à déterminer compte tenu du caractère nouveau de nombre de ses dispositions, conduira à un véritable essor de l’action de groupe en France.

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(1) Loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (2) Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (3) Directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE (4) Article 16, I, A de loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 (5) Article 16, I, C de loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 (6) Article 16, I, D de loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 (7) Article 16, II de loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 (8) Article 16, I, G de loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 (9) Article 1254 du code civil

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