Les puces, nouveau terrain de bataille géopolitique entre la Chine et les Etats-Unis

Le constructeur chinois Huawei a annoncé, fin août, avoir réussi à fabriquer un processeur 5G de 7 nanomètres. Un camouflet pour Washington, alors que les deux pays s’affrontent à coup de sanctions et promesses de subventions pour attirer les fondeurs de puces.
ASML est leader mondial des machines de lithographie pour l’industrie des semi-conducteurs
ASML est leader mondial des machines de lithographie pour l’industrie des semi-conducteurs  -  Photo ASML.

La nouvelle, à propos d’une fine plaque de silicium, a fait grand bruit. Fin août, le constructeur chinois Huawei annonçait avoir réussi à fabriquer un processeur 5G de 7 nanomètres (nm), 100% made in China, qui équipera son nouveau smartphone, le Mate 60 Pro.

Une petite prouesse technologique. Et un pied de nez aux Etats-Unis, alors que Pékin et Washington se livrent une «guerre froide» d’un nouveau genre sur plusieurs fronts. Y compris sur celui des technologies, et des équipements en semi-conducteurs, ces très chers composants nécessaires à la production d’une multitude d’appareils électroniques, des machines à café aux véhicules électriques en passant par les smartphones, sans oublier l’armement.

Nouvel or noir

Il est vrai que les semi-conducteurs (ou puces) sont l’or noir de ce siècle. En 2021, ils étaient la première importation de la Chine, qui a déboursé 434 milliards de dollars (401 milliards d’euros) pour en acquérir.

Huawei l’assure, ce processeur 5G de 7 nm a été entièrement fabriqué en Chine, conçu par Huawei et fabriqué par l’entreprise chinoise Smic (Semiconductor Manufacturing International Co). Or c’est la première fois qu’un smartphone chinois intègre ce type de puces. Quand bien même «Huawei est silencieux quant à savoir si ses smartphones [Mate 60 Pro] ont de la vraie 5G ou pas », précise Pierre Garnier, managing partner du fonds spécialisé Jolt Capital.

Certes, à 7 nm, la puce en question n’atteint pas encore le niveau des leaders du secteur, le taïwanais TSMC et le Sud-coréen Samsung, qui tournent autour des 3 nm. Mais il a bien rattrapé l’Américain Intel. Or la finesse de gravure des transistors est devenu un élément stratégique, surtout pour augmenter la densité et le rendement énergétique des puces.

Mais cette nouvelle du front chinois est un camouflet pour les Etats-Unis. Ils perdent une manche sur ce terrain de bataille des semi-conducteurs, sur lequel les deux puissances mondiales s’affrontent à coups d’alliances, de sanctions financières, et de subventions gigantesques pour attirer des usines sur leurs territoires. A ce jour, «la Chine représente environ 15% de la production mondiale de puces, et les Etats-Unis 12%», précise Ruben Nizard, directeur de l’analyse du risque politique chez Coface.

Sanctions et incitations fiscales

Mais pourquoi la Chine engage-t-elle désormais autant d’efforts sur ce terrain ? Retour en arrière. Tout est parti d’une première salve de sanctions sans précédent émises en octobre 2022 par Joe Biden. Elles empêchent alors les entreprises américaines de fournir des équipements et des technologies capables de produire des puces avancées aux entreprises chinoises sans licence accordée par les Etats-Unis, au nom de la «sécurité nationale». Par ailleurs, les citoyens américains n’ont plus le droit de travailler sur des projets de semi-conducteurs pour des entités chinoises, au risque de perdre leur citoyenneté.

Déjà, l’administration Trump avait lancé des mesures pour couper Huawei des fournisseurs mondiaux de puces, en particulier, en mai 2020, en bloquer les expéditions de semi-conducteurs vers Huawei Technologies par les fabricants de puces.

Résultat, Pékin doit composer avec l’obstacle de s'équiper d’outils indispensables à la gravure des puces les plus petites.

Puis avec la pandémie et les confinements, en 2020, de nombreux constructeurs informatiques et automobiles ont découvert à quel point ils étaient exposés à des risques de pénuries de ces composants. Et qu’ils se devaient d’être moins dépendants de la Chine.

Ensuite, le début de la guerre en Ukraine, lors de son invasion par la Russie en février 2022, « a suscité d’autant plus d’attention face à l’accès aux technologies pour la Chine, puisqu’elle est devenue la seule porte d’entrée [en semi-conducteurs] pour la Russie », ajoute Pierre Garnier, chez Jolt.

En parallèle, Joe Biden a dégainé des enveloppes XXL de subventions et incitations fiscales pour attirer les usines de constructeurs de semi-conducteurs sur les terres américaines : le Chips Act en juillet 2022, qui prévoit 52 milliards de dollars de subventions, et l’Inflation Reduction Act.

Depuis l’adoption du Chips Act, «les investissements dans la construction de nouvelles usines de semi-conducteurs ont bondi». Mais il faut relativiser : «les deux usines annoncées par le taiwanais TSMC en Arizona ne seront pas destinées à fondre les puces les plus avancées», note Ruben Nizard, chez Coface.
Quant aux entreprises acheteuses de micro-puces, «elles ont opté pour une stratégie de derisking pour contourner les risques de sanctions».

La réplique est ensuite venue côté chinois : le 1er août 2023, Pékin a restreint l’exportation de gallium et de germanium, deux métaux indispensables aux semi-conducteurs. Les exportateurs de ces deux métaux devront désormais obtenir une licence, en fournissant des informations sur le destinataire final.

Les sanctions américaines ont en tous cas privé la Chine d’accès aux machines de gravure fabriquées par ASML, une entreprise néerlandaise au cœur du marché des semi-conducteurs. «ASML est la seule société à pouvoir faire de la lithographie ultra-violette extrême. Or ses machines ne sont pas livrées en Chine, en vertu d’un accord entre les Pays-Bas et les Etats-Unis », rappelle Pierre Garnier, de Jolt Capital. Pas sûr, par exemple, que Smic puisse descendre en-dessous des 7 nm sans les machines les plus modernes d’ASML.

Retard de la Chine

Reste une inconnue géopolitique scrutée de part et autre, la stabilité politique de Taïwan. Le pays héberge le puissant fondeur de puces TSMC, qui assure 90% de la production mondiale des puces les plus avancées. Or Pékin considère l’île comme une province destinée à être réunifiée avec le reste du territoire chinois.

Pour autant, la Chine a encore des faiblesses. Notamment, sur la puissance de calcul de ses puces et serveurs nécessaires pour l’intelligence artificielle. «La Chine est en retard sur cela tant qu’elle n’a pas accès aux ‘chips’ de 5 nm et 3 nm. Il leur faudra au minimum dix ans pour rattraper cela, sauf si l’Occident rouvre les vannes d’ici là», estime Pierre Garnier.

Dans cette bataille entre les deux hyper-puissances, l’Europe tente de s’imposer. Thierry Breton a dégainé l’European Chips Act, un plan d’investissement dédié au secteur, côté européen. Avec, pour objectif, là aussi, d’attirer les usines de semi-conducteurs

C’est d’ailleurs dans ce cadre que la Commission européenne a autorisé, fin avril 2023, la France à aider STMicroelectronics et l’américain GlobalFoundries à hauteur de 7 milliards d’euros, et l’Allemagne pour accueillir une usine TSMC, à Dresde.

Pour s’imposer dans cet écosystème, l’Europe a deux cartes à jouer : «choisir les bons points d’implantation, et développer nos points de contrôle sur l’ensemble de la chaîne, en étant les plus avancés sur certains composants (capteurs, automobile, etc)», estime Pierre Garnier.

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