
Le veto de Bercy sur Carrefour n’est pas que négatif pour le secteur

Ce week-end, Carrefour et Couche-Tard ont pris acte du veto français. Après une rencontre entre Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, et Alain Bouchard, fondateur et président exécutif de Couche-Tard, les deux distributeurs ont annoncé avoir mis fin à leurs discussions amicales en vue d’un rapprochement. Mais le contact n’est pas totalement rompu. « Carrefour et Couche-Tard ont décidé de prolonger leurs discussions pour examiner des opportunités de partenariats opérationnels », indiquent les deux groupes. Parmi les pistes évoquées : « le partage de bonnes pratiques dans la distribution de carburant, le développement d’achats en commun, des partenariats sur le développement et la commercialisation de marques de distributeurs, le partage d’expertise et le lancement d’innovations pour améliorer l’expérience client, et l’optimisation de la distribution de produits sur les géographies communes aux deux groupes ».
Tuée dans l’oeuf par le ministre de l’Economie, l’approche amicale du canadien Couche-Tard sur le français Carrefour a toutefois soulevé de nombreuses questions. Qui eût cru déjà qu’un distributeur alimentaire français puisse intéresser un acteur étranger ? «Le secteur français reste ultra-compétitif, avec beaucoup d’acteurs et demeure difficile même s’il commence à s’améliorer», rappelle Nicolas Champ, analyste chez Barclays, surpris de cet intérêt soudain de Couche-Tard pour Carrefour, en l’absence de synergies visibles à court terme.
Réveil pour le secteur
Cet engouement pour Carrefour «réveille tout le secteur, dont les tendances structurelles pré-Covid n’étaient pas favorables aux grands groupes intégrés en France, comme Carrefour ou Auchan, pénalisés par diverses mutations affectant les hypermarchés», constate Mickaël Vidal, analyste crédit chez S&P Global Ratings. Depuis la fusion Carrefour-Promodes en 1999, «le secteur n’avait pas bénéficié de prime spéculative, souligne Nicolas Champ. Carrefour peut ainsi voir la reconnaissance du succès de sa stratégie, au moment où ses performances commencent à s’améliorer et alors qu’il vient d’enregistrer le plus fort gain de parts de marché depuis 2014 [+0,3 point à 20% en décembre, ndlr]».
Un sursaut refroidi par les déclarations de Bruno Le Maire, émettant un veto à l’opération au nom de la sécurité alimentaire de la France. «La crise sanitaire, avec une relative pénurie sur certains produits, a montré l’intérêt stratégique du secteur, poursuit Nicolas Champ. Toutefois, ces restrictions ne devraient pas réellement peser sur la valorisation du secteur. D’ailleurs, nous imaginons mal Bercy empêcher les acteurs allemands déjà présents en France, comme Lidl et Aldi, de poursuivre leur développement dans l’Hexagone». Mais les propos du locataire de Bercy «pourraient créer un précédent, et freiner toutes velléités d’investisseurs étrangers», craint un expert. Carrefour, «noté ‘Baa1’, affiche l’une des meilleures notations du secteur en Europe et n’a pas besoin de soutien capitalistique, rappelle Jeanine Arnold, associate managing director chez Moody’s. Les déclarations de Bruno Le Maire ne devraient pas avoir d’impact sur la qualité de crédit du secteur. Toutefois, si d’autres pays devaient empêcher des sociétés étrangères de s’internationaliser et de se diversifier, cela pourrait peser à terme sur la notation crédit des distributeurs».
Retour du dossier Casino ?
Comment imaginer que la direction de Carrefour n’ait pas sondé en amont les intentions du gouvernement ? Surprenant pour une société dont le patron a croisé Bruno Le Maire sur les bancs de l’Ena. Ce rapprochement avorté ne serait-il alors qu’un moyen de remettre sur la table un rapprochement avec son éternel concurrent coté Casino ? Ou tout au moins en reprendre les pépites, Franprix et Monoprix, en raison de la probable opposition de la concurrence.
D’ailleurs, «pourquoi les principaux actionnaires de Carrefoursoutiendraient une telle offre, alors que le distributeur commence à engranger les premiers fruits de sa stratégie et que le prix évoqué de 20 euros est inférieur à leur coût d’entrée ? », s’interroge un expert. Un prix «qui n’est pas sans intérêt, alors que l’action évolue dans un couloir de 12 à 18 euros depuis quatre ans», précise un observateur. Pour autant, le titre Carrefour cédait près de 5% sur les deux dernières séances à 16,70 euros, effaçant près de la moitié des gains de mercredi, après l’annonce de Couche-Tard.
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Le premier déplacement de Sébastien Lecornu est consacré à la santé
Paris - Sébastien Lecornu se rend samedi en province, à Mâcon, pour son premier déplacement en tant que Premier ministre, délaissant pendant quelques heures les concertations qu’il mène activement à Paris avant de former un gouvernement. Quatre jours à peine après sa nomination, le nouveau et jeune (39 ans) locataire de Matignon va à la rencontre des Français pour qui il reste encore un inconnu. Il échangera notamment avec des salariés d’un centre de santé de la préfecture de Saône-et-Loire dont le but est d’améliorer l’accès aux soins. Il s’agit pour lui de convaincre l’opinion autant que les forces politiques du bien-fondé de sa méthode: trouver des terrains d’entente, en particulier sur le budget, permettant de gouverner sans majorité. Lui-même élu local de l’Eure, où il a été maire, président de département et sénateur, ce fils d’une secrétaire médicale et d’un technicien de l’aéronautique avait assuré dès le soir de sa nomination «mesurer les attentes» de ses concitoyens et «les difficultés» qu’ils rencontraient. Sébastien Lecornu est très proche d’Emmanuel Macron, avec qui il a encore longuement déjeuné vendredi à l’Elysée. Sa nomination coïncide avec plusieurs mouvements sociaux. Le jour de sa prise de fonction, une journée de mobilisation lancée sur les réseaux sociaux pour «bloquer» le pays a réuni 200.000 manifestants, et une autre journée de manifestations à l’appel des syndicats est prévue jeudi. Une parole sobre «Il y a une grande colère» chez les salariés, a rapporté Marylise Léon, la patronne de la CFDT, premier syndicat de France, à l’issue d’une entrevue vendredi avec le nouveau Premier ministre qui lui a dit travailler sur une «contribution des plus hauts revenus» dans le budget 2026. C’est sur le budget que ses deux prédécesseurs, François Bayrou et Michel Barnier, sont tombés. Et Sébastien Lecornu cherche en priorité une forme d’entente avec les socialistes. Mais il lui faut dans le même temps réduire les déficits, alors que l’agence de notation Fitch a dégradé vendredi soir la note de la dette française. Le centre et la droite de la coalition gouvernementale se disent prêts à taxer plus fortement les ultra-riches sans pour autant aller jusqu'à l’instauration de la taxe Zucman sur les plus hauts patrimoines, mesure phare brandie par les socialistes et dont LR ne veut pas. Une telle mesure marquerait en tout cas une des «ruptures» au fond prônées par Sébastien Lecornu à son arrivée, puisqu’elle briserait le tabou des hausses d’impôts de la macronie. Sébastien Lecornu veut aussi des changements de méthode. Il a d’abord réuni jeudi --pour la première fois depuis longtemps-- les dirigeants des partis du «socle commun», Renaissance, Horizons, MoDem et Les Républicains, afin qu’ils s’entendent sur quelques priorités communes. Un format «présidents de parti» qui «permet de travailler en confiance, de façon plus directe, pour échanger sur les idées politiques, sur les arbitrages», salue un participant. Une parole sobre Avant les oppositions et à quelques jours d’une deuxième journée de manifestations, il a consulté les partenaires sociaux, recevant vendredi la CFDT et Medef, avant la CGT lundi. En quête d’un compromis pour faire passer le budget, le chef de gouvernement pourrait repartir du plan de son prédécesseur François Bayrou délesté de ses mesures les plus controversées. A l’instar de la suppression de deux jours fériés. L’hypothèse d’une remise sur les rails du conclave sur les retraites semble aussi abandonnée. Les partenaires sociaux refusent de toute façon de le rouvrir. Des gestes sont attendus à l'égard des socialistes alors qu'à l’Elysée, on estime que le Rassemblement national, premier groupe à l’Assemblée nationale, se range désormais comme la France insoumise du côté du «dégagisme». Cultivant une parole sobre voire rare, Sébastien Lecornu ne s’exprimera qu'à l’issue de ces consultations «devant les Français», avant la traditionnelle déclaration de politique générale, devant le Parlement. Ministre depuis huit ans, il connaît bien les députés et le gouvernement sortant, dont il fait partie en tant que ministre démissionnaire des Armées. Anne RENAUT © Agence France-Presse