L’Etat douche les ardeurs de Couche-Tard sur Carrefour

Bruno Le Maire n’est pas «favorable a priori» au rachat du distributeur français par le canadien pour des raisons de «souveraineté alimentaire».
Dimitri Delmond et Olivier Pinaud
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Carrefour est le premier employeur privé en France, avec environ 100.000 salariés.  -  Bloomberg.

Pas touche aux hypermarchés français ! Bruno Le Maire a glacé mercredi soir le canadien Alimentation Couche-Tard en se disant «pas favorable, a priori» à son projet d’offre d’achat sur Carrefour. «Ce qui est en jeu, c’est la souveraineté alimentaire des Français, donc, de ce point de vue là , a priori, je n’y suis pas favorable», a lancé le ministre de l’Economie sur France 5.

Bruno Le Maire s’est même dit prêt, si nécessaire, à faire usage du décret sur le contrôle des investissements étrangers qui permet de protéger plusieurs secteurs jugés stratégiques, dont, depuis la loi Pacte de 2019, «la production, la transformation ou la distribution de produits agricoles, lorsque celles-ci contribuent aux objectifs de sécurité alimentaire nationale».

Selon le ministre, la crise du Covid du printemps, au cours de laquelle les supermarchés ont été pris d’assaut mais ont su répondre à la demande, a montré «à quel point la sécurité alimentaire est vitale». Bruno Le Maire a également insisté sur le statut de Carrefour de premier employeur privé en France, avec environ 100.000 salariés.

Mercredi soir, Couche-Tard n’avait pas réagi aux déclarations de Bruno Le Maire.

Vigilance accrue de l’Europe

Le caractère réellement stratégique des supermarchés de Carrefour prêtera forcément à discussions, alors que le secteur de la distribution en France est l’un des plus concurrentiels au monde, avec pas moins de six grands acteurs nationaux - un débat qui débordera ensuite sur celui de l’attractivité de la France aux yeux de l’étranger. Mais la réticence «a priori» du ministère de l’Economie illustre parfaitement le renforcement de la doctrine sur le contrôle des investissements étrangers, aussi bien en France qu’en Europe. Une vigilance qui s’est encore accrue avec la crise du Covid.

Annoncées dans la nuit de mardi à mercredi, à la suite de fuites sur Bloomberg, les vues de Couche-Tard sur Carrefour ont pris de court un secteur qui n’avait pas anticipé une telle opération. Si les discussions entre les deux groupes sont encore «très préliminaires», a insisté Carrefour, le marché a pris au sérieux la démarche du groupe québécois. «Les termes de la transaction sont toujours en cours de discussions et demeurent soumis à une vérification diligente, mais la rémunération proposée devrait en grande majorité être en numéraire», a expliqué la société canadienne. L’approche, non engageante, a été réalisée à un prix de 20 euros par action Carrefour, payée essentiellement en numéraire, a précisé Couche-Tard.

Cet intérêt a servi de réveil pour le distributeur français, considéré comme une belle endormie depuis des années, malgré un plan de relance qui commence à peine à porter ses fruits. Mercredi, le titre du distributeur français a bondi de 13,42%, à 17,54 euros, alors que Bruno Le Maire s’est exprimé après la clôture. A Toronto, l’action Couche-Tard a fini en baisse de 10,19%, signe des interrogations du marché.

Doute sur la logique

La plupart des analystes financiers se montrent dubitatifs quant à la pertinence d’un rapprochement entre deux groupes dont les empreintes géographiques et les formats de magasins présentent une forte complémentarité. Quand Carrefour exploite principalement des moyennes ou grandes surfaces dédiées en priorité à l’alimentaire en France et au Brésil, Couche-Tard retire 70% de son chiffre d’affaires de la vente de carburant, principalement aux Etats-Unis et au Canada.

Dans ce contexte, les synergies à espérer d’un rapprochement paraissent «relativement limitées», selon Jefferies. Etant donné leur profil, les deux entreprises ne pourraient espérer réaliser de substantielles économies sur les achats ou grâce à l'élimination de certains coûts fixes, dans la logistique notamment. Or, «dans un marché atone, chaque transaction doit être source de synergies pour créer de la valeur», explique Bryan, Garnier & Co. «Au moins, personne ne pourra accuser Couche-Tard de vouloir faire cette opération uniquement pour faire des synergies de coûts», réplique un proche du groupe canadien.

Outre un Etat très présent, Couche-Tard ne mesure peut-être pas non plus l’ampleur du défi que représenterait le rachat de Carrefour, qui réalise 48,2% de ses revenus en France. Le secteur est dominé par des opérateurs privés indépendants (Leclerc, Intermarché, Système U) qui n’ont pas les mêmes contraintes que les acteurs cotés en Bourse, rapelle Barclays.

L’avantage de la valorisation

L’acquisition de Carrefour semble également aller à l’encontre des intentions de Couche-Tard, dont l’ambition était plutôt jusque-là de racheter des actifs aux Etats-Unis et en Asie, appuie Jefferies. Le groupe canadien avait également tendance à viser des réseaux de stations-service et non des distributeurs alimentaires comme Carrefour (lire par ailleurs). Mais pour Couche-Tard, conseillé par Rothschild, cette opération vise à diversifier ses activités, vers des segments complémentaires, et à profiter de sa valorisation supérieure à celle de Carrefour et du secteur pour se hisser dans le top 5 mondial de la distribution. Les analystes d’UBS voient d’ailleurs une opération très «opportuniste», avec un Couche-Tard qui capitalise 8,7 fois son Ebitda, contre 6,5 fois pour le secteur européen et 5 fois pour Carrefour.

Pour certains actionnaires, l’approche du canadien tombe à pic. «La forte progression du titre Carrefour démontre à quel point les actionnaires sont prompts à saisir la première opportunité venue pour vendre à bon prix une action qui n’avait plus dépassé les 16 euros depuis mars dernier», constate un analyste basé à Londres. En s’intéressant à Carrefour, Couche-Tard ouvre une porte de sortie potentielle aux actionnaires de référence dont certains, comme le Groupe Arnault, ont fait preuve d’une (très) grande patience au capital du distributeur (lire par ailleurs).

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