Vers une érosion du consensus anti-inflationniste

Vers une érosion du consensus anti-inflationniste
Gilles Moëc, économiste en chef du groupe Axa.  - 

Jusqu’à présent, la gestion du choc inflationniste a fait l’objet d’un consensus remarquable. Les banques centrales ont abandonné leur approche accommodante sans déclencher de protestations visibles. Dans le champ académique, les thuriféraires de la « théorie monétaire moderne » qui soutenaient des politiques d’expansion continue de la masse monétaire se sont faits soudainement très discrets. Ce consensus pourrait toutefois s’effriter en 2023, alors même que, paradoxalement, l’inflation ralentit.

Lorsque la hausse des prix dépasse 10 % et qu’elle est le fruit de forces essentiellement exogènes, tout le monde s’accorde autour de la nécessité d’une action monétaire résolue – même si c’est sans doute dans cette configuration qu’elle est la moins efficace. Les entreprises craignent pour leurs marges, les ménages pour leur pouvoir d’achat. Les gouvernements peuvent certes éprouver une certaine appréhension devant la remontée de leur coût de refinancement, mais dans cette phase d’inflation très élevée cet effet est provisoirement noyé dans la baisse du ratio de dette que la hausse des prix déclenche mécaniquement. La banque centrale peut donc remonter ses taux sans avoir à subir de critiques fortes, même si ce durcissement des conditions monétaires n’a que peu de chances de contribuer fortement à la désinflation, dépendante d’une correction des prix de l’énergie.

Nous sommes alors dans la phase « incantatoire » – ou « de signalement » pour les plus optimistes – de la politique monétaire, dont le canal de transmission principal est le message donné aux agents économiques selon lequel d’éventuels effets de second tour – notamment via les salaires – seraient à terme contre-productifs puisqu’ils déclencheraient une réaction très restrictive de la banque centrale. Mais compte tenu des habituels délais de transmission, l’impact « réel » de ce durcissement n’est pas encore ressenti.

Nous entrons dans doute dans une phase plus délicate de la gestion de l’inflation. La correction des prix de l’énergie est intervenue. Elle reste fragile, et le démantèlement partiel de certaines mesures budgétaires d’accompagnement du choc peut créer de la volatilité dans les indices de prix dans les mois qui viennent. Mais, surtout, cet effet mécanique ne sera pas suffisant pour faire revenir l’inflation vers l’objectif des banques centrales, surtout là où les signes d’excès de demande restent évidents, poussant les salaires – le moteur endogène de l’inflation – vers le haut. C’est notamment le cas des Etats-Unis. Il faudra donc que les « effets réels » de la politique monétaire – la hausse des taux réduisant la préférence pour la dépense immédiate des entreprises et des ménages – se manifestent, avec sans doute comme corollaire une dégradation du marché du travail. En clair, passer de 10 % à 5 % d’inflation peut être parfaitement indolore. Passer de 5 % à 2 % entraîne des sacrifices en termes de croissance et d’emploi.

Des études empiriques – malheureusement un peu anciennes maintenant – suggèrent que l’impact d’un point de chômage supplémentaire sur le bien-être ressenti des ménages est nettement supérieur à celui d’un point d’inflation. Le soutien de l’opinion publique aux banques centrales risque de se dégrader sérieusement lorsque les effets de la hausse des taux commenceront à apparaître dans les données macroéconomiques. L’effet sur les politiques monétaires peut rester limité : l’indépendance des banques centrales s’exerce vis-à-vis du pouvoir politique, mais aussi vis-à-vis de l’opinion publique. Mais il y a fort à parier que la pression serait alors déviée vers la politique budgétaire.

Dans un enchaînement idéal pour les politiques publiques, l’inflation ralentit suffisamment vite et profondément pour que le budgétaire puisse retirer ses opérations de soutien sans trop dégrader le pouvoir d’achat des ménages. L’amélioration induite des finances de l’Etat permet alors d’absorber l’effet de taux d’intérêt plus élevés sur le service de la dette. Le risque, c’est que cette mécanique vertueuse soit entravée par une demande sociale forte pour davantage d’intervention économique des gouvernements dans un contexte de dégradation de la demande intérieure. Les budgets nationaux seraient alors pris entre une dérive persistante de leurs dépenses « ordinaires » et le relèvement des coûts de financement.

Le « front conjoncturel » s’est récemment éclairci, la zone euro évitant de justesse une contraction du PIB à la fin 2022. L’année 2023 restera pourtant difficile à naviguer. La désinflation aura un coût.

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