
Le risque politique français divise les marchés

Avant le grand débat de mercredi soir, certains organes de presse anglo-saxons affirmaient que l’élection présidentielle française n’inquiétait plus guère les marchés financiers quand, en même temps, d’autres estimaient que l’élection de Marine Le Pen serait un choc aussi important que le vote du Brexit.
A l’issue du débat de mercredi soir entre les deux candidats, les investisseurs semblent plus optimistes qu’il y a cinq ans au vu de l'écart de taux à 10 ans entre l’OAT française et le Bund allemand, repassé de 56 avant le premier tour à 46 points de base (pb) jeudi matin. Il est loin des 80 pb de 2017 alors que les risques politiques semblent pourtant aujourd’hui plus élevés. Les sondages sur les intentions de vote donnent toujours une avance confortable au président sortant, Emmanuel Macron, mais sans forcément tenir compte des risques liés à l’abstention, accentués par les vacances scolaires. Toutefois, selon un sondage Elabe publié jeudi, 59% des téléspectateurs jugent qu’Emmanuel Macron s’est montré plus convaincant que Marine Le Pen au cours du débat.
A l’instar du public, les stratégistes taux d’ING, Antoine Bouvet et Benjamin Schroeder, soulignent qu’Emmanuel Macron a été le plus convaincant mercredi soir, ce qui devrait permettre aux écarts de rendement («spreads») français de se resserrer, le risque extrême d’une victoire de Le Pen étant de plus en plus écarté. Le rendement de l’OAT à dix ans progresse de 3,3 points de base, à 1,376%, tandis que le taux du Bund allemand de même échéance gagne 5,8 points de base, à 0,912%.
«Black Monday» ?
Si jamais la candidate du Rassemblement national parvenait à contredire les sondages et à s’imposer, les marchés financiers européens risqueraient de s’effondrer lundi : les obligations françaises sous-performeraient leurs homologues allemandes, et l’euro pourrait même revenir à parité avec le dollar dans les mois à venir, selon plusieurs stratégistes. Outre une hausse des déficits, nombre de ses propositions pourraient créer des tensions politiques fortes en interne, notamment la «préférence nationale» en matière d’aides sociales, et en externe, «avec sa vision en faveur d’une Europe des Nations plutôt que d’une Europe fédérale», rappelle Sébastien Grasset, membre du directoire d’Auris Gestion.
Le 11 avril, les experts d’Amundi expliquaient que le rendement de l’OAT ne s’écarterait alors que de 25 à 50 pb supplémentaires par rapport au Bund, comme en 2017, du fait d’un possible soutien à plus ou moins court terme de la Banque centrale européenne (BCE) sur la dette française. D’autres sont plus pessimistes. La recherche de Natixis anticipe que le spread OAT-Bund pourrait remonter au-delà de 150 pb. «L’élection de Marine Le Pen constituerait un triple choc : pour l’Europe, pour la position diplomatique et la sécurité de la France, pour l’économie avec une dégradation prononcée des finances publiques et une forte défiance des investisseurs et des entreprises», résume Cyril Regnat, responsable de la recherche solutions de Natixis. Il estime que les marchés n’intègrent toujours pas bien le risque d’une surprise puis l’idée sous-jacente d’un Frexit. La recherche de Barclays associe à cette dernière une prime de risque spécifique, sans laquelle le spread remonterait, là aussi, autour du niveau de 2017.
Les analystes pointent également un risque élargi à la zone euro du fait de la contagion aux emprunts d’Etat italiens et espagnols. Leurs spreads respectifs pourraient s'écarter de 150 pb et 70 pb par rapport au Bund, estime Natixis. «Nous pensons que la BCE concentrerait alors les réinvestissements du programme d’achats d’urgence pandémique(PEPP) sur les BTP italiens et dans une moindre mesure sur les autres dettes périphériques. Concernant les OAT, l’Eurosystème pourrait décider de limiter volontairement son soutien, ce qui serait un bon moyen de prouver l’utilité des institutions européennes et de mettre un peu plus sous pression l’exécutif français», note même Cyril Regnat. Sans aller jusque-là, Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet WM, dénonce également «beaucoup de complaisance» autour du niveau auquel la BCE interviendrait pour calmer les marchés.
Euro sceptique ?
«Je n’irai pas jusque-là non plus concernant la dette française, ajoute Sébastien Grasset. Le rendement s’écarterait moins selon nous, mais quand même potentiellement comme au printemps 2017 car les marchés peuvent surréagir face à l’incertitude. En revanche, cela pourrait plus globalement remettre en cause la crédibilité de l’avenir européen, et donc affecter un eurodéjà faible(1,085 dollar), ce qui commence à poser problème à la BCE dans la mesure où cela augmente l’inflation importée». Pour Lee Hardman, stratégiste forex chez MUFG Bank, le marché pourrait réagir de manière excessive dans un premier temps, mais moins qu’imaginé dès lors que Marine Le Pen se trouvera «assez limitée en termes de politiques qu’elle pourra réellement poursuivre».
Quel que soit le vainqueur, en effet, il ne lui serait forcément plus aussi facile que par le passé de réunir une majorité aux élections législatives, donc de mettre en œuvre son programme. «Même une réélection d’Emmanuel Macron n’empêcherait pas une fragmentation politique sans précédent (…), avec le risque d’une récurrence des troubles sociaux anti-réformes de type ‘gilets jaunes’», résume Daniela Ordonez chez Oxford Economics. La volatilité des actifs corrélés à la France et à la zone euro pourrait alors demeurer jusqu’à juin, et au-delà.
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