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L’autonomie stratégique face aux nouvelles dépendances

La pandémie a fait prendre conscience des dépendances stratégiques de l’Europe à l’égard de certains pays, la Chine surtout, ou vis-à-vis de fournisseurs exclusifs pour des biens essentiels, comme les semi-conducteurs. La guerre en Ukraine a également renforcé ce sentiment de perte de contrôle et d’autonomie avec une Europe prise en otage de sa dépendance énergétique à la Russie.
En réponse à ces chocs et face à l’exacerbation des tensions géopolitiques, l’Europe plaide désormais pour une autonomie stratégique ouverte afin de continuer à tirer parti des bienfaits de l’ouverture commerciale et de la coopération internationale tout en défendant fermement ses intérêts et ses valeurs.
Ce concept d’autonomie stratégique est la version moderne de la souveraineté économique et marque la volonté de l’Europe de ne plus subir, mais de choisir et d’organiser ses dépendances au service de ses ambitions industrielles de double transition écologique et numérique. Avec la géo-politisation croissante du commerce, la résilience des chaînes d’approvisionnement devient ainsi un enjeu majeur de sécurité. En pratique, il s’agit d’identifier les intrants, les technologies et les filières critiques et d’articuler les politiques, industrielle et commerciale, afin de renforcer les capacités de production européenne de biens stratégiques et de sécuriser l’accès aux intrants essentiels.
Si la transition énergétique va nécessairement réduire la dépendance aux carburants fossiles, elle devrait faire naître de nouvelles dépendances aux minerais et métaux stratégiques indispensables aux technologies bas carbone. Lithium, terres rares, nickel ou encore cobalt sont, entre autres, incontournables pour la mobilité électrique et la fabrication de panneaux solaires ou d’éoliennes…
La Chine en a pris conscience avant les autres pays. Elle est déjà grande productrice de certains métaux et a multiplié, ces dernières années, ses investissements à l’étranger[1] afin de sécuriser ses approvisionnements. Par ailleurs, la Chine a acquis une position de leader dans les activités de raffinage. Ces activités étant très consommatrices en eau et en produits chimiques polluants, elle a, de fait, longtemps assumé un coût écologique que ne voulaient pas supporter les pays occidentaux.
Rivalité stratégique
Cependant, la rivalité stratégique de nature systémique entre la Chine et les États-Unis change la donne avec la tentation américaine d’opter pour le découplage comme stratégie de rééquilibrage et d’endiguement vis-à-vis de l’adversaire chinois. Sur le dossier des minerais critiques, outre la mise à jour régulière d’une liste de ressources minérales cruciales, l’administration Biden a décidé de recourir au Defense Production Act, qui autorise le président à prendre des dispositions pour encourager l’exploration et l’exploitation de matériaux critiques et stratégiques indispensables à sa politique énergétique et environnementale ou à des enjeux régaliens en matière de défense. La Maison-Blanche multiplie également les mains tendues aux pays africains producteurs de minerais stratégiques.
Prise en tenaille entre ces volontés de puissance des géants chinois et américain, l’Europe doit renforcer son autonomie stratégique et réduire ses dépendances excessives, notamment à l’égard des approvisionnements chinois en métaux stratégiques, le nouvel « or noir » de la transition énergétique mondiale.
La Commission actualise déjà sur une base régulière une liste des matières premières considérées comme « critiques », là où la concentration de la production entre les mains de certains pays fait peser des risques de pénurie. En mars dernier, l’exécutif européen a présenté une feuille de route, le « Critical Raw Materials Act » dont l’objectif est de «garantir un approvisionnement sûr, diversifié, abordable et durable» de ces matériaux stratégiques. À l’horizon 2030, l’Union devra extraire 10% de sa consommation de matières premières critiques, en transformer 40% et en recycler 15%.
A lire aussi: L'Europe cherche la voie pour réduire ses dépendances
Pour atteindre ces objectifs, il est ainsi question de soutenir financièrement des projets d’extraction, de traitement et de recyclage. L’Europe veut en effet relancer l’exploration et l’exploitation des ressources minières sur son sol, tout en introduisant de nouveaux procédés d’extraction minimisant les impacts environnementaux. Le sujet reste néanmoins sensible avec des enjeux d’acceptabilité sociale. Cela dit, la relocalisation d’activités minières ne pouvant couvrir l’ensemble des besoins, il convient aussi de sécuriser les approvisionnements étrangers. Pour ce faire, l’Europe compte tirer parti de son leadership vert en capitalisant sur son concept de mines durables pour nouer des partenariats structurants avec des États tiers. L’Europe mise également sur le développement de filières de recyclage, un moyen de réduire à la fois les importations de métaux et les externalités environnementales. D’autres options complémentaires peuvent être envisagées avec un soutien à l’innovation et la recherche de matériaux de substitution ou la mise en place de stocks stratégiques.
Le chemin vers plus d’indépendance s’annonce néanmoins long et afin d’éviter une guerre des ressources aux dépens de la planète, l’Europe doit plaider en faveur d’une coopération internationale pour protéger les échanges de minerais et métaux stratégiques face à l’urgence climatique.
[1] C’est le cas notamment en Australie, en Argentine ou au Chili pour le lithium, en République démocratique du Congo pour le cobalt ou en Amérique latine pour le cuivre.
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse