
L’assouplissement monétaire dans les émergents se heurte à l’inflation

Les investisseurs sur les marchés émergents avaient fait de l’assouplissement monétaire des banques centrales l’un de leurs principaux paris pour 2023. Plusieurs d’entre elles ont initié ce mouvement depuis quelques semaines, mais non sans heurts.
Cette semaine, la banque centrale du Brésil devrait réduire son principal taux directeur pour la deuxième fois consécutive de 50 points de base (pb) mercredi 20 septembre. Début août, elle avait déjà baissé ce taux de 50 pb, à 13,25%. La plupart des banques centrales émergentes ont devancé le resserrement monétaire dès 2021, soit avant les grandes banques centrales développées, face à l’inflation qui menaçait. Une inflation qui est en passe d’être sous contrôle, mais dans certains cas seulement.
Au Brésil, le dernier indice des prix à la consommation a surpris à la baisse en août en progression de 0,23% par rapport au mois précédent. Sur un an, l’inflation progresse de 3,99% en juillet à 4,61% en août, en raison de la hausse des prix à la pompe. Elle reste néanmoins dans la fourchette cible de la banque centrale. Les économistes d’UBS anticipent une baisse de taux supplémentaire avec la poursuite de la désinflation d’ici à la fin de l’année. Ils prévoient un rebond des prix en septembre et octobre, en raison du rebond des cours du pétrole, avant une baisse. L’inflation core devrait revenir à 2,7%. UBS s’attend à ce que la banque centrale brésilienne en fasse davantage l’an prochain avec l’anticipation d’un taux Selic de 8% inférieur à une prévision de 9,6% par le marché, compte tenu d’une inflation attendue plus faible l’an prochain.
Mais ce chemin vers la sortie de sa politique restrictive (les taux réels courts étaient parmi les plus élevés des pays émergents), pourrait se heurter à une conjoncture plus délicate et à des politiques monétaires plus restrictives plus longtemps dans les pays développés. La force du dollar est également un frein pour les banques centrales émergentes.
Choc sur les devises
Si le real brésilien est resté stable depuis le début de l’assouplissement monétaire, il n’en est pas de même pour d’autres monnaies, en Amérique latine et surtout en Europe de l’Est. La décision de la banque centrale du Chili de réduire de 100 pb puis de 75 pb son taux directeur à 11,25%, plus que prévu par le marché, a entraîné un glissement de plus de 5% du peso chilien depuis fin juillet. De ce côté-ci de l’Atlantique, la décision surprise début septembre de la banque centrale de Pologne de réduire de 75 pb (25 pb attendu) a fait chuter le zloty de près de 4% face à l’euro.
«Une plus faible inflation permet aux banques centrales des pays émergents de baisser leurs taux, mais il existe différentes configurations», relève Véronique Riches-Flores, fondatrice et présidente de RF Research. Elle voit dans les évolutions du real et du zloty le reflet de ces différences. «La Pologne a baissé son taux directeur sans avoir totalement achevé le travail sur l’inflation», relève-t-elle. La décision de la banque centrale polonaise semble avoir été politique avant les prochaines élections mi-octobre.
«La réaction négative du marché met en évidence le fait que les participants de marché ne sont pas convaincus que l’amélioration des perspectives d’inflation en Pologne justifie une baisse de taux aussi importante», ajoute Ehsan Khoman, responsable de la recherche marchés émergents EMEA chez MUFG. D’autres devises d’Europe centrale ont été affectées indirectement par la décision polonaise, comme la couronne tchèque. «La baisse plus importante des taux en Pologne a eu des retombées négatives sur la devise tchèque avec une banque centrale en passe d’entamer son propre cycle de réduction des taux, indique Ehsan Khoman. La couronne tchèque a dépassé 24,50 face à l’euro pour la première fois depuis novembre 2022. Une telle évolution est conforme à nos prévisions d’un affaiblissement des monnaies d’Europe centrale, même si le rythme de l’ajustement est plus rapide que ce que nous avions anticipé.» Face à ce risque, la banque centrale semble réfléchir à maintenir ses taux au niveau actuel de 7% plus longtemps, afin d’ancrer plus solidement l’inflation. Celle-ci a diminué à 8,5% en août. Elle était encore à 10,1% en Pologne sur la même période sur un an.
Au Chili, l’inflation a certes fortement diminué à 7,6% en août par rapport à un plus haut de 14% mais elle reste supérieure à la fourchette cible de la banque. Il en est de même au Pérou (5,6% en août), où la banque a initié la semaine passée son cycle de baisse de taux, en le réduisant de 25 pb à 7,5%. Les marchés anticipent une poursuite de l’assouplissement, mais la hausse des prix de l’énergie pourrait contrecarrer ces attentes. «Si les prix des matières premières et du pétrole continuent d’augmenter, la fenêtre actuelle, pour les pays importateurs, se refermera rapidement, observe Véronique Riches-Flores. C’est peut-être déjà le cas pour certains.»
A lire aussi: Le revirement monétaire est dans le camp des pays émergents
Plus d'articles du même thème
-
La Banque du Japon opte pour le statu quo
La banque centrale a maintenu ses taux inchangés, comme attendu, et poursuit sa politique monétaire accommodante. -
La banque centrale suisse confirme les particularismes du pays
Contre toute attente, la BNS a maintenu son taux directeur à 1,75% et pourrait arrêter son resserrement si l’inflation ne remontait pas trop au-dessus du niveau actuel de... 1,6%. -
Les actions s’ajustent au nouveau paradigme des taux
Les banques centrales insistent sur leur nouveau credo «des taux élevés pour longtemps», que commencent à intégrer les places boursières.
Sujets d'actualité
- La Société Générale dévoile des ambitions décevantes pour 2026
- Après les années Oudéa, Slawomir Krupa met la Société Générale au régime sec
- L’ancien patron de la Bred, Olivier Klein, arrive chez Lazard
- L’OCDE est plus pessimiste pour 2024 avec une inflation persistante
- Société Générale : le mythe têtu de la «création de valeur»
Contenu de nos partenaires
-
Exclusif
Séisme au Maroc: dans les coulisses du jour le plus long de Mohammed VI
L'Opinion a reconstitué les premières heures post sinistre du roi du Maroc pour répondre à la catastrophe naturelle la plus mortelle de son règne -
Spécial Pologne
« Les Russes veulent revenir » - la tribune d'Eryk Mistewicz
« Il y a 30 ans, le dernier soldat soviétique a quitté la Pologne. À en croire les idéologues de Poutine, les Russes aimeraient aujourd'hui retourner en Pologne et dans toute l'Europe centrale. Nous faisons tout, nous, Polonais et Ukrainiens, Français aussi, tous en Europe et aux États-Unis, pour les en empêcher », explique le président de l'Instytut Nowych Mediówryk. -
Editorial
Antonio Guterres, le prophète de malheur qui ne fait peur à personne
Le Secrétaire Général de l’Onu va crescendo dans les prévisions apocalyptiques