
La BCE veut voir plus loin que l'épisode SVB

A priori, la faillite de SVB ne devrait rien changer en zone euro… La Banque centrale européenne (BCE), qui réunit son deuxième comité de politique monétaire de l’année jeudi, devrait poursuivre sur sa lancée et augmenter ses taux de 50 points de base (pb), jusqu’à 3% pour le taux de dépôt, selon les économistes. En théorie, car les anticipations des marchés de swaps sont passées en quatre jours d’une hausse de 50 pb jeudi avec un taux terminal autour de 4% cet été, à une hausse de 25 pb pour un taux terminal d’environ 3,50%.
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a vu lundi la Fed relancer un programme de liquidités pour les banques américaines en difficultés en échange de bons du Trésor valorisés au pair. Sans cette mesure exceptionnelle, le risque aurait été de les voir vendre massivement ces titres d’Etat, et d’accélérer la hausse des taux longs au-delà de ce que la banque centrale américaine souhaitait.
Biais restrictif
Pour autant, de ce côté-ci de l’Atlantique, la BCE restera probablement guidée par la situation macroéconomique et l’inflation sous-jacente, encore élevée en zone euro (7,4% en février, 5,6% hors alcool et tabac). «Les données économiques vont continuer à avoir de l’importance, affirme Bénédicte Kukla, stratégiste senior chez Indosuez Wealth Management. D’autant que, après la Commission européenne qui attend désormais 0,9% de croissance avec 5,6% d’inflation moyenne en zone euro en 2023, ce sera les économistes de la banque centrale qui réviseront leurs projections. L’inflation venue par l’énergie et l’alimentation va continuer à se transmettre à l’inflation ‘core’ notamment via les salaires, pour une inflation totale qui devrait rester très élevée malgré les effets de base négatifs.»
Selon les estimations de la BCE, «les négociations salariales en 2022 ont abouti à une augmentation des salaires de 4,4% pour 2022 et de 4,8% pour 2023, niveaux difficilement compatibles avec l’objectif d’inflation», note Bastien Drut, responsable des études et de la stratégie de CPR AM. Dans ce contexte d’une inflation davantage soutenue par la demande de services, «il nous semble que l’institution ne sera plus aussi sensible qu’en 2022 à la variation de l’euro-dollar», complètent Matthieu Servant et Yasser Talbi, gérants obligataires chez Indosuez.
Après la réponse rapide mais difficilement évitable de la Fed à la crise SVB - comme celle de la Banque d’Angleterre à la crise des fonds de pension au Royaume-Uni début octobre - «la situation est plus compliquée pour la BCE», analyse Gilles Moëc, chef économiste d’Axa IM. «La BCE pense que les banques européennes sont mieux protégées contre ce type de scénarios - avec une certaine raison -, mais a pour seule boussole l’inflation sous-jacente observée alors que celle-ci ne diminuera pas de manière substantielle avant l’été», poursuit l'économiste, qui évoque une approche durablement «plus belliciste» et probablement peu flexible.
Chef économiste d’Oddo BHF, Bruno Cavalier souligne tout de même qu’«un accident est toujours possible» comme vient de le rappeler la débâcle de SVB. «Un an après son ‘pivot’ restrictif et neuf mois après la première hausse des taux directeurs, l’offre de crédit bancaire est contrainte, surtout en ce qui concerne le secteur de la construction : c’est un frein pour les perspectives de dépenses», ajoute-t-il.
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Gouverneurs désunis
Les débats sur la nécessité d’optimiser la transmission monétaire sans provoquer de fluctuations indésirables - sur les marchés et pour le secteur bancaire - pourraient animer le Conseil et permettre de prendre en compte d’autres éléments mis de côté jusqu'à présent. En attendant, et malgré l’insistance de Christine Lagarde sur une analyse des données «réunion par réunion», le gouverneur autrichien Robert Holzmann a demandé le 6 mars quatre hausses plus importantes (50 pb en mars, mai, juin et juillet) pour porter le taux de dépôt à 4,50%, et calmer des anticipations d’inflation qui peuvent intensifier les négociations salariales. «L’emploi européen est historiquement tendu, et c’est un risque persistant même s’il est compliqué d’avoir une vision complète vu les différences entre services et autres secteurs», concède Bénédicte Kukla.
Habituellement discret, le gouverneur de la Banque d’Italie a réagi assez vertement à ces propos, tenus avant l'épisode SVB. «L’incertitude est si grande que nous avons convenu de décider ‘réunion après réunion’, sans ‘forward guidance’. Donc je n’apprécie pas les commentaires de mes collègues concernant des relèvements futurs et prolongés des taux», a déclaré Ignazio Visco. Une passe d’armes qui témoigne d’un fossé grandissant entre le camp des «colombes», dont fait partie le membre italien du directoire de la BCE Fabio Panetta, et celui des «faucons», parmi lesquels les gouverneurs allemands (Joachim Nagel et Isabel Schnabel) et néerlandais (Klaas Knot) notamment.
«Ils devraient s’accorder facilement sur les décisions à court terme malgré des dissensions sur le niveau et le rythme pour atteindre un taux terminal suffisamment restrictif», poursuivent Matthieu Servant et Yasser Talbi, évoquant une fourchette consensuelle entre 3,50% et 4%. «La situation pourrait devenir confuse si les faucons ne sont pas en mesure d’assurer un engagement sur un autre relèvement de taux de 50 pb en mai, estime Jussi Hiljanen, responsable de la recherche européenne chez SEB. Ce sera un énorme défi, surtout si le communiqué n’est pas explicite, et trouver le juste équilibre sera alors ‘une tâche ardue’ pour la présidente Christine Lagarde.» Laquelle peut s’attendre à un délicat exercice de pédagogie lors de sa conférence de presse de jeudi.
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