La BCE s’inquiète du rôle croissant des fonds sur le marché immobilier

Son équipe d’analyse macroprudentielle a publié une étude qui va jusqu’à suggérer d’interdire les fonds ouverts.
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Les rachats sur les fonds de Blackstone témoignent des risques liés aux problèmes de liquidité dans l'immobilier  - 

Quatre spécialistes ont publié, lundi dans le cadre des bulletins macroprudentiels de la Banque centrale européenne (BCE), une analyse sur les risques de stabilité financière provenant des fonds d’investissement actifs sur l’immobilier commercial (CRE) en zone euro. En passant en dix ans de 323 milliards à 1.040 milliards d’euros de valeur liquidative (NAV) en zone euro, les fonds d’investissement immobilier (REIF) ont vu leur poids augmenter jusqu’à représenter 40% de la valeur des marchés immobiliers concernés. En investissant soit directement dans les immeubles, soit en actions ou obligations de sociétés investies en immobilier, ils ont réduit la dépendance à l’égard du financement bancaire et diversifié la base d’investisseurs, positivent les auteurs. Mais ces interdépendances - également transfrontalières via la détention de titres - impliquent que «l’instabilité sur le secteur des REIF pourrait avoir des implications systémiques pour les marchés CRE, qui pourraient à leur tour affecter la stabilité du système financier au sens large (en raison de l’exposition directe des institutions financières aux marchés CRE) et de l’économie réelle (par exemple, en raison des effets sur la valeur des garanties et prêts)», ajoutent-ils.

Asymétries structurelles

Premier constat : les marchés immobiliers présentent des vulnérabilités croissantes liées à une baisse de la liquidité et aux corrections de prix dans le contexte actuel d’incertitude économique et de resserrement monétaire. Ces difficultés ont été mises en évidence aux Etats-Unis avec la limitation des rachats et ventes forcées de Blackstone Real Estate Income Trust (BREIT), et avant au Royaume-Uni avec les barrières aux rachats imposées dans la tourmente sur les bons du Trésor britannique (Gilts). Mais la zone euro n’est pas à l’abri de chocs avec l’essor du télétravail pour les bureaux et des ventes en lignes pour les commerces, d’autant plus après une période de forte hausse des prix… L’activité - et la liquidité du marché - y a fortement chuté, avec 44% de transactions en moins entre le Q1-2021 et le Q4-2022. Outre un certain attentisme dans l’ajustement des prix à la vente, plusieurs pays où les fonds sont importants feraient l’objet d’un ralentissement des ventes et de signes de surévaluation (Autriche, Allemagne, France, Pays-Bas) malgré les corrections déjà effectuées.

Deuxième constat : l’inadéquation entre la liquidité des actifs et des passifs des fonds. Avec des risques accrus pour les fonds à capital variable, plus susceptibles de suspendre les rachats quand une crise rend difficiles à la fois l’évaluation et la vente des actifs illiquides, et encore plus pour les fonds «ouverts» (835 milliards ou 80% de la NAV totale en zone euro), dont l’asymétrie structurelle de liquidité entre actifs et passifs est encore plus forte. «La vulnérabilité devrait être d’une ampleur moindre dans les pays où les niveaux de trésorerie sont plus élevés et où davantage de fonds sont fermés (Italie et Portugal par exemple)», indique l’étude.

Un comportement procyclique résultant de cette asymétrie de liquidité pourrait nuire à la stabilité des marchés du fait de ventes forcées et de l’empreinte majeure des REIF. Ces effets de boucle de rétroaction négative peuvent être exacerbés par l’avantage au premier sortant – quand les coûts associés sont supportés par les investisseurs restants -, ainsi que par l’effet de levier lorsqu’il implique une plus grande sensibilité aux fluctuations de prix et des contraintes vis-à-vis d’autres contreparties fournisseurs de crédit.

Interdire les fonds ouverts ?

Pour y remédier, les auteurs insistent sur l’importance d’utiliser des outils de gestion de la liquidité (LMT) et des mesures directes axées à la fois sur les actifs et les passifs, et de façon harmonisée. Comme solutions, ils évoquent aussi l’application cohérente de limites d’effet de levier, une diminution des fréquences de remboursement et des délais de préavis/règlement plus longs, des règles spécifiques au-delà de la directive sur les gestionnaires de fonds alternatifs (AIFM) qui n’est pas appliquée de façon homogène entre les juridictions, la mise à disposition d’une gamme d’outils plus large et efficace pour gérer la position de liquidité du fonds, notamment en période de crise et avec l’aide du superviseur pour limiter le risque de stigmatisation et les coûts/arbitrages induits. Une solution pourrait aussi être d’augmenter la part des actifs liquides et la transparence via des valorisations plus fréquentes, ou encore d’interdire les fonds ouverts au profit de structures fermées plus appropriées, suggèrent les auteurs, regrettant comme un récent rapport du Conseil de stabilité financière (FSB) que les recommandations de 2017 n’aient apporté «aucune amélioration» en 2022.

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