La BCE engage la difficile sortie de l’ère des taux négatifs

Christine Lagarde a présenté un «paquet» avec une hausse de taux historique et un «bouclier» anti-fragmentation hypothétique.
Fabrice Anselmi
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, lors de la conférence du presse du 21 juillet 2022.
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, lors de la conférence du presse du 21 juillet 2022.  -  Photo Sanziana Perju / ECB

Résolu à lutter contre l’inflation, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a relevé jeudi ses taux directeurs de 50 points de base (pb), à 0% pour le taux de dépôt, 0,50% pour le taux de refinancement et 0,75% pour le taux de prêt marginal. Bien que contradictoire avec ses indications prospectives («forward guidance») de 25 pb, cette hausse s’explique par une inflation historique en zone euro (8,6% sur un an). Elle n’a pas tant surpris que cela puisque la Fed avait elle-même augmenté son taux de 75 pb au lieu de 50 pb le 15 juin et que la moitié des participants de marchés s’y attendaient.

«Normalisation»

Ce relèvement – le premier depuis 2011 et le plus important depuis 2000 - sort la zone euro de huit ans de taux négatifs. Sa présidente, Christine Lagarde, a indiqué que la BCE devra probablement faire plus lors de ses prochaines réunions au vu des risques à la hausse sur l’inflation. Un processus qui se décidera désormais en fonction des données «mois par mois». «Christine Lagarde fait comprendre que la ‘forward guidance’ ne tient plus, en particulier pour septembre. Mais la BCE doit profiter de l’étroite fenêtre pour remonter ses taux rapidement : nous pensons qu’elle les relèvera encore de 50 pb en septembre», commente Franck Dixmier, directeur des investissements fixed income d’Allianz GI, sur la même ligne que de nombreux analystes. Les marchés, qui ont surtout vendu les taux courts jeudi, tablent désormais sur 75 pb de hausse en septembre et 150 pb d’ici à fin décembre. Comme si le ralentissement de l’économie n’avait aucune chance de freiner la banque centrale.

Comme prévu, cette hausse s’accompagne de mesures pour éviter une fragmentation financière en zone euro. Christine Lagarde a confirmé la flexibilité permise dans le réinvestissement des titres à échéance du programme d’achats d’urgence (PEPP), environ 20 milliards d’euros par mois jusqu’à fin 2024. Elle a surtout lancé l’outil antifragmentation, le Transmission Protection Instrument (TPI) évoqué lors d’une réunion en urgence des gouverneurs mi-juin. Ce nouveau «bouclier» pour les rendements des dettes souveraines a été décidé à l’unanimité des membres du Conseil, et vient bien en complément du dispositif PEPP, aux côtés du programme d’opérations sur titres (Outright Monetary Transactions, OMT) lancé en 2012.

Bouclier théorique

Le TPI est présenté comme un outil pour la bonne transmission monétaire dans tous les pays, ne pouvant intervenir que «pour lutter contre une dynamique de marché injustifiée et désordonnée» qui représenterait une menace grave pour la stabilité financière en zone euro. Les achats effectués dans le cadre du TPI se feront sur le marché secondaire, plutôt sur les titres souverains d’une maturité résiduelle comprise entre 1 et 10 ans, sans restriction ex-ante, donc selon une ampleur qui dépendra des risques évalués. «Ce caractère illimité plaira aux marchés. Colombes et faucons ont dû parvenir à un compromis : forte hausse de taux contre un TPI plus important», note Paul Diggle, économiste chez Abrdn, en s’interrogeant sur les critères d’activation.

Christine Lagarde est restée vague sur ce point, précisant que le Conseil des gouverneurs serait seul décisionnaire, avec une marge de manœuvre. Mais plusieurs gouverneurs ont répété ces dernières semaines qu’un écartement des spreads lié à une crise politique intérieure - comme celle que vit l’Italie depuis la démission de son Premier ministre Mario Draghi jeudi - ne justifiait pas d’intervention de la BCE. En revanche, quatre critères d’éligibilité sont attachés au TPI. Un pays ne pourra en bénéficier que s’il respecte le cadre budgétaire européen, sans faire l’objet de procédure pour déficit excessif ; s’il ne présente pas de déséquilibres macroéconomiques graves ; si sa trajectoire de dette est jugée viable ; s’il respecte les conditions des plans de relance (RRP) donnant droit aux fonds NextGeneration EU (NGEU) de la Commission européenne (CE). Autrement dit, après le PEPP comme première ligne de défense, la BCE pourrait utiliser le TPI si le pays est en bonne santé financière ou, dans le cas contraire, lui proposer de faire appel à l’OMT. Sachant que ce dernier est assorti de conditions plus strictes liées à une mise sous tutelle européenne et n’a donc jamais été utilisé.

«Il n’y a pas de ‘free lunch’ : ce n’est pas forcément le ‘bazooka’ monétaire attendu», regrette Franck Dixmier. «Les outils de ce type s’avèrent plus efficaces lorsqu’ils peuvent être activés rapidement et avec souplesse… Là, un certain nombre de critères devront être examinés avant», remarque Sébastien Vismara, économiste senior chez BNY Mellon IM.

Le Conseil examinera les incidences du TPI sur la liquidité, sur son bilan et sur sa politique monétaire plus restrictive désormais. Mais les analystes ont encore été déçus par le manque de précisions sur le mécanisme de stérilisation, qui distinguerait ce programme de «stabilisation» d’un programme d’«assouplissement». «D’autant que les spécialistes doutent qu’il soit possible à mettre en place, que ce soit par des ventes de titres déjà détenus (risque de pertes) ou par des mécanismes de créances/dépôts à des taux avantageux (risque politique)», conclut Stéphane Deo, directeur Stratégies de marchés chez Ostrum AM.

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