La BCE devrait rester en terrain neutre

Alors que la BCE rendra sa décision de politique monétaire le 5 juin, les anticipations d’inflation constituent une boussole importante pour l’institution francfortoise, rappelle Michala Marcussen, chef économiste du groupe Société Générale. Du côté des consommateurs, une augmentation des perspectives médianes sur douze mois est constatée.
Chef économiste de la Société Générale
Michala Marcussen chef économiste SG
Michala Marcussen  - 

L’inflation en France n’atteint que 0,6 % en mai, son plus bas niveau depuis décembre 2020. Elle est en forte baisse par rapport au pic de plus de 7 % atteint début 2023. Certes, les prix de l'énergie y ont contribué en mai, mais on constate que la baisse est généralisée. La tendance est similaire pour la zone euro, l’inflation y est désormais proche de l’objectif de 2 % de la BCE. Le consensus des économistes est qu’elle devrait se maintenir à ce niveau les prochaines années, grâce à la faiblesse des prix de l'énergie, la fermeté de l’euro et une moindre dynamique des salaires.

Ce contexte a permis à la BCE d’abaisser son taux de dépôt au niveau de la fourchette neutre, estimée à 1,75-2,25 %. Les perspectives de croissance de la zone euro sont moroses, avec un risque de baisse lié aux droits de douane et à l’incertitude autour de la politique américaine. Pour l’institution monétaire, la question est de savoir si elle doit prévenir les risques baissiers pour la croissance de la zone euro, par de nouvelles baisses de taux, ou simplement rester stable en terrain neutre.

La réponse dépend de l’analyse des facteurs de risque inflationniste et de la pertinence des instruments de politique monétaire.

Les tarifs douaniers sont en premier lieu inflationnistes dans le pays qui les imposent, mais en augmentant les frictions sur les chaînes d’approvisionnement, ils créent des effets de contagion. Les tarifs de rétorsion ajoutent un effet supplémentaire. Comme la hausse des droits de douane freine l’activité, les impacts sur l’inflation peuvent s’avérer transitoires, l’affaiblissement de la croissance et la hausse du chômage compensant en partie ses effets.

La récente baisse des prix de l'énergie résulte en partie de l’érosion des perspectives de croissance mondiale, parallèlement à l’augmentation des quotas de l’OPEP+. Un autre canal désinflationniste est la réorientation des flux commerciaux pour éviter les droits de douane. En Europe, on craint l’arrivée de produits moins chers en provenance d’Asie qui réduiraient le pouvoir de fixation des prix des entreprises.

À la surprise générale, le dollar américain s’est déprécié depuis mars, contrecarrant les attentes d’une appréciation liée à la hausse des droits de douane. Cela peut s’expliquer par la révision à la baisse des perspectives de croissance américaine, ainsi que par les inquiétudes aux États-Unis liées au traitement fiscal futur des investisseurs étrangers et à la soutenabilité des finances publiques, comme en témoigne la hausse des primes de terme sur les obligations du Trésor.

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Anticipations

Dans cet environnement incertain, les anticipations d’inflation constituent également une boussole importante pour la BCE. Sur les marchés financiers, les anticipations d’inflation restent bien ancrées. Alors que les enquêtes de la BCE font état d’inquiétudes sur les coûts de production, les attentes sur les prix de vente sont restées assez stables ces derniers mois, à près de 3 %. En ce qui concerne les attentes des consommateurs, cependant, la dernière enquête d’avril de la BCE a montré une augmentation des perspectives médianes d’inflation sur douze mois à 3,1 %, contre 2,6 % en janvier.

Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a souligné dans son discours du 10 mai que lorsque les anticipations d’inflation sont peu sensibles à l’inflation réalisée, il est plus facile de tolérer des écarts modérés par rapport à l’objectif et ce, dans les deux sens. Après l’épisode récent d’inflation, les anticipations pourraient ainsi redevenir sensibles à toute surprise à la hausse. Quant à l’actualité permanente concernant les droits de douane américains, elle pourrait bien impacter les attentes des consommateurs, malgré la baisse de l’inflation dans la zone euro. On se souvient que lors du choc de la pandémie, les consommateurs ont généralement devancé les marchés financiers pour saisir les tendances futures de l’inflation.

Face à ces différents facteurs de hausse ou de baisse de l’inflation, la BCE est confrontée à un défi : doit-elle sortir de la fourchette neutre des taux d’intérêt ? Doit-elle arrêter le processus en cours de resserrement quantitatif passif (QT) ? Là aussi, les enquêtes jouent un rôle. L’enquête BCE sur les prêts bancaires faisait état d’un léger impact négatif du QT en avril. Si à l’avenir elle devait indiquer un impact plus négatif, ce serait un signal pour pousser la BCE à arrêter le QT.

Dans ce contexte, le niveau neutre pourrait s’avérer confortable pour la BCE. Compte tenu des incertitudes sur l’inflation et de l’arbitrage des instruments de politique monétaire, l’obstacle à une sortie du terrain neutre reste élevé.

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