
La BCE développe discrètement sa défense sur les achats d’actifs

Le compte-rendu de la dernière réunion de politique monétaire (4 juin) de la Banque centrale européenne (BCE) était très attendu sur sa stratégie de réponse à la Cour de Karlsruhe, alors que le parti d’extrême droite allemand AfD venait d’annoncer le 17 juin une nouvelle action en justice contre ses programmes d’achats d’actifs, et que le président de la Bundesbank voyait l’institution européenne donner rapidement des éléments. Le 5 mai, la cour constitutionnelle allemande a jugé que le programme d’achats de dettes publiques PSPP initié en 2015 outrepasse son mandat et que la BCE doit en démontrer sous trois mois le caractère «proportionnel», faute de quoi la banque centrale allemande devrait cesser d’y participer.
Jeudi matin, Reuters indiquait que la BCE aurait transmis – par l’intermédiaire de Jens Weidmann – des documents importants aux autorités allemandes pour se justifier, documents jamais rendus publics mais déjà communiqués à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) lorsque celle-ci avait validé le programme mis en cause, en décembre 2018.
Certains seront déçus que de ne trouver dans le (très long) compte-rendu de la BCE aucune allusion directe à l’arrêt de la Cour de Karlsruhe, «mais ce procès-verbal (…) constitue bien la réponse de la BCE, sans le dire explicitement (…). A notre avis, il sera toujours difficile de démontrer la proportionnalité des mesures de politique monétaire non conventionnelles (…) face à une situation sans précédent», estime Carsten Brzeski, chef économiste Eurozone chez ING, pour qui la BCE a trouvé «une manière élégante» de mettre un terme à la controverse.
Les gouverneurs ont débattu de l’ampleur des mesures face à la crise actuelle, se sont accordés sur le fait que les achats d’obligations sont l’arme la plus efficace et que leurs avantages (baisse des taux, transmission de la politique monétaire, soutien de l’inflation) l’emportent sur leurs inconvénients (prise de risques des épargnants, rentabilité des banques, prêts «zombie»). Ils se sont aussi félicités des premiers effets du programme d’urgence lié à la pandémie (PEPP), qu’ils affirment «proportionné» même dans sa version renforcée – alors qu’il n’est pas concerné par l’arrêt du 5 mai –, et soulignent avoir les preuves que les achats du PSPP ont soutenu la croissance et l’inflation. «Ces programmes sont des mesures proportionnées dans les conditions actuelles pour poursuivre l’objectif de stabilité des prix, avec des garanties suffisantes intégrées dans leur conception pour limiter les effets secondaires négatifs potentiels, y compris les risques de domination budgétaire».
La proportionnalité est argumentée depuis 2015
Une partie des observations du chef économiste de la BCE, Philip Lane, s’adressait bien à la cour allemande, «même si la BCE n’a pas à se justifier au travers de ces ‘minutes’ spécifiquement : le Conseil des gouverneurs a déjà rappelé à plusieurs reprises que tous ses comptes-rendus depuis 2015 - ainsi que de nombreuses publications parues entre temps - contenaient les arguments pour montrer la proportionnalité de ses mesures», analyse Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet WM. «Toute la difficulté pour l’institution présidée par Christine Lagarde est de se défendre sans répondre directement à la cour allemande dont elle ne dépend pas – à la différence de la Bundesbank –, notamment pour ne pas créer un précédent, rappelle Nicolas Goetzmann, directeur de la recherche de la Financière de la Cité. On peut regretter que Jens Weidmann (dont les économistes avaient pourtant donné raison à la BCE dans une étude publiée fin mai, ndlr) se soit un peu défaussé sur elle devant le Bundestag mi-juin.»
Une nouvelle discussion est prévue au Parlement allemand la semaine prochaine. Au-delà de l’enjeu économique sur la poursuite du programme PEPP, un enjeu juridique plus large porte sur la primauté de la justice communautaire sur les juridictions nationales en matière de supervision d’institutions telles que la BCE, et lorsque le droit national s’accommode mal du droit communautaire.
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