La BCE cherche à inscrire son action dans le temps

Une nouvelle hausse de taux d’un demi-point est attendue ce jeudi. L’institution devrait maintenir son discours restrictif tant que l’inflation sous-jacente n’aura pas chuté.
Fabrice Anselmi
La Banque centrale européenne (BCE) à Francfort
Pour 2023, la politique monétaire de la BCE dépendra encore des prix de l’énergie et de l’emploi.  -  © European Union

Le dernier discours de politique monétaire de la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) avait marqué les esprits, le 15 décembre, par un ton particulièrement restrictif. Christine Lagarde avait quasiment promis de faire encore trois hausses de taux de 50 points de base (pb), de 2% pour la facilité de dépôt à potentiellement 3,50%, entre les réunions de février, mars et mai. Fatigués par ses contradictions, les marchés n’ont pas vraiment suivi dans un premier temps cette position issue d’un compromis avec les gouverneurs les plus «restrictifs», tentés par un saut de 75 pb. Mais les rappels à l’ordre des membres de la BCE, dont Christine Lagarde à Davos, ont semblé finir par les convaincre que l’institution pourrait aller jusqu’à 3,50%.

C’est tout l’enjeu de la réunion de politique monétaire de la BCE ce jeudi: au-delà de la hausse des taux de 50 pb attendue par le consensus des économistes, la banque centrale affirmera-t-elle son intention de procéder à un ou deux sauts équivalents le 16 mars et le 4 mai ? Ce serait la confirmation que le conseil des gouverneurs ne subordonne plus chaque décision aux seules données macroéconomiques (data-dependant).

Le pire est passé ?

Depuis, l’inflation annuelle en zone euro est ressortie en baisse à 9,2% en décembre, grâce à la baisse des prix de l’énergie en Allemagne et en Espagne notamment. Mais l’inflation sous-jacente a continué de grimper : à 6,9% hors énergie et alimentation, et 5,2% hors alcool et tabac. «L’économie de la zone euro s’est montrée plus résistante qu’anticipé en 2022, tant pour la production industrielle (+1% prévu selon le consensus Bloomberg) que pour la consommation (+4% selon le consensus), rappelle Bénédicte Kukla, stratégiste senior chez Indosuez Wealth Management. Une partie de cette résilience est due à la chance, avec la douceur de l’hiver qui a limité la consommation de gaz, mais aussi aux dispositifs budgétaires, et toujours au redressement des services post-Covid», ajoute-t-elle à propos des bonnes surprises récentes.

Pour 2023, la politique monétaire dépendra encore des prix de l’énergie - avec divers scénarios - et de l’emploi - stable et déterminant pour la croissance et l’éventuel boucle prix-salaires qui soutiendrait l’inflation «core». Concernant l’énergie, les stocks de gaz naturel européen sont à 75% des capacités contre 50% en janvier 2022. «Mais l’Europe devra se passer du gaz russe l’hiver prochain, d’autant plus avec une volonté renforcée de soutenir l’Ukraine dans la guerre. La concurrence avec l’Asie sur les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) pèsera également sur les prix», poursuit Bénédicte Kukla. «Pas sûr que les centrales nucléaires fonctionnent à nouveau parfaitement l’automne prochain», avance aussi Ludovic Subran, chef économiste d’Allianz.

Concernant la demande, «les entreprises qui ont contenu leurs marges en ne transmettant pas toutes les hausses de prix à la production en 2022 ne pourront pas continuer en 2023, surtout, dans une économie à taux fixe pour les ménages, elles seront les premières à subir le durcissement de conditions monétaires», estime Bénédicte Kukla, espérant une poursuite de la reprise «post-Covid». «On a sous-estimé ce point, qui explique la résistance de l’emploi, également liée à la démographie et aux pénuries dans certains secteurs (voire à une moindre mobilité structurelle du travail en zone euro). Cela pourra aussi déterminer l’ampleur du ralentissement cette année», complète Jeanne Asseraf-Bitton, responsable recherche et stratégie de BFT IM. Celle-ci rappelle que la BCE craint une hausse de salaires (+5,2% en 2023, +4,5% en 2024, +3,9% en 2025 dans ses projections de décembre), et qu’une bonne visibilité des ménages sur l’emploi participe historiquement à maintenir une consommation élevée.

Corrélation avec la Fed ?

L’institution de Francfort étant coincée par son mandat sur l’inflation et sa dépendance aux données, les craintes montent ici et là d’une nouvelle erreur qui ne tiendrait pas assez compte des effets retards de la transmission monétaire.

«L’exercice est d’autant plus difficile que la BCE a peu d’effet sur le choc d’offre», poursuit Bénédicte Kukla. «Et que, contrairement aux autres banques centrales, ses derniers indicateurs sur les salaires datent encore de fin septembre», ajoute Jeanne Asseraf-Bitton pour expliquer que l’institution s’appuie autant sur les anticipations d’inflation. «La BCE est toujours plus en retard, mais le risque d’erreur me semble moins élevé qu’aux Etats-Unis ne serait-ce que parce que les gouvernements maintiendront un soutien budgétaire», nuance aussi Ludovic Subran.

«La BCE maintiendra son discours tant que l’inflation ‘core’ n’atteindra pas son pic, mais il lui sera difficile de continuer à monter les taux très longtemps si la Fed arrête de son côté», souligne François Rimeu, stratégiste senior de la Française AM, en écho aux attentes des marchés d’une hausse de taux désormais limitée aux Etats-Unis : une fois 25 pb ce mercredi et encore une fois en février ou en mars. «Comparer avec le passé semble compliqué à cause des importantes distorsions encore liées à la ‘crise du Covid’ : des taux réels (0,36% à 2 ans ; 0,65% à 10 ans au lieu de 2% en 2011) et un euro encore faibles laissent à la BCE un peu de marge», conclut Jeanne Asseraf-Bitton. Sachant que la présidente Christine Lagarde devra composer avec différents points de vue en interne, et présenter aussi les détails opérationnels de la réduction du bilan (quantitative tightening, QT) qui débutera en mars.

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