Jean-Marc Jancovici : «Il n’y a pas d’alternative à une récession dure»

Alexandre Garabedian

Un langage de vérité. Dans un entretien d’une trentaine de minutes mené lors de la remise des prix entreprises & finance durables de L’Agefi, Jean-Marc Jancovici a partagé son analyse de la situation climatique et des mesures prises par la société, et notamment par le monde financier, pour limiter le réchauffement. Et le constat n’est pas très encourageant.

Selon le cofondateur de Carbone 4, les différents acteurs ne réagissent pas assez vite. Pas plus les citoyens que les politiques qui, dans une démocratie «sont un très bon reflet de l’opinion avec trois ans de retard». Pour limiter la hausse des températures à 1,5 degré d’ici 2100 «il faudrait que les émissions planétaires de CO2 commencent à baisser demain de 7-8% par an», calcule le polytechnicien. «Sachant qu’il ne faut pas attendre des miracles des ingénieurs sur l’efficacité carbone de l’économie, ça veut dire qu’il faudrait organiser dans le monde une récession de 6-7% par an à partir de demain matin», estime-t-il. Pour un scénario à 2 degrés, la contraction annuelle de l’économie nécessaire serait de 5%.

Nucléaire et hydrogène

Une perspective à laquelle «la population n’a pas envie de se résoudre», constate Jean-Marc Jancovici. «Les dirigeants encore moins que les autres pour une raison assez simple qui est que le pouvoir et l’argent donne l’illusion de la protection contre l’adversité».

Pour le président du Shift Project, il n’existe pourtant «aucune alternative à une récession dure». Le développement des énergies renouvelables ne suffira pas. Il confirme à cette occasion sa préférence pour le nucléaire par rapport au solaire et à l’éolien car il nécessiterait «10 à 50 fois moins de métal» pour produire la même quantité d’électricité. Il considère l’atome comme «un amortisseur de la décroissance (…) qui permettra de conserver un peu plus de civilisation industrielle dans un monde qui en aura beaucoup moins».

L’hydrogène, particulièrement à la mode depuis quelques mois, ne trouve pas totalement grâce à ses yeux. Il rappelle que cette molécule qui est très peu disponible directement dans la nature ne peut pas être considérée comme une source d’énergie primaire. Son rendement est jugé trop faible pour qu’elle soit utilisée dans les transports mais «Janco» admet qu’elle peut être utilisée dans l’industrie, pour faire de l’acier et des engrais décarbonnés. L’hydrogène ne compensera toutefois pas la baisse de l’approvisionnement en hydrocarbures. «Pour remplacer un haut fourneau, il faut un réacteur nucléaire» afin de produire l’électricité nécessaire à la fabrication de l’hydrogène correspondant.

Marchés de l'électricité et du carbone

Jean-Marc Jancovici estime par ailleurs que le marché européen de l’électricité, mis à mal par la crise énergétique, doit être «partiellement détricoté». Pour lui, la libéralisation du marché de l’électricité en Europe à l’aval était «une ânerie» qui a transféré «de la rente à des purs distributeurs sans infrastructures» et créé «un système de prix illisible qui dissuade les investissements». «Il faut repasser à une structure de distribution à l’aval qui soit très intégrée et éventuellement faire un peu de concurrence à l’amont».

Il trouve une utilité au marché du carbone mais préconise de le compléter avec un prix de réserve aux enchères sur les quotas croissant dans le temps. «Ça revient à transformer le système en une quasi taxe et à le rendre prévisible» ce qui permettrait aux industriels de l’intégrer dans leur projet d’investissement.

Les fonds verts sur le grill

Enfin, le médiatique ingénieur n’a pas caché son scepticisme face aux annonces «vertes» des entreprises et des sociétés financières. Selon lui, les stratégies «net zero» n’ont aucun sens car «une entreprise ne peut pas être neutre individuellement, cela signifierait qu’elle a été capable de s’extraire toute seule du problème climatique».

Les fonds durables, mis en cause ces derniers temps, en prennent également pour leur grade. Un fonds durable devrait être un fonds «qui résiste dans un monde où les émissions baissent de 5% par an (...) or ce n’est pas comme ça que le problème est pris», estime Jean-Marc Jancovici. L’objectif réel de ces fonds serait «que les activistes leur foutent la paix et que les clients continuent de les acheter sans avoir l’impression qu’ils contribuent au malheur du monde».

«Evidemment, avec un tel cahier des charges, de temps en temps on se fait rattraper par la patrouille». «Les entreprises n’innovent que sous la contrainte et pour le moment le secteur financier n’est pas assez contraint pour faire des choses audacieuses», conclut-il.

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