
La course à l’hydrogène vert est lancée

Il y a des signes qui ne trompent pas. Dans des conditions de marché dégradées, deux des plus grosses introductions en Bourse européennes du premier semestre sont venues d’un seul secteur. Les spécialistes de l’hydrogène vert De Nora et Lhyfe ont levé respectivement 200 et 110 millions d’euros en juin dernier.
Le dihydrogène, de son vrai nom, intéresse les industriels pour sa capacité à produire de l’énergie sans émettre autre chose que de la vapeur d’eau. Son exploitation par la méthode traditionnelle fait toutefois face à un important écueil : elle est très émettrice de carbone. «La production d’une tonne d’hydrogène par vaporeformage du gaz naturel émet environ dix tonnes de CO2», indique Alena Fargère, directrice de participations chez Swen Capital Partners et experte en gaz chez UN ECE. L’autre technique, qui attire toutes les convoitises, vise à casser les molécules d’eau pour obtenir de l’hydrogène et de l’oxygène. Elle nécessite l’utilisation d’un équipement particulier, l’électrolyseur, et d’une grande quantité d’électricité. Si celle-ci est produite de manière renouvelable, l’hydrogène sera considéré comme «vert», contrairement à son équivalent dit «gris» produit à partir de gaz et «qui représente aujourd’hui 95% du marché», précise Alena Fargère.
Deux à huit fois plus cher
L’hydrogène vert permettrait de décarboner les usages qui sont faits actuellement de ce gaz, dans la pétrochimie notamment. Il offrirait aussi une solution durable à des industriels gros consommateurs de gaz naturel et il est appelé à jouer un rôle important dans la décarbonation de certains types de transports difficilement électrifiables (camion, bus…). L’hydrogène vert promet enfin de pallier l’intermittence des énergies renouvelables en offrant une solution de stockage alternative aux batteries électriques.
Bien que prometteuses, ces perspectives s’inscrivaient jusqu’à récemment dans le long terme. Pour une raison simple. L’hydrogène vert coûte cher à produire. «Historiquement, il faut compter entre 1 et 2 euros pour fabriquer un kilo d’hydrogène gris contre 4 à 8 euros pour un kilo d’hydrogène vert», admet Alena Fargère. «Selon les projets, les courbes de coûts de production devraient se croiser entre 2025 et 2030 grâce aux gains d’échelle et à un effet d’apprentissage».
Des projets déjà compétitifs
L’histoire récente pourrait toutefois changer la donne. La guerre en Ukraine a modifié les paramètres de l’équation à deux niveaux. L’envolée des prix des hydrocarbures renchérit les coûts de production d’hydrogène gris. «Avec un prix du gaz à 150 euros le Mwh, la fabrication d’un kilo revient à 7 euros, contre 1,5 euro en moyenne historiquement», indique Pierre-Etienne Franc, directeur général de Hy24, une coentreprise formée par FiveT Hydrogen et Ardian gérant un fonds dédié aux infrastructures d’hydrogène bas-carbone. L’hydrogène vert n’en devient pas forcément compétitif pour autant car la flambée du prix du gaz a entraîné celui de l’électricité dans son sillage. «Certains projets entièrement intégrés, qui bénéficient de leurs propres panneaux solaires ou éoliennes et n’ont donc pas besoin d’acheter de l’électricité sur le marché, seraient néanmoins déjà compétitifs à de tels prix du gaz», se réjouit Pierre-Etienne Franc.
Le conflit déclenché par la Russie a une autre conséquence. Il a mis en lumière l’extrême dépendance énergique de l’Europe. Pour tenter de corriger cette fragilité, l’Union européenne (UE) a présenté en mai son plan «RepowerEU» qui revoit fortement à la hausse les ambitions du continent en matière d’hydrogène. Il prévoit ainsi la production de 10 millions de tonnes par an d’hydrogène vert en 2030 contre quasiment rien aujourd’hui. «Cela suppose de multiplier par 100 les capacités installées d’électrolyseur en Europe pour atteindre 100 gigawatts», glisse le DG de Hy24. La France a aussi récemment augmenté ses engagements dans le domaine et prévoit désormais d’investir environ 9 milliards d’ici la fin de la décennie. «Ces aides publiques, qu’il s’agisse de subventions aux projets ou de prix garantis, permettront de réduire l’écart de compétitivité de l’hydrogène vert», explique Alena Fargère.
Incertitudes réglementaires
«Encore faut-il que ces volontés politiques soient mises en musique», alerte Pierre-Etienne Franc. «Beaucoup de subventions publiques annoncées au niveau national n’arrivent pas car Bruxelles tarde à accorder des dérogations à ces aides d’Etat qui sortent du cadre prévu». L’autorisation, annoncée le 15 juillet, d’une aide de 5,4 milliards d’euros pour le projet Hy2Tech est toutefois encourageante. L’UE doit par ailleurs préciser sa réglementation. «Pour le moment, l’idée générale est de dire que pour être considéré comme vert, l’hydrogène doit utiliser de nouvelles capacités d’électricité renouvelable et les consommer avec une cohérence temporelle et géographique mais les discussions sont encore en cours pour arriver à des critères précis», explique Alena Fargère.
En attendant que ces incertitudes soient levées, certains investisseurs sont dans les starting-blocks. Swen Capital Partners est en train de constituer son deuxième fonds dédié aux gaz renouvelables qu’il compte porter à plus de 350 millions d’euros au cours des prochains mois. Le géant du secteur, Hy24, a de son côté déjà dépassé son objectif de 1,5 milliard d’euros d’encours, levés auprès d’industriels comme TotalEnergies, Air Liquide ou Vinci mais aussi de financiers (Axa, CCR, le Crédit Agricole, JBIC…). Le fonds pourrait être clôturé à environ 1,8 milliard d’euros à l’automne prochain mais il n’a pour le moment engagé «que» 200 millions d’euros d’investissements.
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Munich - Acheter une voiture chinoise sur les Terres de Volkswagen, BMW et Mercedes? «Et pourquoi pas?», sourit la designeuse allemande Tayo Osobu, 59 ans, déambulant dans la vieille ville de Munich, devenue vitrine géante du salon automobile. Venue de Francfort, elle découvre les plus de 700 exposants, dont 14 constructeurs chinois contre 10 européens, qui tentent de séduire le public avec des modèles high-tech dans toutes les gammes de prix. Sur la Ludwigstrasse, deux mondes se font face. D’un côté, le géant chinois BYD, dont les ventes en Europe ont bondi de 250% au premier semestre, expose ses modèles phares, dont l’un, une citadine électrique, se vend à partir de 20.000 euros. De l’autre, Volkswagen, numéro 1 européen en crise, tente de défendre son territoire malgré la chute des livraisons et un plan social historique. Tayo est impressionnée par les finitions des coutures à l’intérieur d’une voiture BYD. Sur la sécurité, aucun doute: «si elles sont vendues ici, c’est qu’elles respectent les normes européennes», répond-t-elle sans hésiter. Qualité au «même niveau» Les marques chinoises maîtrisent une grande partie de leur chaîne de valeur, des batteries électriques aux logiciels embarqués. De plus, elles bénéficient d’une main d'œuvre moins chère et d’économies d'échelle grâce au marché chinois gigantesque. Et fini la réputation de la mauvaise qualité. «Ce qui a changé en cinq ans, c’est qu'à prix inférieur, les Chinois sont désormais au même niveau sur la technologie et la qualité à bien des égards», résume l’expert du secteur Stefan Bratzel. Pour contenir cette offensive, la Commission européenne a ajouté l’an dernier une surtaxe pouvant atteindre 35% sur certaines marques chinoises, en plus des 10% de droits de douane existants. Objectifs visés: protéger l’emploi sur le Vieux continent, limiter la dépendance technologique et préserver l’image des constructeurs européens. Mais BYD contournera bientôt la mesure: sa première usine européenne en Hongrie doit démarrer sa production dès cet hiver. Il est encore «trop tôt» pour parler d’invasion, estime M. Bratzel. Les marques chinoises doivent encore établir «une relation de confiance» avec le public européen, développer des réseaux de concessionnaires et de service après-vente, explique-t-il. Des acheteurs potentiels le disent aussi: «Si on conduit une voiture chinoise, dans quel garage va-t-on en cas de problème?», s’interroge Pamina Lohrmann, allemande de 22 ans, devant le stand Volkswagen où est exposé un ancien modèle de l’iconique Polo. «J’ai grandi avec les marques allemandes, elles me parlent plus», confie cette jeune propriétaire d’une Opel décapotable, dont la famille roule plutôt en «BMW, Porsche ou Mercedes». «Image de marque» L’image des véhicules reste un point faible, mais déjà une certaine clientèle, jeune et technophile, se montre plus ouverte. Cette dernière est convoitée par la marque premium XPeng, lancée en Chine en 2014 : «Nous visons la première vague d’enthousiastes de la technologie», explique son président Brian Gu sur le salon. Loin de baisser les bras, les constructeurs allemands continuent de «renforcer leur image de marque européenne» avec «un héritage» échappant encore aux entrants chinois, explique Matthias Schmidt, un autre expert. Volkswagen a ainsi rebaptisé son futur modèle électrique d’entrée de gamme «ID.Polo», attendu en 2026 autour de 25.000 euros, pour capitaliser sur la notoriété de sa citadine. Et les Européens imitent les Chinois sur l’intégration du numérique, comme le nouveau système d’affichage par projecteur de BMW, et dans la course à la recharge rapide. Ils adoptent aussi les batteries lithium-fer-phosphate (LFP), moins coûteuses, et intègrent de plus en plus de pièces standards chinoises, afin de réduire les coûts et de combler l'écart technologique, note M. Schmidt. «Ce qui compte, c’est que les fonctionnalités et le prix soient convaincants», note Martin Koppenborg, consultant automobile de 65 ans, bravant la pluie sur un stand de BYD, visiblement séduit. Léa PERNELLE © Agence France-Presse