
Euronext s’efforce de tourner la page Allfunds

La verrière et les colonnes du Pavillon Cambon, à Paris, forment l’écrin rêvé pour la conférence annuelle d’Euronext. Ce 7 mars, les fastes de l’ancien siège du Crédit Foncier ont vu se succéder à la tribune Luc Rémont, PDG d’EDF, Antoine Gosset-Grainville, président d’Axa, ou encore Lorenzo Bini Smaghi, celui de la Société Générale. Mais cette édition 2023 se déroule dans un climat plus effervescent qu’à l’ordinaire. Le 22 février, une indiscrétion révélait que l’opérateur boursier paneuropéen préparait une offre d’achat du distributeur espagnol de fonds Allfunds. Six jours plus tard, le groupe renonçait à cette opération potentielle à 5,5 milliards d’euros qui aurait été la plus grande de son histoire.
L’action Euronext en porte encore les traces. A 71 euros, elle s’échangeait mardi environ 7,5% en dessous de son cours de clôture de 76,8 euros le 21 février, alors que celle de son concurrent Deutsche Börse n’a reculé que de 2% dans le même laps de temps. «C’est la combinaison de deux éléments qui a créé le trouble : la taille de l’opération et la diversification dans une activité qui ne présente pas de synergies avec les autres métiers d’Euronext, même si ce dernier aurait appliqué ses méthodes de gestion des coûts à la société», estime un bon connaisseur du dossier. Sans compter qu’entre des fuites savamment orchestrées et la communication officielle parfois déroutante d’Allfunds, ces quelques jours ont passablement agacé les dirigeants d’Euronext.
L’opérateur de la Bourse de Paris, toujours à l’affût d’opportunités de diversification, s’est intéressé à Allfunds et à l’activité de distribution de fonds comme d’autres avant lui : Deutsche Börse avait regardé le dossier par le passé et le spécialiste du règlement-livraison Euroclear a racheté en 2021 Mfex, un concurrent du groupe espagnol. En ce début d’année, les planètes semblent s’aligner pour Euronext. Le fonds Hellman & Friedman, actionnaire à 29,9%, cherche une porte de sortie. Les acteurs du private equity, redoutables enchérisseurs quand l’argent était gratuit, n’ont pour l’heure plus accès à la dette pour financer de telles opérations.
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Accrocs
Euronext se met donc en mesure de faire une offre à 8,75 euros par action Allfunds, payée à 65% en cash. Il s’assure le soutien de ses banques pour lever la dette nécessaire et celui de ses actionnaires de référence pour une inévitable augmentation de capital. Il convainc aussi les vendeurs d’être rémunérés à 35% en titres.
Le premier accroc survient le 22 février, quand une fuite force le groupe à officialiser son intérêt sans pouvoir donner aux investisseurs tous les éléments financiers du deal. La réaction du marché est immédiate, avec un plongeon de 11% de l’action en deux jours.
Second rebondissement le 28 février. Ce mardi-là, Allfunds publie ses résultats annuels. Dès l’aube, le PDG d’Euronext, Stéphane Boujnah, part pour Londres avec une partie de son comité de direction. Au programme, une réunion de plusieurs heures avec les dirigeants de la cible, dont les comptes sont passés au crible. Très vite, plusieurs éléments financiers font tiquer les prétendants : les résultats, publiés sur une base semestrielle, sont moins bons que prévu, et les perspectives 2023 décevantes. Lorsque les conseils d’Euronext retraitent ces éléments et les intègrent dans les modèles de valorisation du groupe, le verdict est imparable. Impossible de créer de la valeur pour les actionnaires sur la base d’un prix d’achat à 5,5 milliards d’euros. En fin d’après-midi, à l’issue de cette due diligence, décision est prise de ne pas poursuivre les discussions. Euronext compte en informer le marché le lendemain, mais Allfunds lui grille la politesse en affirmant… que son conseil d’administration a refusé les conditions de l’offre. Ambiance.
Migration fin mars
Cette parenthèse refermée, l’opérateur paneuropéen ne démord pas de la stratégie qu’il met en œuvre depuis 2014 : rendre ses revenus moins sensibles aux volumes boursiers – le trading n’en représentait plus que 35% l’an dernier – et appliquer une gestion au cordeau de ses activités qui se traduit par une marge opérationnelle (Ebitda) de 58%. Le mois dernier, le groupe a relevé pour la deuxième fois les synergies attendues du rachat de Borsa Italiana, de 100 millions à 115 millions d’euros à horizon 2024, dont 70 millions dès cette année.
Côté revenus, le trading actions de la Bourse italienne migrera fin mars sur Optiq, la plateforme d’Euronext, avec à la clé un alignement des commissions sur celles, plus élevées, pratiquées par l’opérateur paneuropéen. Les autres marchés de Borsa Italiana, comme l’obligataire, suivront au quatrième trimestre : ils se déconnecteront alors de Millenium, la plateforme de son ancien actionnaire le London Stock Exchange, avec cette fois des économies de coûts à la clé. Le groupe fermera aussi, d’ici à fin 2023, son dernier centre de données à Basildon, au Royaume-Uni, tous ses serveurs ayant été transférés près de Bergame. Enfin, entre le dernier trimestre 2023 et le troisième trimestre 2024, il basculera la compensation de son cash actions, puis de ses produits dérivés listés et des matières premières, vers sa propre chambre, Euronext Clearing. Pendant les «affaires», les affaires continuent.
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