
Banque du Japon, l’introuvable inflation

Le Japon coche pourtant toutes les cases. Le pays est dépendant des chaînes d’approvisionnement mondiales pour l’essentiel de son énergie, de ses matières premières et une bonne part de son alimentation. Les ménages ont reçu de l’argent du gouvernement pendant la pandémie, au point que l’épargne locale, bien plus abondante que celle des ménages occidentaux, a touché un nouveau point haut. Et les marchés du travail demeurent tendus, les offres d’emplois demeurant plus nombreuses que le nombre de chômeurs.
Pour autant, la dynamique d’inflation est fragile. La banque centrale (BoJ) prévoit que l’inflation retombera sous sa cible en 2025, d’autant que les hausses de prix record de l’an dernier (4%, un plus haut depuis les années 1980) ont été essentiellement tirés par des éléments volatils, énergie et alimentaire. Signe que les attitudes des entreprises et des consommateurs restent marquées par la longue période de déflation, le groupe d’ameublement Nitori a annoncé qu’il baisserait les prix de ses produits après avoir enregistré une perte annuelle pour la première fois en 24 ans -ses clients ayant fui ses magasins après cinq hausses de prix l’an dernier. La BoJ a donc ses raisons d’insister sur le retour à une inflation soutenable comme prérequis d’une hausse de taux.
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Des journées sans transaction
L’enjeu est désormais de comprendre sur quelles mesures la BoJ s’appuiera pour déterminer cette soutenabilité. La focalisation, cette année, s’est portée sur les négociations salariales de printemps («Shunto»), qui ont atteint leur plus haut niveau en 30 ans, à 3%. Or, la donnée n’est publiée qu’une fois par an, ce qui en limite le rôle prédictif. Des données plus fréquentes sur les revenus mensuels moyens, par exemple, indiquent que les salaires ont de la marge de rattrapage : les revenus réels ont affiché leur première croissance positive (+0,1%) sur neuf mois en décembre 2022.
A travers ses déclarations, l’institution tente de se dégager du temps pour ajuster sa politique monétaire. Celle-ci devrait avoir lieu en deux temps : une révision de la politique de contrôle de la courbe (PCC) d’abord, puis une remontée des taux.
Côté PCC, la révision devrait se faire sous couvert d’améliorer le fonctionnement du marché de titres souverains (JGB) qui apparaît pour le moins distordu. Un seul exemple : alors que la BoJ détient plus de la moitié des titres de dette souveraine, et plus de 100% des JGB à 10 ans, ce dernier marché est tellement dysfonctionnel que certaines journées se déroulent sans la moindre transaction.
Depuis la mise en place de la PCC, «les salles de marché japonaises (exposées aux JGB) ont été vidées de leur substance», écrit Mark Siegel, associé-gérant de Chancellors Point Partners LLC. Et les derniers opérateurs de marché «n’ont pas ou peu de d’expérience de première main sur la manière d’opérer en période de volatilité.»
Dans ces conditions, une révision trop brusque de la PCC pourrait précipiter un accident financier. La BoJ pourrait procéder par étape, en élargissant la bande de fluctuation (-50/+50 pb aujourd’hui) à -100/+100 pb par exemple. Une autre option pourrait être d’intervenir sur une maturité plus faible, le 5 ans par exemple, dont le rendement dicte le taux d’emprunt des entreprises japonaises. Les marchés anticipent que la PCC évoluera en deuxième partie d’année 2023.
Financement
Limiter les achats de titres d’Etat pose aussi un autre problème : le gouvernement propose régulièrement d’importants plans de soutien, et devra financer les retraites d’une population vieillissante à terme. Or, il est difficile d’imaginer quel acteur pourrait prendre la place de la BoJ dans les achats de JGB. Les assureurs-vie locaux, qui disposent de vastes capacités d’investissements, ont certes commencé à se repositionner sur les JGB à long terme, mais les banques ont suivi le mouvement inverse, vendant des titres japonais pour accroître leur exposition aux taux étrangers. Cette incertitude sur la demande en JGB compliquera d’ailleurs un éventuel débouclage du bilan de la BoJ, qui reste un sujet distant.
La seconde partie de la normalisation de la politique monétaire, la sortie des taux négatifs, aura donc lieu une fois la PCC hors du champ. Un retour à des taux positifs aura aussi des répercussions imprévisibles. D’une part, gouvernement, entreprises et ménages se sont habitués à des financements à très faible coût, sans compter que le cash reste le principal moyen d’épargne -ainsi, l’investissement des entreprises est resté stable sur 20 ans pendant que les réserves de cash triplaient. L’état d’esprit déflationniste est, là encore, ancré dans l’économie. Par ailleurs, la remontée des taux renchérira le service de la dette japonaise, la plus élevée du monde développé à 250% du PIB, et pourra mener à des pertes comptables importantes sur les JGB détenus par les acteurs privés, une situation comparable au krach obligataire de 2022.
L’incertitude est d’autant plus forte que le nouveau gouverneur de l’institution a annoncé une révision de la politique monétaire passée, qui prendra fin dans 12 à 18 mois.«Cette révision réintroduit la possibilité d’une surprise, écrit Eva Sun-Wai, gérante chez M&G. Le délai de 12 à 18 mois ne signifie pas que la banque centrale n’agira pas au cours de l’année à venir, et s’ils le font, l'élément de surprise revient.»
Après plus de 20 ans de politique monétaire ultra-accommodante, le changement de posture de la BoJ surprendra quoi qu’il arrive.
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