
La vigueur de l’emploi américain déroute les économistes

Les marchés ont hésité à bouger, vendredi après la très grande surprise sur les chiffres mensuels de l’emploi américain publiés par le département du Travail (US Bureau of Labor Statistics, BLS). Les taux des US Treasuries à 2 et à 10 ans ont d’abord gagné 20 et 13 points de base (pb) avant de redescendre un peu à 4,30% et 3,53%. L’indice américain S&P 500 a de son côté perdu 1%, même si les actions se révèlent de moins en moins sensibles aux facteurs qui, comme celui-ci, pourraient modifier le taux terminal de la Fed de 25 pb (à 5% ou 5,25% pour le haut de fourchette).
Incompréhension
Mais la surprise a été grande, avec une économie américaine qui aurait créé 517.000 emplois en janvier selon ce Job Report, au lieu de 185.000 à 190.000 attendus par les consensus, et ce malgré une révision à la hausse de 223.000 à 260.000 du chiffre de décembre dans l’enquête auprès des entreprises (+71.000 avec la révision de novembre). L’écart des créations d’emplois du secteur privé (443.000) est immense avec les chiffres de l’organisme ADP qui compile les fiches de paye du pays et a publié un total de 106.000 créations d’emplois en janvier (après 253.000 en décembre).
«C’est difficilement compréhensible, les chiffres du BLS tranchent avec ceux d’ADP dont la méthode de collecte est robuste et donne une tendance claire depuis plusieurs mois», s’étonne comme d’autres Bastien Drut, responsable des études et de la stratégie de CPR AM. Il note par ailleurs que les révisions des deux enquêtes du BLS (avec l’enquête auprès des ménages) semblent perturber toutes les statistiques. «Certains évoquent aussi les méthodes de désaisonnalisation - surtout en janvier car c’est le mois avec le plus d’ajustements, mais c’est très loin de tout expliquer», ajoute-t-il.
Le BLS a en effet a publié sa révision annuelle de la masse salariale, avec une différence positive de 311.000 emplois créés (4,814 millions au lieu de 4,503 millions) alors que tout le monde attendait une différence nettement négative. Comme chaque année, il a aussi révisé son système de classification des industries et inclus une nouvelle estimation de la population active américaine dans son enquête auprès des ménages. Elle atteint près de 266 millions en janvier après 264,8 millions en décembre, nombre à partir duquel le taux de chômage a été calculé à 3,4% fin janvier, ce qui serait un plus bas depuis 1969. «Cela fait plus de 1,1 million de personnes en un mois, et cela fausse aussi les statistiques de l’enquête auprès des ménages», ajoute Bastien Drut.
Ces révisions attireront l’attention après que des chercheurs de la Fed de Philadelphie ont publié en décembre un document suggérant que la croissance de l’emploi au deuxième trimestre avait été surévaluée à hauteur de 1 million de postes - on se rappelle alors d’écarts énormes entre les deux enquêtes. D’autres économistes ont rejeté cette hypothèse, que les premiers tenteront d’étayer en mettant leur étude à jour prochainement.
Si on se fie aux données du BLS, l’emploi a donc été très dynamique en janvier, avec d’importantes créations nettes dans les loisirs et l’hôtellerie (128.000), les services aux entreprises (82.000) et les soins de santé (58.000). Des chiffres qui semblent validés par l’indice ISM des services publié en nette hausse vendredi. L’emploi a également augmenté dans le secteur public (74.000), «en partie en raison de la fin de la grève» en Californie. «Malgré la poussée de la croissance de l’emploi en janvier et toutes les révisions, le niveau du nombre de fiches de paye (nonfarm payroll, NFP) reste inférieur à la tendance sur la trajectoire pré-covid», note Nancy Vanden Houten chez Oxford Economics, avant d’ajouter elle aussi que «les données de janvier surestiment la vigueur du marché du travail malgré des déséquilibres persistants» pour l’instant.
Salaires encore en hausse
L’enquête auprès des ménages montre que le nombre d’emplois à temps partiel aurait progressé pour le deuxième mois de suite (627.000), de même que les auto-entrepreneurs (181.000), le taux de chômage U6 élargi aux personnes qui ont renoncé à chercher un emploi (6,6%), le nombre de personnes en «multi-emploi» (+550.000 unités en un an), «ce qui est généralement plutôt mauvais signe car cela témoigne d’une détresse financière», poursuit Bastien Drut.
De fait, malgré une offre d’emplois élevée et même en hausse - 11 millions selon le nouveau rapport Jolts du BLS paru mercredi -, les entreprises tendent à diminuer le nombre d’heures travaillées pour baisser la masse salariale. La croissance des salaires horaires a encore un peu ralenti : de 0,4% en décembre (révisé) à 0,3% en rythme mensuel, et de 4,8% à 4,4% en rythme annuel. «Ces données ralentissent aussi plus vite (à 0,2% en rythme mensuel et à 5,1% en rythme annuel) pour les non cadres, et de manière encore plus notable pour les deux catégories lorsqu’on regarde la variation 3 mois annualisée du salaire horaire moyen – désormais à 4,6% et 4,4% pour les non-cadres», conclut Bastien Drut. La statistique est l’une des plus observées par la Fed pour appréhender la boucle prix-salaires.
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