
Le régime mère-fille se précise !

Par Claire Guionnet-Moalic, avocat associé, cabinet ORSAY, spécialiste en Droit Fiscal et Arnaud Bonnard Avocat, cabinet ORSAY Département Droit fiscal
Le régime «mère-fille» [1] a récemment fait l’objet de plusieurs ajustements qui méritent attention.
Ce dispositif qui vise à éviter que les bénéfices d’une société soient doublement assujettis à l’impôt sur les sociétés (une première fois lors de leur constatation par la société, puis une seconde fois au niveau de sa société mère lors de leur distribution), prévoit que les produits de participation distribués à une société mère constituent un produit non imposable.
Toutefois, la société mère doit réintégrer dans son résultat soumis à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun, une «quote-part de frais et charges» égale à 5% du montant des produits de participation qui lui sont distribués, soit un taux effectif d’imposition de 1.67%[2].
Le régime «mère-fille» est réservé aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent, pendant au moins deux ans, des titres de participation sous forme nominative [3] représentant au moins 5% du capital de la société émettrice. Cette dernière condition est appréciée à la date de mise en paiement des produits.
Les récents ajustements, d’origines légales et jurisprudentielles, apportés à ce régime révèlent sa subtilité.
1. Précision sur l’appréciation du seuil de détention de 5% au regard des droits de vote
Par deux arrêts rendus le 5 novembre 2014 et le 3 décembre 2014[4], le Conseil d’Etat a considéré que l’application du régime mère-fille était subordonnée à la détention de 5% du capital de la société émettrice et ce, quel que soit le nombre de titres assortis d’un droit de vote.
Toutefois, si les droits de vote détenus représentent moins de 5% du total des droits de vote dans la société émettrice, seuls les dividendes afférents à des titres auxquels sont attachés des droits de vote bénéficient de l’exonération.
Exemple 1
La société A détient 50% du capital de la société B, soit 500 des 1000 titres émis par B. La moitié des titres détenus par A sont assortis d’un droit de vote (soit 25% des droits de vote dans B). B verse un dividende de 200.000 € à A.
Dans cette situation, la société A détient au moins 5% des droits de vote et du capital de B. La société A bénéficie donc du régime mère-fille sur l’ensemble du dividende reçu de B. Ainsi, 95% de ce dividende (soit 190.000 €) est exonéré d’impôt sur les sociétés.
Exemple 2
La société A détient 50% du capital de la société B mais aucun droit de vote. B verse un dividende de 200.000 € à A.
Dans cette situation, la société A, qui ne détient aucun droit de vote, ne peut pas bénéficier du régime mère-fille alors même qu’elle détient 50% du capital de B. Ce dividende de 200.000 € est inclus pour son montant total dans le résultat fiscal de A.
Exemple 3
La société A détient 50% du capital de la société B, soit 500 des 1000 titres émis par B. Seuls 30 titres détenus par A sont assortis d’un droit de vote (soit 3% du total des droits de vote dans B). B verse un dividende de 200.000 € à A.
Dans cette situation, la société A bénéficie du régime mère-fille sur la portion du dividende attachée aux seuls titres assortis d’un droit de vote, soit sur 12.000 € (30/500 x 200.000 €), qui est non imposable pour 11.400 € (12.000 x 95%).
Exemple 4
La société A détient 5% du capital de la société B, soit 50 des 1000 titres émis par B. L’ensemble de ces 50 titres est assorti d’un droit de vote. Toutefois, en raison du droit de vote double dont bénéficient certains associés, A ne détient que 3% du total des droits de vote dans B. B verse un dividende de 200.000 € à A.
Dans cette situation, bien qu’elle ne dispose que de 3% du total des droits de vote dans B, la société A peut bénéficier du régime mère-fille sur l’ensemble de ses titres dès lors qu’ils sont tous assortis d’un droit de vote. Ainsi, 95% de ce dividende (soit 190.000 €) est non imposable à l’impôt sur les sociétés.
2. Précision sur la condition de détention des titres pendant au moins deux ans
Dans un premier temps, la Cour Administrative d’Appel de Versailles [5] a considéré que le régime «mère-fille»ne pouvait s’appliquer qu’aux titres qui avaient été conservés pendant au moins deux ans et ce, même si un socle minimal représentant 5% du capital et des droits de vote avait été conservé pendant deux ans.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat [6] a considéré que la décision rendue par la Cour Administrative d’Appel de Versailles induisait une différence de traitement entre une société mère française recevant des dividendes d’une filiale française et une société mère française recevant des dividendes d’une filiale établie dans un autre Etat membre de l’Union Européenne et était, à ce titre, non conforme au droit communautaire [7].
En conséquence, pour que le régime «mère fille»soit applicable à l’ensemble des titres, il suffit qu’un socle minimal représentant au moins 5% du capital et des droits de vote soit conservé pendant le délai de deux ans.
Exemple
La société A détient depuis plusieurs années 10% du capital social et des droits de vote de la société B. L’espace de 18 mois, A augmente sa participation dans B à hauteur de 50% puis revend l’ensemble de ces titres B. Au cours de la période pendant laquelle elle détient 50% des titres B, A perçoit un dividende de 200.000 €.
Selon le Conseil d’Etat, l’ensemble du dividende reçu bénéficie du régime « mère-fille » même si 40% des titres ont été détenus moins de deux ans.
Prise en compte des titres transférés dans un patrimoine fiduciaire, mais non des titres prêtés
Pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2014, il est expressément admis par la loi[8] que les titres transférés dans un patrimoine fiduciaire par une société –qui n’en est donc plus détentrice en pleine propriété- bénéficient du régime « mère-fille » si le constituant conserve l’exercice des droits de vote attachés aux titres transférés ou si le fiduciaire exerce ces droits dans le sens déterminé par le constituant.
En outre, le transfert de titres dans un patrimoine fiduciaire n’interrompt pas le décompte de leur délai de conservation par le constituant.
Exemple
Une société A transfère le 30 juin 2015 des titres de participation de la société B d’une valeur de 1.000.000 € dans un patrimoine fiduciaire. Ces titres permettent à la fiducie de dégager un bénéfice de 50.000 € correspondant aux dividendes issus des résultats de la société B. A pourra bénéficier du régime «mère-fille»sur ces dividendes et seule une quote-part de 2.500 € (5% de 50.000) restera imposable à l’impôt sur les sociétés.
Au contraire, le Conseil d’Etat [9] a considéré que le prêt de titres -qui emporte sur le plan juridique transfert de propriété- s’assimile à une rupture de l’engagement de conservation des titres.
3. Prise en compte des titres transférés dans un patrimoine fiduciaire, mais non des titres prêtés
Pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2014, il est expressément admis par la loi[10] que les titres transférés dans un patrimoine fiduciaire par une société –qui n’en est donc plus détentrice en pleine propriété- bénéficient du régime «mère-fille» si le constituant conserve l’exercice des droits de vote attachés aux titres transférés ou si le fiduciaire exerce ces droits dans le sens déterminé par le constituant.
En outre, le transfert de titres dans un patrimoine fiduciaire n’interrompt pas le décompte de leur délai de conservation par le constituant.
Exemple
Une société A transfère le 30 juin 2015 des titres de participation de la société B d’une valeur de 1.000.000 € dans un patrimoine fiduciaire. Ces titres permettent à la fiducie de dégager un bénéfice de 50.000 € correspondant aux dividendes issus des résultats de la société B. A pourra bénéficier du régime «mère-fille»sur ces dividendes et seule une quote-part de 2.500 € (5% de 50.000) restera imposable à l’impôt sur les sociétés.
Au contraire, le Conseil d’Etat [11] a considéré que le prêt de titres -qui emporte sur le plan juridique transfert de propriété- s’assimile à une rupture de l’engagement de conservation des titres.
4. Non application du régime « mère-fille » en cas d’interposition d’une société de personnes
Par un arrêt rendu le 24 novembre 2014[12], le Conseil d’Etat a considéré que les sommes distribuées à une société française par l’intermédiaire d’une société de personnes ne pouvaient bénéficier du régime « mère fille » au motif que la société française ne détenait pas directement une participation dans la société à l’origine de la distribution de bénéfices.
Exemple :
La société française A détient 98% d’une société étrangère B qui détient elle-même 90% d’une société étrangère C. Au regard du droit français, B est considérée comme une société de personnes et C comme une société de capitaux (qui serait soumise à l’IS si elle était imposée en France).
Si C procède à une distribution de dividendes qui remontent vers A après avoir transité par B, les dividendes reçus par A ne peuvent pas bénéficier du régime mère-fille.
5. Le régime «mère-fille»n’est pas applicable si les produits de participation correspondent à des revenus déduits du résultat imposable de la filiale
Le nouvel article 145, 6-b du CGI introduit par la Loi de Finances Rectificative pour 2014 prévoit, qu‘à compter du 1er janvier 2015, les bénéfices distribués déductibles du résultat imposable de la filiale sont exclus du régime mère-fille.
Exemple :
Une société A située en France détient une filiale B dans un Etat étranger. Une somme de 200.000 € est versée par la société B à A. Au regard du droit étranger, cette somme est considérée un intérêt déductible du résultat de B alors que la France traite la somme reçue par A comme un dividende éligible au mère-fille. Cette différence de législation aboutissait à une double exonération du revenu distribué. Désormais, ce type de revenu est exclu du régime mère-fille.
[1] Articles 145 et 216 du Code Général des Impôts.
[2] 5 x 33.33% = 1.67%.
[3] C’est-à-dire que le nom de l’actionnaire est inscrit dans les registres de la société émettrice.
[4] CE, n°370650, min. c/Sté Sofina et CE n°363819, min. c/ Sté Financière Pinault.
[5] CAA Versailles 18 mars 2014, n° 13VE00873, Sté SA Technicolor.
[6] CE, 15 décembre 2014 n°380942.
[7] Directive Européenne 90/435/CEE du 23 juillet 1990.
[8] Article 145, 1-c du CGI introduit par l’Article 71 de la Loi de Finances Rectificative pour 2014.
[9] CE, 26 septembre 2014 n°363555, Sté Artémis Conseil,
[10] Article 145, 1-c du CGI introduit par l’Article 71 de la Loi de Finances Rectificative pour 2014.
[11] CE, 26 septembre 2014 n°363555, Sté Artémis Conseil,
[12] CE, 24 novembre 2014 n°363556, plén, Sté Artémis SA.
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