
Apport-cession : les opérations en suspens vont pouvoir reprendre

L’administration fiscale vient de commenter le régime de report d’imposition applicable en cas d’apport de titres grevés d’une plus-value latente à une société contrôlée par l’apporteur (article 150-0B ter du CGI). Ce dispositif, codifié sous l’article 150-0 B ter du Code général des impôts, s’applique aux opérations d’apport réalisées depuis le 14 novembre 2012.
Attendues depuis 2 ans et demi, ces précisions sont en consultation publique jusqu’au 24 juillet 2015 (lire ICI le Bofip du 2 juillet 2015) et pourront faire l’objet de révisions. Ces commentaires sont cependant opposables à l’administration depuis le 2 juillet 2015.
Un dispositif anti-abus majeur en matière de cession d’entreprise
De nombreuses opérations de restructurations d’entreprises étaient en suspens depuis le 14 novembre 2012, date d’entrée en vigueur du texte, en l’absence de précisions concernant les modalités d’application de ce dispositif.
Pour rappel, du 1er janvier 2000 au 14 novembre 2012, une personne physique apportant les titres d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) à une autre société soumise à l’IS bénéficiait automatiquement d’un sursis d’imposition sur la plus-value latente grevant les titres apportés. L’administration fiscale pouvait être amenée à contester ce type d’opération sur le terrain de l’abus de droit lorsque, notamment, l’apport intervenait peu de temps avant la cession des titres apportés. Le holding cédait les titres reçus pour un prix proche du prix d’apport, reportant ainsi la taxation au jour de la cession des titres du holding. Un courant jurisprudentiel s’est alors développé à partir de 2010, amenant le gouvernement à légiférer et instaurer un dispositif anti-abus. Il en ressort que pour les opérations d’apports de titres à une société contrôlée par l’apporteur, réalisées depuis le 14 novembre 2012, les plus-values d’apport sont constatées au moment de l’apport mais leur taxation est retardée à la date où :
- Les titres de la holding de reprise sont cédés, rachetés, remboursés ou annulés ;
- Les titres apportés sont cédés, rachetés, remboursés ou annulés dans un délai de 3 ans à compter de la date de l’apport, sauf si la société holding réinvestit le produit de cession dans un délai de 2 ans à compter de la cession, à hauteur de 50% du montant de ce produit dans une activité économique;
- Les titres de la holding de reprise sont donnés puis cédés par le donataire (qui contrôle la société holding de reprise) dans les 18 mois suivant la donation;
- Le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France lorsqu’il est dans le champ d’application de l’Exit tax.

Une cession intervenant plus de trois ans après l’apport n’implique aucune obligation de réinvestissement.
La notion de contrôle
Le contribuable est considéré comme exerçant le contrôle de la société bénéficiaire de l’apport lorsqu’il remplit l’une des conditions suivantes :
- il détient la majorité des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société considérée. Pour l’appréciation de cette condition, il est fait masse des droits de vote ou des droits dans les bénéfices de la société concernée détenus, directement ou indirectement, par le contribuable, son conjoint, leurs ascendants, leurs descendants et leurs frères et sœurs ;
- il dispose seul de la majorité des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société considérée en vertu d’un accord avec d’autres associés ou actionnaires ;
- il exerce en fait le pouvoir de décision.
Le contrôle est «présumé» lorsque l’apporteur dispose d’une fraction des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux égale ou supérieure à 33,33 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient, directement ou indirectement, une fraction supérieure à la sienne. Il ne s’agit là que d’une présomption pouvant être combattue tant par le contribuable que par l’administration.
L’administration précise que «le contribuable et une ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérés comme contrôlant conjointement une société lorsqu’ils déterminent, en fait, les décisions prises en assemblée générale. Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société. De même, le contrôle de fait est établi dans les situations où la conclusion de pactes d’actionnaires ou de «gentlemen agreements» (accords informels, entre protagonistes, qui se déduisent d’un faisceau d’indices), conduit à conclure que l’apporteur est le véritable maître de l’affaire.»
Les soultes dans le viseur de l’administration
Le texte autorise qu’une soulte soit reçue par l’apporteur, en franchise d’impôt, sous réserve qu’elle n’excède pas 10% de la valeur nominale des titres reçus. Après avoir rappelé que lorsque la soulte excède 10% de la valeur nominale des titres reçus, l’intégralité de la plus-value est immédiatement imposable, l’administration précise qu’elle se réserve la possibilité d’invoquer l’abus de droit fiscal «s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt et d'échapper ainsi notamment à l’imposition de distributions du fait de ce désinvestissement».
Assiette de la plus-value reportée et imposition à terme
Comme le texte le laissait penser, l’assiette de la plus-value placée en report est déterminée après application des abattements pour durée de détention (renforcés ou de droit commun) au moment de l’apport. Le taux de l’abattement applicable et le montant de la plus-value imposable sont donc figés. Le report a pour effet de décaler l’imposition effective de cette plus-value à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux, aux taux qui seront en vigueur au jour de la fin du report d’imposition.
Lorsqu’un événement mettant fin au report ne porte que sur une partie des titres apportés, seule la fraction correspondante de la plus-value dont l’imposition a été reportée est imposable au titre de l’année de réalisation de cet événement. Le surplus continue à bénéficier du report.
L’administration confirme que l’ensemble des plus-values constatées sous les différents régimes de report d’imposition antérieurs au 1er janvier 2000 deviennent imposables lorsque l’apport entre dans le champ du report d’imposition. Il y a donc lieu de faire preuve de la plus grande vigilance quant à l’historique des opérations ayant affecté le capital de la société dont les titres sont apportés. D’autant que ces anciennes plus-values sont taxables sans bénéfice d’aucun abattement pour durée de détention, soit potentiellement à 64,5%!
Apport de titres contre obligations convertibles
La question s’est posée de déterminer ce qu’entendait le législateur par «cession» des titres reçus en rémunération de l’apport. Les échanges et apports en sociétés des titres reçus (= échange et apport des titres du holding à un nouveau holding) sont assimilables à des cessions. L’administration précise que lorsque les titres reçus en rémunération de l’apport sont des Obligations Convertibles ou Remboursables en Actions, l’opération de conversion, d’échange ou de remboursement n’entraine pas l’expiration du report d’imposition.
Fusion entre le holding et la société apportée
Il est précisé également que le report d’imposition est maintenu lorsque la société émettrice des titres apportés est absorbée par la société bénéficiaire de l’apport. Les opérations de fusion ou de transmission universelle du patrimoine entre le holding et les titres reçus lors de l’apport sont donc tolérées (TUP et «fusions par le haut»). Cette précision est d’une grande importance puisqu’il arrive que l’interposition de holdings entre l’actionnaire et la société opérationnelle prive le contribuable du bénéfice de l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels (un seul niveau d’interposition est autorisé entre le contribuable et son outil de travail), sauf à simplifier l’organigramme.
Réinvestissements éligibles et maintien du report
En cas de cession des titres apportés dans les trois ans suivant l’apport, le holding dispose de deux ans pour réinvestir 50% du produit de cession dans certaines activités, sous peine de perte du report d’imposition. L’administration ajoute une condition de durée de conservation des biens ou titres ayant fait l’objet du réinvestissement par la société en indiquant que ce réinvestissement «doit être effectué dans une perspective de long terme. A cet égard, cette condition est présumée satisfaite lorsque les biens ou les titres objet du réinvestissement sont conservés pendant au moins 24 mois».
Lorsque le report prend fin du fait de l’absence de réinvestissement dans un délai de deux ans à compter de la cession, l’intérêt de retard est appliqué au montant de l’impôt (décompté à partir de la date à laquelle est intervenu l’apport des titres).
Le remploi peut être effectué dans plusieurs catégories d’investissements éligibles (voir ci-dessous), c’est-à-dire affecté à la fois au financement d’une ou plusieurs activités éligibles, à l’acquisition ou à la souscription de titres d’une ou de plusieurs sociétés.
1/Financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière
Le financement d’une activité éligible s’entend de l’acquisition par la société qui effectue le réinvestissement de moyens permanents affectés à sa propre exploitation.
- Le prêt ou la mise à disposition de liquidités au profit d’une filiale: l’apport en compte courant d’associé d’une filiale par le holding est exclu sauf si ce compte courant permet l’acquisition d’actifs nécessaires à son activité sans qu’il n’y ait eu de recours à l’emprunt. L’actif acquis par la filiale doit être affecté aux besoins de son exploitation.
- Lorsque le holding reçoit par échange des titres une branche complète d’activité, le report est également maintenu.
- L’acquisition ou la souscription de parts d’un fonds commun de placement à risques (FCPR) est strictement exclue des réinvestissements éligibles.
- L’acquisition de biens immobiliers destinés à la location immobilière, qu’elle soit nue ou meublée, revêtant un caractère civil ou patrimonial, n’est pas éligible au remploi.*
2/ Acquisition d’une fraction du capital d’une société conférant au holding le contrôle de la cible
- Est également admise l’acquisition de titres, à un tiers, d’une société dont l’activité est éligible (commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière). Cependant dans ce cas, le holding doit pouvoir prendre le contrôle à l’issue de l’investissement, ce qui implique qu’il n’en disposait pas antérieurement à cette opération.
- Les opérations d’échange de titres sont éligibles sous réserve que le holding reçoive en contrepartie de cette opération les titres d’une société dont il obtient le contrôle et qui exerce une activité éligible au remploi. Les opérations de LBO «par le bas» sont donc admises sous réserve que le holding obtienne le contrôle de la société filiale.
- Les commentaires admettent la possibilité pour le holding de prendre des participations dans plusieurs sociétés et non une seule, comme le texte semblait l’imposer.
- Les acquisitions de titres de Sicav, de sociétés de capital risque, de SPPICAV sont exclues ainsi que l’acquisition de titres de société holding (sans précision à ce stade quant sort des holdings animatrices de groupe).
- Notons enfin qu’aucune contrainte géographique concernant le lieu du siège social de la société cible n’est imposée.
3/Souscription en numéraire au capital initial ou à une augmentation de capital
- La société dans laquelle le holding entre au capital par voie d’augmentation de capital ou de constitution (opération d’ouverture du capital / émission de titres) est éligible quel que soit le seuil de détention obtenu à l’issue des opérations (à contrario du réinvestissement par le biais d’une acquisition de titres à un tiers – cf. § n°2).
- La société doit être soumise à l’IS et avoir son siège social en France, dans un autre État membre de l’UE ou dans un autre État partie à l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales (Islande, Norvège, Liechtenstein).
- La société doit soit avoir pour objet d’exercer une activité éligible (cf. § n°2), soit avoir pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées.
Operations d’apports successifs, pas de 3eme LBO admis!
Lorsqu’un apport de titres a bénéficié du régime de report d’imposition, le nouvel apport des titres du holding à une autre société est neutre sous réserve que ce dernier entre dans le champ du report d’imposition (art 150-OB ter du CGI) ou du sursis d’imposition (art 150-OB du CGI).
Les opérations de LBO successives sont donc couvertes mais l’administration limite le maintien du premier report en cas de troisième opération d’apport ou d’échange (que l’apport entre dans le champ du sursis ou du report d’imposition). Seuls deux reports successifs pourraient donc être combinés. Ainsi en cas de troisième apport, le premier report tombe et la plus-value constatée lors de la première opération devient imposable, ce qui n’est pas sans poser de nombreuses interrogations sur le sens des opérations de LBO et l’organisation de ces dernières.
L’administration commente par ailleurs les cas d’expiration des reports primaires ou secondaires selon les diverses situations envisageables de cession des titres par le premier holding ou le second holding.
La purge des plus-values via des donations
- Lorsque le contribuable transmet à titre gratuit (succession ou donation) la pleine propriété de titres grevés d’une plus-value en report d’imposition, il est définitivement exonéré de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux au titre de cette plus-value.
- Toutefois, en cas de donation, le report d’imposition de cette plus-value est transféré sur la tête du donataire.
- En cas de démembrement du droit de propriété des titres, la fraction de la plus-value en report d’imposition correspondant à l’usufruit que s’est réservé le donateur continue à bénéficier du report d’imposition. La fraction de la plus-value en report correspondant à la nue-propriété transmise est définitivement exonérée entre les mains du donateur mais elle est transmise à l’enfant donataire lorsque ce dernier contrôle la société émettrice des titres transmis. Le donataire doit conserver les titres durant un délai de dix-huit mois après la donation pour que le report soit maintenu. Par ailleurs la société bénéficiaire de l’apport ne doit pas elle-même céder les titres reçus dans les trois ans de l’apport.
Si les titres sont conservés au-delà de ce délai de dix-huit mois, la plus-value en report d’imposition est définitivement exonérée dès lors que le holding respecte les conditions de conservation des titres apportés et/ou de réinvestissement de 50% du produit de cession.
Ce projet de commentaires répond à un certain nombre d’interrogations soulevées par les praticiens. Il s’avère sur certains points plus souple ou plus restrictif qu’attendu.
Communiqué de presse, 6 juillet 2015
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