Franck Lemery : «Legrand a la capacité d’augmenter ses prix au rythme de l’inflation»

Franck Lemery, directeur financier de Legrand, revient pour L’Agefi sur les perspectives du groupe d’infrastructures électriques.
Bruno de Roulhac et Vincent Alsuar, Agefi-Dow Jones
Franck Lemery, directeur financier du groupe Legrand - Franck Lemery, EVP Group CFO at Legrand
Franck Lemery, directeur financier du groupe Legrand.  -  crédit : bbouillot.com

Sur les neuf premiers mois de l’année, Legrand affiche une croissance de 19,1% de son chiffre d’affaires à 6,1 milliards d’euros, dont 10,1% en organique, pour une marge opérationnelle ajustée de 20,2% et un résultat net en hausse de 16,1% à 812 millions d’euros. Le groupe limougeaud confirme son objectif de croissance de 9% à 12% de ses ventes hors changes en 2022. A la Bourse de Paris, l’action a ouvert en forte baisse jeudi. Selon un analyste parisien cité par l’agence Agefi-Dow Jones, une bonne partie des investisseurs sont déçus car ils espéraient un relèvement des prévisions annuelles.

L’Agefi : Les chiffres du troisième trimestre marquent un léger ralentissement par rapport au premier semestre, avec une croissance organique de 8,4% et une marge opérationnelle de 19,5%. Cette tendance va-t-elle se poursuivre sur la fin de l’année ?

Franck Lemery : Dans l’environnement actuel et avec une chaîne d’approvisionnement toujours sous tension, les résultats de Legrand sont remarquables. Compte-tenu de notre guidance de 6% à 9% de croissance organique en 2022, le quatrième trimestre ressortirait autour de +6% en haut de fourchette, ou de -5% en bas de fourchette. Toutefois, nous ne privilégions pas ce scénario de rupture. Nous anticipons une marge opérationnelle autour de 20%, proche des 20,5% de 2021, signe de notre très forte résistance face à une conjoncture adverse.

Au troisième trimestre, la croissance organique a légèrement reculé en Europe et en Amérique du Nord et centrale, et a davantage souffert dans le reste du monde (20% du chiffre d’affaires). Toutefois, si la Chine et le Brésil pâtissent d’une économie fragilisée, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Inde sont en très bonne forme.

Parvenez-vous à répercuter la hausse des coûts sur vos prix ?

Nous avons la capacité d’augmenter les prix au rythme de l’inflation presque partout. Notre pricing power, mis en exergue, est permis par l’excellence de notre portefeuille (gain de temps, économies d’énergie). Sur les neuf premiers mois de l’année, nous avons relevé nos prix de 9,9%.

Nous sommes confiants dans les zones de croissance, comme les Etats-Unis, l’Inde et l’Afrique. Si le secteur de la grande distribution (10% des ventes de Legrand) est en décroissance, pénalisé par un effet de base élevé lié aux travaux réalisés pendant le covid, et si le marché résidentiel est un moindre soutien, les solutions d’efficacité énergétique (21% du chiffre d’affaires), les data-centers et le non-résidentiel aux Etats-Unis constituent de bons réservoirs de croissance.

Quel a été l’impact des problèmes d’approvisionnement sur votre chiffre d’affaires ?

Ce manque à gagner est difficile à évaluer. Tout au plus, il représente quelques dizaines de millions d’euros. La situation demeure inchangée depuis le début d’année. La pénurie de composants électroniques est régulière et devrait perdurer. La supply-chain en Chine et aux Etats-Unis nécessitera encore quelques mois pour se rétablir. Aussi, nous avons accepté de monter notre niveau de stocks pour satisfaire le service clients.

Comptez-vous sortir de Russie et d’Ukraine ?

En 2021, la Russie pesait 1,9%, de notre chiffre d’affaires et l’Ukraine 0,1%. En Russie, nous poursuivons notre activité dans le respect des sanctions internationales. Actuellement, 10% à 20% de nos références produits sont sous le coup de l’embargo international. Si nous devions quitter la Russie – qui pèse pour 1% du bilan du groupe – ce ne serait pas un drame.

Legrand vient d’annoncer deux nouvelles petites acquisitions. Quelle est votre politique de croissance externe ?

Legrand opère sur un marché très fragmenté, avec plus de 3.000 acteurs, principalement familiaux. Nous sommes intéressés par les meilleurs et restons très sélectifs en termes financiers et de gouvernance, avec une stratégie de collier de perles, n’achetant que des joyaux. Aussi, nous réalisons en moyenne cinq acquisitions par an, représentant 3% à 4% de chiffre d’affaires additionnel. Depuis le début de l’année, les cinq sociétés acquises nous apportent 145 millions de chiffre d’affaires (3% de croissance inorganique). En moyenne, nous payons deux fois le chiffre d’affaires, mais affichons un ratio de 1,6 depuis le début de l’année, signe de notre discipline financière. Le pipeline est très fourni et la solidité de notre bilan nous permet aisément de remonter notre ratio de levier, qui était de 1,5 fin septembre.

Par ces opérations, nous comptons gagner un leadership géographique, nous étendre sur des marchés adjacents, et nous développer sur les segments à fort potentiel. Nous sommes satisfaits de notre équilibre géographique actuel : Europe (40% des ventes), Amérique du Nord et centrale (40%), et le reste du monde (20%). Nous sommes légèrement surexposés en France et en Italie, des pays très rentables, et sous-exposés en Chine (4% de notre chiffre d’affaires).

Avez-vous passé une provision dans le cadre de l’enquête de l’Autorité de la concurrence ?

Cette enquête vise une présumée entente verticale en France sur les prix dérogés, qui sont des ristournes additionnelles allouant à nos clients finaux. Une pratique de place, permettant de faire baisser les prix, qui n’est pas interdite. Nous ne commentons pas notre politique en termes de provisions.

Comptez-vous faire appel prochainement au marché ?

Nous avons très bien géré notre trésorerie. L’émission de notre première ligne de sustainability-linked-bond en septembre 2021 pour 600 millions d’euros à 10 ans à 0,375%, nous a permis de prendre de l’avance sur le refinancement du groupe. Notre ligne obligataire de 400 millions d’échéance octobre 2023 est sécurisée dans de bonnes conditions. Notre prochain emprunt se fera vraisemblablement de nouveau sous un format sustainability-linked.

Comment participez-vous au mouvement de sobriété énergétique demandé à tous ?

D’une part, nous avons doublé notre objectif de réduction de consommations d’énergie entre 2021 et fin 2023, passant de -8% à -15%. Et nous sommes prêts à y consacrer une enveloppe budgétaire supplémentaire. D’autre part, 21% de notre chiffre d’affaires est consacré aux solutions d’efficacité énergétique pour nos clients.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles Entreprises

Contenu de nos partenaires

Les plus lus de
A lire sur ...