Contrôle européen des concentrations : une consultation historique à saisir

Une consultation lancée par la Commission pourrait faire changer la doctrine de l’UE en matière de contrôle des opérations de fusions-acquisitions afin de mieux tenir compte des sujets d’innovation, de souveraineté et de transition. Elle constitue une opportunité unique de s’exprimer sur l'évolution d’un cadre réglementaire déterminant pour les entreprises, estiment Jérémie Marthan de White & Case et Etienne Chantrel d’Eight Advisory.
White & Case
Eight Advisory
Commission européenne
Une tribune de Jérémie Marthan de White & Case et d'Etienne Chantrel d'Eight Advisory  -  Crédit Union européenne EC

Le 8 mai dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique de grande ampleur en vue de réviser ses lignes directrices sur le contrôle des concentrations, adoptées en 2004 et 2008. Cette initiative intervient après une première révision, en 2024, de sa communication sur la définition des marchés pertinents. Dans la mesure où ces textes fondent l’interprétation que la Commission fait du Règlement relatif au contrôle des concentrations, l’enjeu est considérable.

L’ampleur de cette révision, comme le lien explicitement fait avec les orientations politiques du nouveau collège de commissaires - notamment en matière d’innovation, de résilience, de soutien aux investissements et de durabilité - témoignent de la volonté de la commissaire Teresa Ribera de moderniser des lignes directrices élaborées à une époque où l'économie était encore peu digitalisée et où les enjeux climatiques étaient marginaux.

Sept piliers pour une nouvelle approche

La consultation s’articule autour de pas moins de sept axes fondamentaux, témoignant de l’ampleur et de l’ambition de la révision engagée.

Un premier axe de réflexion examine dans quelle mesure les concentrations peuvent contribuer à renforcer la compétitivité, notamment en permettant à des entreprises de réaliser des économies d’échelle, et à promouvoir l’autonomie stratégique de l’Union, en réduisant sa dépendance vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement externes.

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Un second explore l’opportunité d’introduire des présomptions fondées sur les niveaux de pouvoir de marché, afin d’identifier plus facilement les concentrations problématiques. Un troisième axe s’articule autour de l’innovation et des effets dynamiques de marché. Rappelant les préconisations du rapport Draghi, la Commission s’interroge sur la prise en compte de l’impact des concentrations sur l’innovation, reconnaissant que les cycles d’investissement longs nécessitent une approche temporelle adaptée et aujourd’hui trop peu prise en compte.

La digitalisation fait également l’objet d’une réflexion spécifique, avec l’objectif de codifier la théorie du préjudice fondée sur les écosystèmes numériques. La discussion des considérations de politique publique, quant à elle, ouvre explicitement la voie à la prise en compte de facteurs jusqu’alors périphériques : défense, sécurité, pluralisme médiatique et marché du travail.

L’enjeu crucial des gains d’efficience

Deux autres axes méritent une attention particulière. L’un porte sur la durabilité, les technologies propres et l’intégration du Pacte vert dans l’analyse concurrentielle, notamment à travers la reconnaissance de «gains d’efficacité» environnementaux. L’autre concerne les gains d’efficience au sens large, un enjeu crucial pour le monde économique. La théorie économique considère en effet que toute concentration devrait être analysée en arbitrant entre gains d’efficience et atteinte à la concurrence.

Or actuellement, le standard de preuve exigé est si élevé que cette ligne de défense reste largement inopérante. Fait révélateur : alors que 95% des concentrations notifiées entre 2014 et 2023 ont été approuvées sans conditions au niveau européen, les autorités française et européenne n’ont jamais approuvé une concentration sur la base de gains d’efficience.

La consultation ouvre la voie à une clarification des critères à prendre en compte et à une refonte du cadre existant, intégrant notamment les «efficiences d’innovation» et les bénéfices en matière de durabilité. Cette évolution permettrait aux entreprises de démontrer que leurs projets de concentration génèrent des gains suffisants en termes d’innovation ou de transition écologique pour justifier leur approbation, même en présence de préoccupations concurrentielles.

Même si la marge de manœuvre sera limitée, la consultation ne pouvant modifier le Règlement lui-même, l’impact potentiel sur les stratégies d’entreprise ne saurait être sous-estimé. Des secteurs entiers, notamment ceux caractérisés par des cycles d’innovation longs comme la pharmacie ou l'énergie, pourraient voir leurs possibilités de consolidation élargies. Parallèlement, les entreprises engagées dans la transition écologique disposeraient de nouveaux arguments pour justifier des rapprochements stratégiques.

Une opportunité à saisir sans délai

Cette consultation constitue une opportunité unique de s’exprimer sur l'évolution d’un cadre réglementaire déterminant pour les entreprises, qui ont jusqu’au 3 septembre 2025 pour faire entendre leur voix. Cette consultation historique offre l’opportunité de contribuer à l'élaboration d’un contrôle des concentrations plus équilibré, mieux adapté aux réalités contemporaines et plus propice à l’innovation européenne. Une occasion à ne pas manquer.

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