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Vers une décennie de stagnation allemande ?

Les prévisions à court terme pour l’économie allemande ne sont guère encourageantes. Le consensus s’entend au mieux sur une légère contraction cette année, suivie d’une reprise modeste l’année prochaine, une fois que les chocs d’inflation et de taux d’intérêt auront été digérés. Nos propres prévisions s’inscrivent d’ailleurs totalement dans ce tableau. Mais la vraie question n’est-elle pas plutôt celle des perspectives à long terme – modèle économique, et peut-être plus encore, démographie - pour la première économie de la zone euro ?
Cela fait maintenant un an et demi que l’économie allemande fait du surplace. Son PIB stagne alors que celui des autres grandes économies européennes a désormais dépassé le niveau pré-Covid. Cette sous-performance ne se traduit pas encore en termes d’emplois. S’il a un peu moins progressé qu’en Italie ou en Espagne depuis la pandémie, le taux d’emploi (81,4% outre-Rhin) est encore 7 points supérieur à la moyenne européenne.
Cette fois, on ne peut pas attribuer la sous-performance de l’économie allemande à une politique fiscale trop frugale. Le solde budgétaire (ajusté du cycle et de la charge d’intérêts) s’est ouvert de presque cinq points de PIB entre 2018 et 2021. Le gouvernement allemand a pris des mesures rapides et similaires à celles prises par les autres pays en réponse à la pandémie. On est bien loin de la situation de 2009, où il avait fallu l’intervention du G20 pour décider l’Allemagne à utiliser ses deniers face au risque de dépression.
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Les chocs subis depuis plus d’un an par l’économie allemande – avant tout, celui causé par la guerre en Ukraine - sont une des explications de sa sous-performance actuelle.
La détérioration des termes de l’échange a été plus forte en Allemagne que pour la plupart de ses voisins. Rappelons qu’avant les sanctions de 2022, l’Allemagne exportait chaque année 27 milliards d’euros de biens vers la Russie, soit trois fois plus que l’Italie et cinq fois plus que la France. Elle en importait 29 milliards, soit deux fois plus que l’Italie et trois fois plus que la France. La dépendance au gaz russe – et le système de tarification des énergies domestiques, ajusté des mesures gouvernementales – ont entrainé une perte de pouvoir d’achat d’un centime plus élevé pour les ménages allemands que pour les Français et de deux centimes plus élevés que pour les Espagnols. Les ménages italiens et néerlandais ont certes perdu plus, mais si on ajoute le coût pour l’industrie et la mauvaise santé de la Chine, le choc sur les termes de l’échange a été pour l’Allemagne de 1,5% de PIB supérieur à la France et de 3% par rapport à l’Espagne ou les Pays-Bas. Seule l’Italie a été autant touchée.
Le choc de taux d’intérêt semble être un autre facteur de sous-performance. Les PME allemandes se financent auprès de leur banque à des taux aujourd’hui plus élevés que leurs homologues françaises, espagnoles et même italiennes. La situation contraste avec celle de 2012. De façon étonnante, vu la part élevée de financements à taux fixe, l’immobilier résidentiel allemand a fortement réagi au durcissement de la politique monétaire. Depuis un an, le prix des maisons y a chuté autant qu’en Suède, pays qui emprunte à taux variables et dont la stabilité du marché immobilier a posé question cette année.
Un sous-investissement chronique
Certains tendent à expliquer la sous-performance de l’économie allemande par l’épuisement de son modèle économique : trop dépendant de la Chine, trop exposé à la Russie, dans un monde qui se fragmente. C’est vrai. Nous évoquions ces vulnérabilités dans cette même tribune, il y a exactement un an. A cela s’ajoute un manque chronique d’investissements, que nous avons évoqué également déjà.
Mais on ne doit pas oublier que la démographie pèse sur la croissance de l’Allemagne. Selon les projections des Nations unies, la population en âge de travailler va baisser de presque 1% par an en Allemagne pour les dix années à venir. C’est plus qu’en France et plus précoce que ce qui se dessine en Italie et en Espagne. Cela coûtera environ 0,6% de croissance annuelle à l’Allemagne.
Comment y remédier ? L’âge de départ en retraite a déjà été repoussé. L’âge de départ effectif moyen y est de 63,2 ans et l’âge légal de 67 ans. Le taux d’emploi et celui de la participation de la population active sont déjà plus élevés qu’ailleurs, et les Allemands travaillent moins que leurs voisins (1.341 heures par an contre 1 511 en France). L’immigration ? La part de travailleurs étrangers atteint aujourd’hui 15% de la main d’œuvre. C’est deux fois plus qu’en France. Cette piste n’en demeure pas moins étudiée : le gouvernement allemand se penche actuellement sur une flexibilisation des conditions de naturalisation et la possibilité d’élargir l’octroi de la double nationalité. Une révolution !

Que l’on regarde sur les cinq, dix ou vingt années passées, l’économie allemande n’affiche pas des gains de productivité suffisamment élevés pour s’affranchir de sa contrainte démographique. Elle fait mieux que le Royaume-Uni, la Suisse, l’Espagne et l’Italie, mais guère mieux que la France ou les Pays-Bas. En termes de croissance potentielle, les gains de productivité espérés compenseront juste la baisse attendue de la population en âge de travailler. Il va donc falloir que l’Allemagne fasse plus, notamment en investissant. La bonne nouvelle est que les investissements publics repartent un peu à la hausse. La mauvaise nouvelle est que le taux d’investissement réalisé par le secteur privé allemand reste inférieur à celui de la France, et inférieur à celui de l’Allemagne des années 90. Autre mauvaise nouvelle, ces investissements ne se feront pas à des taux d’intérêt négatifs comme c’était le cas dans un passé récent, mais à des taux d’intérêt positifs, y compris en termes réels.
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Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse