
L’Allemagne doit réduire la vulnérabilité de ses chaînes de production

La désintégration du bloc soviétique et le retour de la Chine dans le commerce mondial ont conduit l’industrie allemande à se ruer vers l’Est. Ses chaînes de production se sont allongées vers la partie orientale de l’Europe dans les années 1990, puis vers l’Asie une décennie plus tard. Cette stratégie était délibérée et réfléchie. A chaque fois, l’objectif était de bénéficier de coûts de main-d’œuvre moins élevés et de débouchés plus dynamiques qu’en Europe occidentale, ce qui a plutôt réussi à l’Allemagne jusqu’ici. Néanmoins, trente ans plus tard, cette ruée vers l’Est laisse l’économie allemande dans une position unique au monde, à deux égards.
Premièrement, l’Allemagne dépend plus du commerce international que n’importe quelle autre grande économie de la planète. Les échanges internationaux représentent près de 90 % de son PIB, deux fois plus qu’il y a trente ans. Cette tendance contraste avec la Chine, dont l’ouverture commerciale n’aura été que temporaire. Le commerce international représente moins de 40 % du PIB chinois, contre plus de 60 % il y a encore quinze ans. L’ouverture allemande contraste aussi avec les Etats-Unis, où l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste ont permis de réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger, avec des répercussions manifestes sur la politique étrangère américaine. Et l’ouverture allemande contraste avec le Royaume-Uni qui, en se retirant de l’Union européenne (UE), a fait le choix de renégocier avec ses principaux partenaires commerciaux. Le Covid a brouillé les cartes mais les échanges internationaux du Royaume-Uni semblent être sur une pente descendante depuis trois ans.
Deuxièmement, en s’allongeant, les chaînes de production allemandes se sont complexifiées. Les entreprises d’outre-Rhin ne se contentent pas d’exporter partout dans le monde pour répondre à la demande du consommateur final. Elles sont impliquées dans de nombreuses étapes de production étrangères qui intègrent à leurs produits finaux ou semi-finaux des composantes allemandes. Le résultat est que le commerce allemand a un contenu en réexportations de composantes intermédiaires beaucoup plus élevé que celui des autres grandes économies ; deux fois plus élevé que la Chine, par exemple.
Il ne fait aucun doute que cette ruée vers l’Est a accru le bien-être économique outre-Rhin ; y compris l’emploi, contrairement à ce que soutenaient certains économistes allemands à l’époque. Mais le degré et la nature de l’internationalisation atteints en trente ans exposent le pays à un risque de bouleversement des échanges, plus que toute autre grande économie. La guerre en Ukraine et les changements d’orientation commerciale de la Chine en sont deux exemples patents.
Quel est le degré de ces vulnérabilités commerciales et comment l’Allemagne peut-elle les réduire ? Nous avons conduit une analyse des liens amont et aval des chaînes de production allemandes par géographie et niveau de technologie. Les principales conclusions sont que si un peu plus de 4 % de sa production présente une dépendance commerciale anormalement élevée, l’Allemagne est trois fois plus exposée à un risque d’isolement de la Chine que de la Russie. Les risques concernant la Russie sont principalement liés à des liens en amont dans le domaine des basses technologies, dus notamment à la dépendance au pétrole et au gaz russes. De nature différente, les risques vis-à-vis de la Chine sont surtout des liens en aval de la chaîne de production et sont concentrés dans les secteurs de haute et moyenne-haute technologie.
Réduire ces vulnérabilités tout en continuant à profiter des avantages d’une économie mondiale ne sera pas une tâche facile. Les vulnérabilités en amont de la chaîne de production sont souvent liées à l’utilisation de produits de base spécifiques (tel le gaz naturel) dans la production nationale, pour lesquels les possibilités de substitution ou de réduction peuvent être limitées, surtout à court terme. Les produits de base sont des ressources rares qui sont inégalement réparties sur la planète. Par conséquent, la réduction de ces dépendances passe souvent par la diversification des partenaires commerciaux. Dans ce contexte, l’appartenance de l’Allemagne à l’UE est un atout. Une autre possibilité consisterait à innover, soit pour minimiser les produits de base utilisés, soit pour accroître leur substituabilité dans le processus de production. L’investissement, dans la recherche et développement et les nouvelles technologies, est une piste disponible. On a souvent reproché à l’Allemagne d’investir trop peu. D’autre part, la diversification des partenaires commerciaux qui peuvent intégrer les produits intermédiaires allemands dans leur propre production et le soutien à la demande domestique sont des voies possibles pour minimiser les vulnérabilités dans les liens aval.
Co-écrit avec Romain Grept, stagiaire au sein de la recherche économique.
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse