
Marchés : l’Autorité européenne doit préciser sa position sur la «pré-couverture»

Avec un impact direct et significatif sur les prix que les fonds de pension et autres fonds reçoivent pour les titres qu’ils achètent et vendent, la pré-couverture est une question clé de la propreté du marché avec de larges implications pour le secteur de l’investissement, mais aussi pour l’investisseur final et le public en général. Elle ne doit pas être négligée cette fois-ci car elle pourrait constituer un tournant dans l’histoire du LIBOR en matière de confiance du marché.
L’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) a récemment clôturé un appel à contribution sur la pré-couverture, donnant ainsi à notre secteur et à d’autres acteurs du marché l’occasion de fournir des informations sur la pratique actuelle et leur point de vue sur ce que devraient être les orientations appropriées. Nous nous félicitons du regain d’intérêt pour cette question, et nous pensons qu’il est essentiel que les résultats de cet exercice débouchent sur un nouvel ensemble de règles définissant clairement et éliminant la pré-couverture.
L’appel à contribution, qui a été clôturé le 30 septembre et dont les conclusions n’ont pas encore été publiées, fait suite à la révision de la Règlementation des Abus de Marché (MAR) effectuée par le régulateur en 2019. Dans son rapport final après la révision MAR, l’Esma a reconnu qu’il existe des points de vue fondamentalement différents à la fois sur la définition et l’opportunité de la pré-couverture, soulignant le besoin urgent de clarifier les règles autour de cette pratique. C’est pourquoi l’appel à contribution actuel vise à apporter les éclaircissements nécessaires.
Que cache un nom ?
Le secteur des services financiers adore utiliser son propre jargon, lequel est parfois mal employé. L’une de ces erreurs concerne l’utilisation du mot « hedge ». Par exemple, les fonds spéculatifs ne sont plus, pour la plupart, neutres par rapport au marché, mais offrent souvent une exposition directionnelle aux marchés avec un fort effet de levier. Néanmoins, le mot « hedge » est conservé dans leur intitulé. La pré-couverture, ou pre-hedging, est un autre de ces termes erronés, car certains acteurs du marché utilisent cette expression pour justifier un comportement qu’il serait plus juste de qualifier de « front running », ou « course avant ». Il est plutôt inquiétant de constater que les adeptes de cette pratique représentent une grande partie des volumes traités sur les marchés européens.
On parle de pré-couverture lorsqu’un fournisseur de liquidités qui a reçu une demande de cotation de la part d’une contrepartie potentielle (parfois appelée Request for Quote ou RFQ) effectue des transactions sur le marché avant la finalisation de toute transaction avec la contrepartie requérante. Selon ses partisans, cette pratique vise à « couvrir » (hedge) la position que le fournisseur de liquidités pourrait acquérir s’il négocie effectivement avec la contrepartie qui a fait la demande de cotation initiale. Par exemple, un gestionnaire d’actifs peut demander à un certain nombre de fournisseurs de liquidités d’indiquer un prix auquel ils sont prêts à acheter une grande quantité d’actions de la société X à ce gestionnaire d’actifs. Le fait que le gestionnaire d’actifs souhaite vendre le bloc d’actions de la société X ne constitue pas une information publique. Le fait qu’il y ait un gros vendeur suggère que le prix de l’action de la société X va baisser par rapport au prix actuel. Dans ce cas, les fournisseurs de liquidités qui pratiquent la pré-couverture vendent des actions de la société X pour leur propre compte sur le marché, en partant du principe que cette transaction compensera ou « couvrira » la position qu’ils pourraient acquérir si le gestionnaire d’actifs accepte leur offre d’achat des actions de la société X. Ces fournisseurs de liquidités affirment qu’une telle approche leur permet d’offrir une meilleure tarification et une meilleure liquidité.
À qui cela profite-t-il ?
La pré-couverture ne devrait pas être acceptable pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, nous devons répondre à la sempiternelle question : cui bono ? Il n’existe aucune preuve que la pré-couverture améliore les prix pour les clients. En effet, si un fournisseur de liquidités vend avant que le prix ne soit convenu avec le client, son offre proposée (et les offres d’autres fournisseurs de liquidités concurrents) peut être ajustée à la baisse en fonction de l’évolution du cours de l’action résultant de ces ventes sur le marché de pré-couverture. Cela se traduit par un prix plus défavorable pour le client. Deuxièmement, si tous les fournisseurs de liquidités effectuaient une « pré-couverture », de multiples ordres seraient envoyés sur le marché, ce qui aurait un impact négatif disproportionné sur le prix du marché et donc sur le prix que reçoit le client.
Toutefois, la pré-couverture est susceptible d’aboutir à un résultat favorable pour le fournisseur de liquidités qui effectue la pré-couverture - s’il vend et remporte la transaction, il peut avoir vendu à un meilleur prix que celui auquel il achète au client. S’il vend et ne remporte pas la transaction, sa position courte sera avantagée par la pression à la baisse sur le cours de l’action résultant des ventes du fournisseur de liquidités qui a remporté la transaction. Cela se traduit par un résultat « pile ou face gagnant » pour les « pré-couvreurs ».
Il est temps d’agir
L’Esma identifie correctement ces problèmes dans le CFE lorsqu’elle déclare qu’«un fournisseur de liquidité qui effectue une pré-couverture lorsqu’il est en concurrence avec d’autres entreprises peut déclencher un mouvement de prix qui affecte à son tour les cotations proposées ultérieurement au client par d’autres fournisseurs de liquidité. Cet effet d’«avantage du premier arrivé» pourrait non seulement permettre à la partie qui effectue la pré-couverture d’être mieux positionnée pour remporter la transaction, mais aussi avoir un impact sur le prix final auquel la transaction est exécutée».
Nous partageons pleinement cette préoccupation, que nous considérons comme un risque élevé et réel. En l’absence d’une interdiction totale de la pré-couverture, une solution partielle consisterait pour l’Esma à préciser que la pré-couverture n’est pas autorisée dès lors qu’un fournisseur de liquidités est en concurrence avec plusieurs autres fournisseurs de liquidités pour répondre à une demande de cotation d’une contrepartie.
Si l’Esma et les décideurs européens veulent garantir la confiance dans les marchés financiers européens, ils doivent agir et mettre fin une fois pour toutes à cette pratique préjudiciable pour notre secteur, nos clients et les investisseurs finaux. Il ne s’agit pas seulement d’atténuer les risques, mais aussi de construire un marché des capitaux plus cohésif, plus compétitif, plus transparent et plus efficace en Europe, et de fait, mieux équipé pour concurrencer les autres grands marchés. Une plus grande confiance amènera plus de participants, ce qui améliorera à son tour les marchés et les prix pour tous. Aller à l’encontre de ces principes et ne pas établir un ensemble de règles claires autour de cette pratique ne peut que conduire à un manque de clarté continu, ce qui signifie la perpétuation d’interprétations et d’approches différentes entre les marchés, les participants et les régulateurs.
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