
L’inflation en zone euro déboussole les économistes

La zone euro a-t-elle atteint son pic d’inflation ? L’inflation harmonisée (HICP) en zone euro est ressortie le 6 décembre un peu moins haute qu’attendu pour décembre grâce à la baisse des prix de l’énergie, à 9,2% sur un an après 10,1% en novembre selon la première estimation d’Eurostat. Mais l’inflation sous-jacente sur un an accélère encore, à 6,9% hors énergie et alimentation et à 5,2% en excluant aussi alcool et tabac. Ce qui devrait encourager la Banque centrale européenne (BCE) à poursuivre la remontée du taux directeur jusqu’à 3,50% dans les mois à venir.
Pour les experts, le pic de l’inflation CPI «headline» a été dépassé depuis les 10,6% fin octobre, et il semble que l’indice ne devrait plus retrouver ce niveau cette année. Samy Chaar, chef économiste de Lombard Odier, y voit «trois raisons principales : le ralentissement de la demande en zone euro, l’amélioration des chaînes d’approvisionnement et de l’offre, et la chute des prix de l’énergie (encore à +25,7% sur un an, ndlr) à des niveaux inespérés, de 70 euros/MWh pour le gaz naturel, à comparer aux 124 euros/MWh pris pour hypothèse par la BCE en 2023.» Le niveau de stockage et des livraisons en gaz naturel liquéfié (GNL) qui semblent pouvoir compenser l’absence de gaz russe lui font dire que «le pire scénario de crise énergétique peut être écarté. Les prix peuvent encore rebondir, notamment avec l’effet retard liés à la fin des boucliers énergétiques, mais ils resteront en moyenne au-dessous de la moyenne de 2022 et l’effet de base sera moindre sur l’indice». Malgré la hausse des prix de l’alimentation à 13,8% vendredi, la logique devrait être la même pour cet autre poste de l’indice.
Concernant l’inflation CPI sous-jacente ou «core», le prix des services progresse encore (+4,4% sur un an), mais davantage en lien avec la répercussion des prix de l’énergie qu’avec une hausse des salaires (+3% environ). Cela devrait durer encore quelques mois, mais il semble difficile d’imaginer que l’effet retard lié aux prix de l’énergie actuels et que les négociations salariales de début d’année se répercutent encore au second semestre.
Quelles anticipations ?
Entre ces incertitudes et les effets du resserrement monétaire agressif de la BCE, les économistes semblent un peu perdus… Selon le consensus compilé par Bloomberg en décembre auprès de 30 banques, le taux d’inflation atterrirait à 3,5% en zone euro fin 2023 pour la moyenne, mais avec des écarts considérables entre les répondants. Il serait alors à 4,2% pour Nomura, 4,8% pour TD Securities, 5% pour Goldman Sachs et même 6,2% pour BMO Capital, mais chuterait en décembre prochain à 2,6% pour Barclays, 2,3% pour UBS et même 1,8% pour Oxford Economics ! Une dispersion des anticipations à un an qu’on ne retrouve plus chez les professionnels aux Etats-Unis. «Il reste difficile d’anticiper l’inflation au-delà de trois mois, rappelle Jonathan Baltora, responsable des gestions inflation chez Axa IM. Les économistes des mêmes banques que nous interrogeons aussi indiquent en revanche de façon très homogène un retour autour de la cible fin 2024 pour l’inflation totale et même sous-jacente.»
«Les prix de l’énergie en baisse notable cet hiver vont peut-être décaler/atténuer nos prévisions d’un fort ralentissement économique (-0,3% en 2023 et 0,9% en 2024) et donc de l’inflation (2,7% fin 2023 et 2% fin 2024), mais la BCE semble partie pour remonter son taux directeur et le maintenir près d’un an à 3,50% : c’est tellement au-dessus du taux neutre que cela ne peut pas être sans conséquence sur la demande, les marges des entreprises et l’investissement», analyse aussi Evelyn Herrmann, économiste Europe chez Bank of America (BofA). Celle-ci regrette une approche des risques inflation/croissance encore trop asymétrique dans les dernières prévisions de la BCE.
«Je ne serais pas si pessimiste : on est trop près des deux hausses conduisant jusqu’à 3% pour imaginer un stop, mais un changement est possible avant les réunions de mai ou juin», juge Samy Chaar. «On vient seulement de passer le pic, bien après les Etats-Unis (juin 2022). Donc la BCE a encore beau jeu de tenir un discours ‘hawkish’, confirme Jonathan Baltora. Mais c’est le ‘momentum’ qui va compter, et elle arrêtera ses hausses de taux dès qu’elle va estimer l’inflation ‘sous contrôle’. Si elle ne le fait pas, elle y sera contrainte par les marchés et une inversion de la courbe trop pénalisante pour la transmission via le canal du crédit», ajoute-t-il, tout en relevant une contradiction dans les anticipations d’un retour de l’inflation à la cible fin 2024 avec un maintien des taux BCE à peu près au même niveau.
A plus long terme, «l’inflation pourrait être un peu plus élevée et surtout plus volatile que par le passé, ce qui va amener la Fed et la BCE à être plus réactives, comme le font les banques centrales émergentes», poursuit Jonathan Baltora. «Espérons seulement que la BCE, devenue moins pragmatique et plus dogmatique qu’avec Mario Draghi, n’aura pas toujours six mois de retard», conclut Samy Chaar.
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