Les marchés redoutent le talon d’Achille des banques européennes sur l’immobilier commercial

Les agitations autour des banques régionales américaines et de Deutsche Bank ont ravivé les craintes.
immeuble Coeur défense à La Défense
Le défaut de l’immeuble Cœur Défense sur une couverture de taux avait été un symbole de la crise de 2008  -  (RK)

«On peut s’étonner de voir une crise bancaire sans récession ni crise immobilière», notait il y a quelques jours un analyste spécialisé, après le sauvetage de Credit Suisse mais avant les agitations autour de Deutsche Bank… Car les risques sur l’immobilier n’ont pas disparu avec la hausse des taux, bien au contraire. L’immobilier commercial (CRE) est même particulièrement l’objet d’attention.

Les analystes de JPMorgan ont publié lundi une étude sur les expositions à cette classe d’actifs des banques européennes, qu’ils estiment entre 1.600 et 1.900 milliards d’euros, 8% des prêts bancaires selon l’Autorité bancaire européenne (EBA), à peu près en ligne avec les volumes aux Etats-Unis. Parmi les banques européennes présentant plus de 10% de leur encours exposés à des prêts CRE, figurent notamment Erste et Bawag, les banques irlandaises, les banques nordiques - très exposées au secteur immobilier plus globalement – dont Handelsbanken en particulier, ou encore HSBC. Deutsche Bank, UBS, Credit Suisse et UniCredit ont également des expositions importantes (9% à 10%).

7% de pertes sur trois ans ?

«En reprenant la chute des prix immobiliers de 30% utilisée pour la classe d’actifs dans les tests de résistance au Royaume-Uni, nous estimons un taux de pertes cumulées de 7% sur trois ans sur ces expositions CRE (…) en scénario de stress, soit un impact moyen sur les bénéfices par action (BPA) de 13%, gérable selon nous», écrit l’équipe emmenée par Kian Abouhossein et Delphine Lee pour signifier sa méfiance. Les BPA de Danske, Handelsbanken et Erste seraient touchés à plus de 30%, ceux de la Société Générale, UniCredit, Deutsche Bank, Swedbank, SEB et ABN Amro à plus de 20%.

En reprenant ces 7% de pertes cumulées modélisées sur 3 ans, et non un scénario plus adverse de 30% de pertes cumulées, la banque américaine détaille les effets négatifs sur les fonds propres de base (CET1), en moyenne d’environ 60 points de base (pb) fin 2024, «et de 15 pb en incluant les compensations liées aux distributions» et un rendement qui passerait de 10,5% (estimations actuelles) à 7,1%... Danske serait la plus touchée, avec une baisse de 217 pb du CET1 (ou 100 pb après distributions), devant d’autres banques nordiques : -192 pb pour Handelsbanken, -168 pb pour Swedbank, entre -80 pb et -120 pb pour les autres pays nordiques, Erste-Bawag et les banques irlandaises (dans tous ces cas avant les distributions). «Il faut nuancer l’avertissement de la banque américaine, estime Jérôme Legras, directeur de la recherche chez Axiom AI : les scénarios de pertes sont appliqués de façon homogène à toutes les banques, sans tenir compte des typologies de prêts et d’immeubles, des niveaux de levier (loan-to-value, LTV), des garanties, etc.»

Depuis 2021, l’EBA et la Banque centrale européenne (BCE) ont évoqué à plusieurs reprises leurs inquiétudes sur le secteur des bureaux et commerces. Avec l’essor du télétravail et le développement de la vente à distance - en dehors du segment logistique, plutôt épargné, il a été l’un des plus touchés par la crise du covid, juste après avoir attiré d’importants investissements dans un environnement de taux bas.

L’immobilier commercial représenterait 30% des prêts non performants (NPL) dans les banques supervisées, et 26% des expositions totales aux prêts corporate pour les 32 banques les plus exposées. La BCE a aussi indiqué un certain nombre de manquements : absence de critères de souscription ou de processus pour s’assurer que les sponsors sont directement investis dans les projets (skin in the game), attention insuffisante portée aux flux de trésorerie, part élevée de prêts à échéance (bullet) sans ratio de rendement de la dette indépendant des conditions de marché, etc. Ce dernier point augmente le risque de refinancement, en particulier pour les banques suédoises qui seront sollicitées pour refinancer une partie des 140 milliards de couronnes suédoises (environ 12,5 milliards d’euros) de prêts arrivant à échéance cette année (9% de l’encours CRE total).

1.700 milliards de dollars d’exposition outre-Atlantique

Aux Etats-Unis, les banques américaines ont une exposition de 1.700 milliards de dollars aux prêts CRE, sur laquelle est estimé un taux de pertes cumulées de 8,6% en scénario de stress sur trois à cinq ans. Aux côtés des banques régionales américaines les plus exposées en pourcentage de leurs fonds propres CET1, se trouvent encore plusieurs banques allemandes – notamment Aareal Bank, Deutsche Pfandbriefbank, Bawag ou encore Deutsche Bank.

«Certaines des dernières préoccupations semblent se concentrer sur l’exposition de Deutsche Bank à l’immobilier commercial : si c’est un domaine d’attention pour les perspectives mondiales, les expositions sont globalement en ligne avec le secteur», écrivait lundi la recherche d’Amundi. «Les banques allemandes se sont fait depuis longtemps une spécialité des financements CRE aux Etats-Unis : elles ont un savoir-faire, et plutôt un bon historique, même si leurs provisions pourraient augmenter cette année avec une remontée des risques», conclut aussi Jérôme Legras.

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