Les marchés entrevoient une lueur d’espoir autour de la Turquie

Les chantiers économiques du nouveau mandat de Recep Tayyip Erdogan resteront importants. A commencer par celui de crédibiliser la banque centrale.
La Türkiye Cumhuriyet Merkez Bankasi – la banque centrale de Turquie – est contrôlée par le Président, Recep Tayyip Erdogan.
Des rumeurs portent la nomination de Hafize Gaye Erkan (ex-Goldman Sachs) comme gouverneure de la Banque centrale de Turquie  -  photo TCMB

La réélection de Recep Tayyip Erdogan le 28 mai n’a pas résolu tous les problèmes de la Turquie. Et la livre, qui s’affichait alors à un niveau au-dessous de 20 face au dollar, a vu son mouvement de dépréciation se poursuivre au-delà de 21,50 livres turques face au billet vert mardi. Les investisseurs, qui avaient misé sur une victoire de l’opposition représentée par Kemal Kiliçdaroglu, attendent désormais un changement radical de politique économique et monétaire.

Politique plus orthodoxe ?

Plusieurs sources, notamment cotées par Reuters, ont fait fuiter l’idée que le président turc pourrait nommer Hafize Gaye Erkan au poste de gouverneure de la Banque centrale de Turquie (CBRT). Celle qui a été codirectrice générale de First Republic Bank et cadre dirigeante chez Goldman Sachs aurait rencontré, lundi à Ankara, le ministre du Trésor et des Finances, Mehmet Simsek. Celui-ci est de retour depuis le 3 juin à ce poste qu’il avait déjà occupé en 2009-2015 (après sa carrière d’économiste chez Merrill Lynch ; avant de devenir vice-Premier ministre jusqu’à 2018). D’autres sources ont confirmé cette piste parmi «quelques candidats» pour le remplacement de Sahap Kavcioglu, qui a mené la politique monétaire peu orthodoxe de taux bas défendue par le président malgré une inflation annuelle record, qui a dépassé 85% en octobre.

Malgré sa victoire électorale, Recep Tayyip Erdogan se trouve dans l’obligation d’adopter une politique économique et monétaire plus conforme aux attentes des marchés financiers. A en croire les sursauts de la livre et la nouvelle baisse des taux turcs lundi et mardi, ces derniers semblent envisager que la nomination de Mehmet Simsek puisse enclencher ce mouvement. Les stratégistes de Citi ont relevé leur conseil sur la dette souveraine du pays de «sous-pondérer» à «neutre» en expliquant que, s’ils restent sceptiques quant aux perspectives de l’économie à moyen terme, cette nomination peut offrir un coup de pouce. L’ancien de Wall Street jouit d’une certaine crédibilité sur les marchés. Dans sa première allocution, il a bien indiqué que «la Turquie n’a plus d’autre choix que de revenir à une politique rationnelle. La transparence, la prévisibilité, la cohérence et la compatibilité avec les normes internationales seront les principes fondamentaux».

Les dettes souveraines de la Turquie en dollars ont surperformé la plupart des autres dettes émergentes la semaine dernière, gagnant 12%, alors que la prime de risque sur les bons du Trésor américain a diminué de plus de 80 points de base (pb) selon JPMorgan, et que le coût des protections contre un risque de crédit (CDS) à 5 ans a chuté de plus de 100 pb (autour de 550 pb).

Quelles hausses de taux ?

Une fois l’euphorie retombée, les investisseurs souhaiteront que le président Erdogan diminue son emprise négative sur l’économie. Certains ont estimé que les récents mouvements à la baisse de la livre pourraient être le signe d’une moindre intervention de la CBRT sur les changes. Goldman Sachs a constaté une pression sur la monnaie, avec des réserves de changes désormais négatives et révisé son estimation à 12 mois de 22 à 28 livres pour un dollar.

D’autres ont aussi mis en garde sur le fait que la nomination de Mehmet Simsek puisse être «symbolique», pour pouvoir faire appel aux marchés dans la période post-élections. Lundi, l’inflation pour mai est tombée au-dessous de 40% pour la première fois depuis fin 2021, en grande partie grâce aux effets de base, également grâce à la décision du bureau des statistiques d’exclure momentanément des calculs la consommation de gaz après la distribution gratuite demandée par le président dans le mois précédant les élections.

Les avis divergent sur le fait qu’après plus de deux ans de baisse, la banque centrale pourrait remonter ses taux directeurs rapidement. Actuellement, le taux repo à 7 jours est à 8,50%. «Nous ne nous attendons pas à des changements significatifs (…), expliquait Guillaume Tresca, stratégiste senior chez Generali Investments après l’élection. Nous n’anticipons pas de hausses de taux spécifiques et nous voyons le risque que les autorités reportent ultérieurement les changements nécessaires (…). Peut-être au prochain trimestre, lorsque la pression du marché sera trop forte.»

JPMorgan et Barclays évoquent une hausse de 16,5 points de pourcentage (pp) dès juin, pour un taux de respectivement 30% et 35% fin 2023. Marek Drimal, stratégiste chez Société Générale CIB, prévoit plutôt 650 pb en juin puis deux fois 500 pb pour atteindre les 25% en août. Tous s’attendent à plus de volatilité, vu le coût record des couvertures contre une baisse de la devise à 6 mois (21,7%). Moins négatif à court terme avec la perspective de taux plus élevés et de revenus du tourisme, Marek Drimal, a averti que «la lire pourrait à nouveau avoir des problèmes au cours de l’hiver prochain» sans les ajustements nécessaires face aux déséquilibres et aux besoins de financements extérieurs de la Turquie. Mais le nouveau ministre de l’Economie aura probablement besoin de temps.

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