
Les finances de la France sont passées au tamis de la transition écologique

L’addition sera salée. Et pourtant inévitable. En France, les investissements supplémentaires permettant d’atteindre l’objectif de neutralité carbone, conformément aux termes du Green Deal européen, sont estimés à 66 milliards d’euros par an par France Stratégie, soit 2,3 points de PIB. Cependant, un certain nombre de secteurs, et notamment les transports maritime et aérien, n’ont pas été inclus dans le périmètre de l’étude. Il s’agit donc d’une estimation a minima (voir graphique 1). Le chiffrage des besoins du secteur agricole est «fragile» parce que «peu documenté», a ainsi précisé Selma Mahfouz, inspectrice générale des Finances, lors d’une conférence de presse.

Quant aux effets économiques de ces investissements, le rapport rappelle qu’ils restent incertains. «A court terme, on peut difficilement ignorer que la transformation des procédés industriels et les dépenses d’équipement des ménages ne vont pas se traduire par des gains immédiats d’efficacité ou d’utilité», prévient l’économiste Jean Pisani-Ferry. La perte de productivité du travail est évaluée à 0,25 point de croissance par an.
Ces dépenses d’investissement reposent environ pour moitié sur une augmentation de la dépense publique, dans une fourchette comprise entre 25 milliards et 34 milliards d’euros par an en 2030, selon le sceénario considéré. La transition énergétique va nécessiter une transformation des postes budgétaires, sur le plan des dépenses, avec un redéploiement des dépenses «brunes» au bénéfice des dépenses «vertes», mais également du point de vue des recettes fiscales, avec la diminution des accises au titre des taxes sur les énergies fossiles, qui représentaient encore 35 milliards d’euros par an en 2021. Les recettes liées à la mise en place de mécanismes de taxation du carbone seront limitées. L’Inspection générale des finances (IGF), dans un rapport publié en août 2022, évalue par exemple les recettes du MACF (Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) à 10 milliards d’euros par an en 2030, malgré l’hypothèse d’un prix de la tonne de carbone à 100 euros.
A situation inchangée, le surcroît de dépenses va lourdement déséquilibrer le budget. «On peut situer le risque pour la dette publique à l’horizon 2040 aux alentours de 25 points de PIB : environ 13 points au titre du cumul des dépenses prises en charge d’ici à 2050, nettes des recettes tirées des enchères de quota carbone; environ 8 points au titre de la perte de recettes induite par le ralentissement de la croissance potentielle», estiment les auteurs du rapport (voir graphique 2).

A lire aussi: Les besoins et les coûts des emprunts souverains vont encore augmenter
Gare aux finances publiques
Lors de la conférence de presse, Jean Pisani-Ferry a reconnu que la trajectoire de dette publique que le rapport trace est totalement incompatible avec les objectifs de désendettement des Etats membres. «Il est déraisonnable de ne laisser aucune marge de manœuvre aux Etats. L’Europe va devoir choisir entre être championne du climat ou de la vertu budgétaire», a-t-il déclaré, appelant à une réouverture des discussions relatives à la refonte des règles de gouvernance budgétaires de l’Union européenne. Les auteurs estiment qu’il ne faut pas exclure la dette de l’effort de financement. Il ne serait en revanche pas approprié d’exclure les investissements verts du calcul de la dette des Etats. «Il ne faut pas essayer de créer une catégorie d’investissements verts, parce que l’impératif de soutenabilité ne peut pas être négligé. L’instrument mis en place dans le cadre du NextGenerationEU permet de traiter certains investissements avec une conditionnalité sur leur destination. Je pense que c’est ce qu’il faut faire», a-t-il précisé.
La quête de recettes fiscales supplémentaires pourrait rendre nécessaire une hausse des prélèvements obligatoires. Les ménages les plus aisés pourraient contribuer à l’effort de financement par le biais d’un prélèvement exceptionnel et temporaire, dédié à la transition énergétique. Leur patrimoine financier est évalué à 3.000 milliards d’euros.
«Un prélèvement unique de 5% permettrait de collecter 150 milliards d’euros sur une fenêtre de trente ans, soit 5 milliards par an», selon Selma Mahfouz. Pour les ménages de la classe moyenne, les coûts supplémentaires liés au logement et au transport représentent plus d’une année de revenus : le financement de la transition ne pourra pas se concevoir sans une réflexion sur la répartition de l’effort, dans une logique d’équité.◆
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