
Les économistes réajustent leur estimation du choc d’offre en zone euro

Le thème de la réaccélération de l’économie américaine («no landing» plutôt que «soft landing»), à la mode en février, a pris du plomb dans l’aile avec la crise bancaire en mars. Même si les effets négatifs sur le crédit ne sont pas évidents vu les liquidités réinjectées via la Fed (300 à 400 milliards de dollars). En zone euro en revanche, le sujet de la «surchauffe» n’est pas clos. La transmission du resserrement monétaire en cours est plus lente que prévu à cause de l’immense programme d’achats (quantitative easing, QE) mené depuis 2020 et qui a concerné jusqu’à 70% du PIB contre 35% aux Etats-Unis. Surtout, les économistes commencent à réajuster à la hausse leur estimation de l’écart au potentiel de production/de croissance (output gap ou «écart de production»).
«C’était notre idée depuis début 2022. Le secteur automobile, dont les ventes mensuelles restent 20% au-dessous du niveau pré-Covid en ce début 2023 (40% début 2022) en face d’une faible baisse de la demande, nous semble symbolique du choc d’offre temporaire mais durable qui a touché l’économie, alors que la demande a redémarré assez vite», rappellent Michel Martinez et Yvan Mamalet, chef économiste et économiste senior Europe de Société Générale CIB, pour justifier l’erreur de diagnostic sur l’output gap.
Cette situation, que l’on retrouve selon eux dans de nombreux secteurs, «et même dans les services avec une pénurie de main d’œuvre structurelle», a participé plus qu’on ne le croit à augmenter l’inflation sous-jacente - en parallèle des effets de second tour liés à l’inflation des matières premières. Les économistes de la Société Générale ont donc travaillé sur un modèle statistique reliant cet «output gap» aux données d’enquête de la Commission européenne (CE) sur les facteurs limitant la production. Ils aboutissent, alors que ce modèle était parfaitement corrélé aux évaluations jusqu’à 2020, à un «output gap» de +2,5% fin 2022 au lieu de +0,4% dans l’évaluation CE de novembre.
A l’occasion des perspectives 2023 de Rexecode, l’économiste Anthony Morlet-Lavidalie a fait un exercice similaire à partir d’un double indicateur des tensions sur le travail (taux de chômage) et sur le capital (taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie manufacturière). «Alors que notre indicateur alternatif est très corrélé à l’indice ‘officiel’ du groupe de travail de la Commission jusqu’à 2020, nous aboutissons également à un écart de production bien supérieur, autour de +2% fin 2022. Et nous sommes d’accord sur l’idée que ces très fortes tensions sur l’offre ont sans doute eu des effets bien plus importants qu’estimé initialement», indique-t-il, en rappelant les révisions ex-post fréquentes dans le calcul «officiel» de PIB potentiel.
Ce choc d’offre européen, non provoqué par une perte de main d’œuvre disponible comme aux Etats-Unis, a été exacerbé par plusieurs facteurs. Un choc de productivité du travail. Un choc aussi sur l’investissement : les dettes levées (publiques et privées) ont davantage été utilisées pour le fonctionnement des entreprises. Un choc enfin sur les termes de l’échange (prix des exportations/prix des importations). «Il reste difficile de savoir quels facteurs ont le plus joué, poursuit Anthony Morlet-Lavidalie. Les capacités du côté de l’offre ont vraisemblablement reculé dans les secteurs en difficulté comme l’automobile, mais les tensions visibles sur l’appareil de production n’auraient pas augmenté pour autant dans les secteurs porteurs comme ceux liés à la digitalisation-numérisation. Plus ou moins séquencée selon les secteurs, la reprise de la demande a engendré des tensions des deux côtés.»
Ecart de production positif transitoire ?
«Les calculs de PIB potentiels sont rendus très difficiles avec la volatilité des données, et on peut se demander si ce constat d’un ‘output gap’ positif est durable», note Nicolas Goetzmann, directeur de la recherche de La Financière de la Cité. Les économistes de Société Générale CIB estiment que, si les chocs d’offre liés à l’énergie et aux goulots logistiques se sont largement taris, la demande de biens et de services ralentit trop peu (-1% au T4-2022) pour affecter l’inflation sous-jacente. A 5,1% cette année en zone euro selon eux (contre 4,6% pour la BCE), celle-ci continuerait à être nourrie par les hausses de salaires (5,8% en 2023 contre 5,3% pour la BCE) sans trop freiner la croissance (1,2% en 2023 contre 1% pour la BCE).
«L’analyse des prix au travers des PMI indique encore un certain ‘pricing power’ des entreprises, qui ont en outre accumulé assez de dettes et de cash en 2020-2021 pour faire face au resserrement des conditions financières», poursuit Michel Martinez. L'économiste évoque un excès d’épargne des ménages européens de 8% de PIB.
«Nous sommes sceptiques sur ces derniers points, nuance Anthony Morlet-Lavidalie. Les actifs financiers des ménages sont inférieurs à leur niveau de fin 2019 en termes réels (déflatés des prix à la consommation), les marges d’exploitation des entreprises ont seulement connu un effet de rattrapage en France, et les salaires réels montrent plutôt, malgré le rattrapage en cours, une érosion du pouvoir d’achat. Difficile d’imaginer la consommation continuer à soutenir la demande dans un tel contexte», ajoute l’économiste de Rexecode, qui table sur 0,2% de croissance en 2023 en zone euro. «La hausse des taux a déjà des effets sur l’investissement des entreprises hors Irlande, sur leur demande à court terme, et sur la productivité et leur capacité à répondre à la demande à long terme», regrette enfin Nicolas Goetzmann. La comparaison avec les Etats-Unis est défavorable à la zone euro.
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