
Les banques centrales peuvent fonctionner avec des pertes

Les banques centrales peuvent très bien fonctionner avec des pertes, confirme un rapport de la Banque des règlements internationaux (BRI/BIS) publié mardi, rappelant qu’elles font partie d’un paysage financier «consolidé» du secteur public. La hausse des taux a d’ailleurs entraîné des pertes pour un certain nombre d’entre elles, en particulier celles qui ont engagé des programmes d’achats d’actifs (QE) massifs pour remplir leur mandat de stabilité économique avec les crises de 2008 et de 2020.
Ces QE et revenus d’actifs, sur lesquels s’attardent notamment les auteurs tout en rappelant que les résultats d’une banque centrale dépendent aussi des opérations de change et des réserves internationales, ont été financés principalement par les réserves des banques commerciales portant intérêt (réserves excédentaires). Cela a entraîné une diminution de la part relative des réserves obligataoires, mais aussi augmenté leurs charges d’intérêts nets au fur et à mesure qu’elles ont remonté les taux pour lutter contre l’inflation. Les baisses de la valorisation des actifs avec la hausse des rendements ont exercé une pression supplémentaire sur leur rentabilité. Les banques centrales de plusieurs pays ont ainsi récemment déclaré des pertes liées à leurs achats : Australie (RBA), Belgique (NBB), Etats-Unis (Fed), Japon (BoJ), Pays-Bas (DNB), Nouvelle-Zélande (RBNZ), Suède (Riksbank), Suisse (BNS), Royaume-Uni (BoE). «Et d’autres devraient suivre», ajoutent les auteurs.
La hausse des taux et d’autres facteurs peuvent affecter le calendrier, la taille et la volatilité des résultats comptables (P&L), ainsi que les transferts à l’Etat actionnaire. «Les différences dépendent de trois mécanismes (potentiellement complémentaires) : l’approche comptable, les règles de comptabilisation et de répartition des revenus et, dans certains cas, les accords de transfert de risques avec l’administration fiscale.» Les auteurs décrivent ainsi trois principales approches comptables - juste valeur directement affectée au P&L (pour les banques centrales d’Australie et d’Angleterre), juste valeur non affectée (Eurosystème, Riksbank), coût historique (Fed) -, et cinq modes de comptabilisation et de répartition des revenus pour déterminer la taille des coussins d’absorption des pertes avant le calcul du P&L. Et donc la possibilité de mettre en place des systèmes de transfert de risques, par exemple avec l’Asset Purchase Facility de la BoE créée en tant que filiale pour mener le QE et entièrement indemnisée par le Trésor britannique, théoriquement afin de préserver l’indépendance de la politique monétaire.
Les pertes, si elles peuvent affecter les finances publiques dans certains cas, «ne compromettent pas la capacité d’une banque centrale à remplir son mandat de stabilité macroéconomique et financière (…), poursuivent les auteurs. L’importance des pertes pour une banque centrale dépend (…) notamment du fait que le concept de solvabilité ne s’applique pas au sens conventionnel du terme car elle peut, en principe, émettre plus de devises pour répondre aux obligations en monnaie nationale et n’est confrontée à aucun minimum de capital réglementaire précisément en raison de cet objectif unique».
Alors que l’objectif des banques centrales ne peut être de générer des bénéfices, le soutien indirect du contribuable doit leur permettre de fonctionner avec succès, sans capital et si besoin avec des fonds propres négatifs, même durablement (comme au Chili, en Tchéquie, en Israël, au Mexique, etc.). Avec des situations exceptionnelles si le contexte macroéconomique et/ou politique peut éroder la confiance dans la monnaie ou dans leur indépendance.
Quelle pression politique en zone euro ?
Dans le cas spécifique de la Banque centrale européenne (BCE), il a été choisi de ne pas mutualiser le QE au niveau de l’Eurosystème, mais de réaliser 90% des achats d’actifs au niveau de chaque banque centrale nationale : «Résultat, la Bundesbank doit afficher des pertes importantes liées aux achats de bons du Trésor à taux négatifs et/ou d’obligations au-dessus de la valeur au pair, alors que la Banque d’Italie devrait afficher des profits durablement, rappelle Frederik Ducrozet, chef économiste de Pictet WM. Même sans affecter ces pertes, l’absence de bénéfices peut avoir pour les Etats des effets sur les montants de dettes souveraines à émettre.»
Au-delà de la BCE, dont le bilan a été gonflé de 2.400 milliards d’euros par ses opérations ciblées de refinancement à plus long terme (TLTRO 3), les liquidités induites par les QE ont multiplié par dix le niveau habituel des réserves bancaires excédentaires à rémunérer. «Alors que le résultat net de la banque centrale, tiré de la différence entre les intérêts perçus à l’actif et les intérêts versés au passif, était une source de recettes publiques anecdotique, les masses en question sont devenues problématiques, de même que les transferts aux banques commerciales via les dépôts», poursuit Frederik Ducrozet, évoquant 100 milliards cette année avec la hausse des taux en zone euro. De quoi relancer l’idée de nouvelles taxations comme en Lituanie récemment. «Et ce n’est pas la fin des TLTRO, accélérée par les changements de règles du 27 octobre, qui changera grand-chose», ajoute-t-il, sans savoir à quel niveau de réserves bancaires le résultat net lié aux intérêts redeviendrait «naturellement» profitable – également parce que les banques commerciales réutiliseraient du financement banque centrale par besoin.
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