L’écart entre les taux italiens et allemands se resserre

La dette italienne est une des bonnes surprises du semestre, avec un spread BTP-Bund au plus bas depuis quinze mois. Peut-être davantage pour des raisons techniques qu'économiques.
Meloni Georgia à Paris le 20 juin 2023
La présidente du Conseil Giorgia Meloni a rencontré Emmanuel Macron mardi 20 juin à Paris  -  photo Governo Italiano

Cela devait être le semestre de tous les dangers pour les taux longs en zone euro, et pour les taux italiens en particulier. Au lieu de cela, les taux allemands à 10 ans (Bund) ont gagné moins de 20 points de base (pb) à 2,45% mardi, et l’écart avec les taux italiens à 10 ans (BTP) a chuté de 220 pb autour du 1er janvier à 158 pb mardi matin, soit un plus bas depuis mars 2022.

Après deux décennies de problèmes économiques et politiques, et un choc lié au Covid particulièrement marqué, l’économie italienne semble s’en sortir un peu mieux que ses pairs européens depuis 2022. Rome a pu adapter son approvisionnement énergétique à la guerre en Ukraine, et lancer sous le gouvernement de Mario Draghi les réformes liées aux aides européennes du plan Next Generation EU (NGEU).

L’Italie a été le principal bénéficiaire de ce stimulus budgétaire paneuropéen avec 192 milliards d’euros répartis entre prêts et subventions. Le pays devrait théoriquement être aussi celui à en percevoir les effets les plus marqués, avec 3,1% du PIB cumulés en plus d’ici à 2030 selon certains analystes comme Eulalia Rubio Barceló à l’Institut Jacques Delors. A court terme, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) italiennes paraissent se moderniser pour faire face à la concurrence, profitant notamment de la hausse des coûts salariaux au-dessus de la hausse de la productivité chez les pays voisins, selon la recherche d’Unicredit. Sans oublier le tourisme, qui devrait connaître une année 2023 record.

Plusieurs défis restent à relever : de l’éducation au chômage des jeunes encore élevé, en passant par la lutte contre la corruption et un système judiciaire resté beaucoup trop lent. Pas encore complètement rassurée par les premières mesures de Giorgia Meloni ni par son projet de réforme fiscale, la Commission européenne (CE) a même retardé un versement de 19 milliards d’euros de subventions depuis mars. «Je reste également sceptique sur la possibilité d’atteindre une croissance potentielle plus élevée à moyen-long terme, note l’économiste Lorenzo Codogno (LC Macro Advisors). Le gouvernement s’en tient au scénario sur le plan budgétaire, mais nous verrons si cela restera viable une fois que les contraintes budgétaires se heurteront aux objectifs politiques». Il évoque notamment 1,5 à 2 points de PIB gagnés en 2021-2022 grâce au dispositif de Super Bonus pour la rénovation énergétique qui a artificiellement dopé la construction. Et il s’inquiète plus globalement de la mise en œuvre du plan de relance et des prémices d’une détérioration des soldes mensuels de trésorerie de l’administration centrale, au-delà du problème spécifique de mars. «Cela ne devrait pas entraîner une dégradation de la note de l’Italie par Moody’s cette année, mais ces vulnérabilités limitent également l’hypothèse d’un relèvement.»

Facteurs techniques

Au-delà des aspects macroéconomiques, les taux italiens ont bénéficié de facteurs techniques. Fin 2022, de nombreux analystes estimaient que, même si l’Italie n’avait pas forcément un volume de dette nette à émettre supérieur à la France ou à l’Allemagne en 2023, elle pourrait souffrir plus particulièrement de la fin des achats d’actifs réguliers (APP/PSPP) de la Banque centrale européenne (BCE). «Nous pensions en effet que des volumes d’émissions nettes similaires à 2010-2012 pourraient soutenir une hausse des rendements dans plusieurs pays au premier trimestre, avec un spread BTP-Bund pouvant atteindre 230 pb», indique Ninon Bachet, stratégiste taux chez Société Générale CIB. Entre besoins de financement plus élevés et craintes d’un retrait des investisseurs, d’autres parlaient même d’un nouvel écartement de 50 pb pour un Bund autour de 2,50% et donc un BTP autour de 5,20% vers mai-juin.

Plusieurs éléments peuvent expliquer que cela ne soit pas produit. «Les investisseurs qui raisonnent en rendement ajusté du risque ont acté les hausses de taux de la BCE et également, à partir du moment où ils ont été rassurés par les perspectives macroéconomiques, pris du recul par rapport aux ‘spreads souverains’ dont la volatilité s’est stabilisée», poursuit Ninon Bachet.

Avec environ 60 milliards sur 320 milliards à émettre en 2023, les prévisions d’émissions nettes de l’Italie (hors achats BCE) se trouvent moins importantes que celles pour les autres pays : l’Allemagne devrait devenir en 2023 le plus gros émetteur net de la zone euro avec 123 milliards sur un total de 307 milliards selon Société Générale CIB, devant la France avec 118 milliards sur 290 environ, et l’Espagne avec 75 milliards sur 173. Surtout, l’Italie et l’Espagne ont levé un maximum de dette au premier semestre (58% et 62% de leur programme à ce jour) afin de profiter de conditions encore abordables. La France et surtout l’Allemagne étalent davantage leur calendrier dans l’année. Sans trop de risque pour ces dettes très liquides, malgré la fin des réinvestissements de la BCE - qui pesaient pour environ 25 milliards par mois sur les dettes souveraines avant mars.

«L’Italie a également bénéficié jusqu’à tout récemment de la demande des investisseurs domestiques, notamment en provenance des particuliers, ce qui est une particularité du pays», ajoute Ninon Bachet. Rome a ainsi finalisé le 9 juin un placement record de 18,2 milliards auprès des réseaux bancaires, un nouveau «BTP Valore» de maturité 4 ans qui propose des intérêts bonus en fonction de la durée de détention. Et le Trésor italien a annoncé sa volonté d’en émettre un deuxième au second semestre. «Cela a pu compenser l’éventuel déficit d’investisseurs non résidents, qui commencent cependant à revenir sur le BTP depuis peu», conclut Ninon Bachet.

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