
Le Nigeria se rend aux urnes entre insécurité et crise économique

En une décennie, la croissance du Nigeria s’est effondrée, après le double choc de la crise pétrolière de 2014 et du Covid. Son économie est passée d’une croissance de 6,8% en moyenne entre 2007 et 2014 à +1,1% entre 2015 et 2021, relève Ayathassen Bensaid, économiste chez Crédit Agricole. La montée de la violence ces dernières années, qui s’est étendue du nord-est du pays à sa quasi-totalité, explique aussi cet affaiblissement de la croissance. Les principaux candidats à l’élection présidentielle, qui se tiendra ce samedi 25 février, ont affirmé que la lutte contre l’insécurité était leur principale priorité.
Le président sortant, Muhammadu Buhari, pourtant un ancien militaire, n’a pas su la contenir comme l’espéraient les électeurs qui lui avaient confié le pouvoir en 2015. Pays le plus peuplé d’Afrique avec 222 millions d’habitants, et potentiellement l’un des plus riches grâce à son pétrole, le Nigeria est devenu une démocratie il y un quart de siècle. Mais le futur président est aussi attendu sur le redressement économique du pays. Trois candidats font la course en tête selon les sondages, le représentant du parti au pouvoir (APC), Bola Tinubu, et celui du principal parti d’opposition (PDP), Atiku Abubakar, mais c’est l’outsider, Peter Obi (un dissident du PDP) qui est donné vainqueur, le taux de participation étant la principale inconnue en raison de l’impossibilité pour beaucoup d’électeurs de se rendre aux urnes. Et cela risque de faire la différence.
Quel que soit le vainqueur, il sera confronté aux mêmes défis économiques. «La priorité de la prochaine administration est de retrouver la stabilité macroéconomique et d’engager les réformes structurelles», écrivaient récemment les experts du Fonds monétaire international (FMI) dans leur examen annuel (Article IV) de la situation du pays. L’insécurité a des conséquences sur la principale source de revenus du pays (38% des recettes fiscales), le pétrole. Des pillages ont lieu dans la principale région pétrolifère (par navire ou directement sur les oléoducs), le delta du Niger. En conséquence la production de pétrole a fortement chuté. Les analystes de Fitch Ratings, qui ont rétrogradé la note du pays à B- en novembre dernier, l’estiment à 1,2 million de barils par jour après avoir chuté à 1 million à l’été dernier (-32% entre janvier et août), alors que l’Opep+ lui confère un quota de production de 1,8 million. L’Angola lui a ravi la place de premier producteur africain. Les infrastructures sont en outre vieillissantes faute d’investissements, les capitaux étrangers ayant fui en raison de l’insécurité mais aussi de la politique de contrôle des changes du pays.
Chute de la production pétrolière
Avec une croissance de 3% l’an dernier, le Nigeria a retrouvé son niveau de PIB d’avant le Covidmais il n’a clairement pas bénéficié des prix élevés du pétrole, déplorent le FMI et les agences de notation. Moody’s a dégradé sa note à Caa1. Car outre la chute de la production de brut, les finances publiques du pays se sont nettement détériorées en raison du maintien des subventions aux carburants, qui devaient pourtant être réduites l’an dernier. «Le gouvernement fait face à une pression budgétaire de grande ampleur alors que la capacité de réponse reste limitée par les faiblesses historiques de son système institutionnel et par les défis sociaux», notent les analystes de Moody’s. Le déficit public s’est creusé l’an dernier à plus de 6% du PIB (3% en moyenne entre 2010 et 2018) et devrait rester important en 2023 (5%).
La dette publique est peu élevée (34% du PIB fin 2022 contre près de 60% pour les pays également notés B, selon Fitch Ratings) mais des problèmes demeurent, comme le poids du service de la dette et la dévaluation de la devise, la naira. Le déficit budgétaire et la détérioration du coût de financement de la dette sont les principales raisons de la rétrogradation de Moody’s. Les intérêts pourraient absorber la moitié des recettes de l’Etat à moyen terme contre 35% actuellement. Le financement du pays repose aujourd’hui sur ses banques locales, dont le poids est faible, et sur la banque centrale. «Les options de financement du gouvernement restent limitées et dépendent du financement de la banque centrale, relèvent les analystes de Moody’s. En outre, le manque d’accès du gouvernement aux sources de financement externes ajoute à la pression de la baisse de la production pétrolière et des sorties de capitaux, érodant ainsi davantage la profil de crédit dans le temps.»
Cette situation difficile est encore compliquée par une forte inflation, de plus de 20% en raison principalement de la hausse de 23% des prix alimentaires l’an dernier (40% de la population ne peut se nourrir convenablement, selon le FMI), qui a contraint la banque centrale à un tour de vis massif (600 pb depuis un an, avec des taux directeurs les plus élevés du monde émergent à 17,5%), pesant potentiellement sur la croissance et les coûts de financement. L’inflation est aussi en partie alimentée par la hausse des prix des produits pétroliers raffinés. Le pays n’ayant pas de capacité de raffinage, il doit les importer. Le Nigeria doit puiser dans ses réserves de changes (-3 milliards de dollars en 2022 à 37 milliards, soit 7 mois d’importations) qui diminuent alors que les capitaux étrangers fuient. L’important écart entre le cours officiel de la naira et les cours sur le marché noir a en outre un impact sur la liquidité en devise, notamment pour les banques.
«En l’absence de réformes significatives visant à réduire les subventions aux carburants et à lutter contre les vols de pétrole et le vandalisme sur les oléoducs, les finances publiques risquent de se dégrader davantage et le recours à l’emprunt sera inévitable», observe Ayathassen Bensaid pour qui la soutenabilité de la dette s’en trouve compromise, surtout dans un contexte de resserrement des conditions de financement internationale. Pour l’heure, les agences de notation, Moody’s comme Fitch, jugent le risque de défaut et de restructuration faible à court terme.
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